La folle des cafés innée

Qu’y a-t-il de plus énervant quand tu es tranquillement installé pour travailler que les cris hystériques d’une gamine de six ans qui a parfaitement compris que sa mère lui cèdera absolument tout au moindre décibel ? Qu’y a-t-il de plus criminogène qu’une mère sans aucune autorité et qui a décidé que sa « petite sirène » devait réviser ses leçons à deux tables de la tienne ?

Attention : ceci est — hélas ! — une « non-fiction story » que mes tympans martyrisés ont à subir presque tous les matins !

À la base, j’ai déjà du mal à comprendre comment tu peux emmener tes gamins dans un bistrot avec l’idée (visiblement obsessionnelle) de leur faire travailler leur écriture. Certes, le bistrot en question n’est pas le PMU du coin. Et le folklore français ne manque pas de ces gamins élevés sur des grosses nappes à carreaux rouges et blancs sur lesquelles leurs cahiers d’écoliers s’imprégnaient d’anisette et de sauces au vin, laissées là par les turfistes et les retraités enveloppés de volutes gitanes et caporales, en bleu même le dimanche, dans une harmonie de pastel indigo tirant sur le gris crabe.

Le café en question est un maillon de la chaîne dont je t’ai déjà parlé où j’aime, le matin à l’ouverture, faire ma revue de presse en ligne, corriger, préparer ou finaliser quelques textes, accompagné, soutenu même, par l’arôme chaud et velouté d’un café centraméricain. D’ailleurs, ce texte-ci a été conçu et rédigé au calme dans un café traditionnel du Ve arrondissement, en compagnie d’une bière belge dont le nom bref évoque beaucoup plus le tranchant terminal d’un radical slave plutôt que la chaleureuse patience d’une brasserie artisanale, et finalisé à Montparnasse entre un croque-monsieur pour gourmand et une bière ambrée tout aussi belge et véritablement artisanale mais dont le nom ne m’évoque rien puisque flamingant et donc illisible autant qu’imprononçable bien que parfaitement buvable. Heureusement, parce qu’après une telle phrase, reprendre des forces ne sera pas inutile.

Impossible de dire comment grandira cette gamine. Et je lui souhaite ardemment que ce soit sans séquelle. Mais à chaque hurlement épouvantable marquant son désaccord avec un ordre maternel — « tes ordres sont des ires » — je ne peux m’empêcher de penser que les psychiatres ont encore de beaux jours devant eux avec ce genre de mères…

Il y a, dans la constance que met cette femme à consciemment emmerdé le monde — les tronches des autres consommateurs ne laissent aucun doute quant à leur opinion à la mienne concordante — quelque chose qui paraît ressembler à une maladie psychique dont j’ignore le nom et qui consisterait à étaler publiquement sa souffrance. Car je suis persuadé que cet acte d’exhibition est totalement volontaire. Reste à en déterminer le pourquoi.

Pour que quelqu’un intervienne ? Impossible, malgré l’envie qui me démange, de mettre un coup de pied dans les dents de la petite après lui avoir arraché la langue avec une cuillère en plastique.

Pour espérer que la réprobation palpable de la foule ait un effet pianissimo sur les gammes de sa fille ? Il semblerait que ce soit l’inverse. Ce qui me paraît normal. Même inconsciemment, la môme ne peut pas ne pas se sentir en danger dans un environnement hostile au point que si elle se renversait son chocolat chaud sur elle, tout le monde applaudirait tout en plaignant le chocolat.

Il est impossible, également, que le prétexte de la révision des leçons soit sérieux. Comment un enfant pourrait-il se concentrer dans un café bruyant où les téléphones sonnent sans arrêt, où tout le monde parle fort, où le français n’est pas la langue la plus représentée — d’après mes statistiques personnelles, elle n’arriverait qu’en troisième position derrière l’espagnol et les langues asiatiques à idéogrammes (chinois, coréen, japonais, j’avoue mon incompétence à les distinguer) — et où la musique, bien que n’étant pas d’un intérêt transcendant, est diffusée à un volume qui ferait passer le décollage d’un Airbus — le décollage, pas l’atterrissage — pour un pêt de chamois constipé.

Je ne pense pas qu’elle vienne ici avec l’idée que le lieu est un repère d’ogres de Barbarie qui ne demanderaient qu’à lui rendre service en se partageant les bas-morceaux de sa fille. D’autant qu’en face du café il y a un parc avec des bassins… une chasse aux cailloux comme prétexte Vas-y ! Mets-en bien plein tes poches !… un discret croche-patte quand personne ne regarde… et hop ! Ou plutôt, plouf !

Puis la paix. Le silence. L’extase !

Parmi les explications plausibles, je n’ai que ces trois-là :

  1. elle vient d’une famille de psychiatres et elle assure l’avenir de la profession ;
  2. elle est testeuse de boules Quiès® et en fait ne se rend compte de rien ;
  3. elle est juste casse-couilles, au propre comme au figuré : une publicité vivante pour la stérilisation.

Ce qui me permet une jolie transition pour te dire que la deuxième partie de ce texte est en cours de rédaction. Et que l’humeur général dudit texte se ressent des stridences de la petite — comme des stries denses sur le disque d’un zèbre en pyjama rayé.

Oui, ça fait deux fois la presque même blague avec un zèbre et alors ? Moi aussi je peux hurler, attention !

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