Copulation et pullulement sont dans un bateau qui coule (1)

Petits compléments (en trois parties) aux longs commentaires laissés sous cet article chez Miss Katinka. Écrire trop long est un de mes gros défauts. Tu me laisses faire, je peux te raconter avec force détails — et sur trois cent pages — les vertigineux fantasmes d’une herbe qui pousse entre deux dalles de béton brut. Par contre, si tu me demandes de te dire mon prénom, je vais bafouiller trente secondes avant de te sortir un incompréhensible amas de consonnes assourdies.

Qu’on arrête de me dire que l’écriture a d’abord été conçue et réalisée comme un outil comptable et logistique pour des marchands d’amphores. Un type qui devait vraisemblablement avoir le même problème d’inadaptation sociale que mézigue l’aura découverte fortuitement après avoir abusé du contenu desdites amphores…

Je ne reviens pas sur le pourquoi et le comment du désir ou du non-désir d’enfant, sujet de l’article. Chacun et chacune a ses raisons parfaitement défendables. L’une de ces raisons est la conscience d’un risque global de surpopulation et le désir de ne pas l’aggraver. Ce risque est réel et pour s’en convaincre il suffit de regarder l’évolution des habitats humains des origines à nos jours, et même un peu plus loin puisque le risque d’erreur est assez faible si on se contente de prospective sur la centaine d’années qui vient.

Commençons par définir ce qu’est la surpopulation.

À partir de quels critères objectifs (si possible) peut-on déclarer qu’il y a trop de monde à un endroit donné ? À l’évidence, la surpopulation ne peut pas se définir avec comme seul critère un nombre de personnes. Six milliards, quinze milliards, deux cent cinquante-douze milliards… et après ? La surpopulation est une notion complexe et relative qui unit a minima un nombre de personnes, la superficie du territoire sur laquelle ces personnes s’ébattent et les nombreuses interactions possibles entre ce territoire et ces personnes. Pour simplifier, je ne tiens pas compte du nombre croissant d’animaux domestiques accompagnant certaines de ces personnes et qui finit par constituer une population bis avec ses propres critères économiques et démographiques.

Parmi les interactions qui relient personnes et territoire, on peut citer :

  • la surface et la topologie du territoire ;
  • le nombre et la qualité des personnes habitant ce territoire ;
  • l’indice d’extensibilité du territoire selon le type de territoire voisin (voir plus bas) ;
  • le maillage des transports et des services publics ;
  • l’adéquation des circuits d’approvisionnement énergétique et alimentaire ;
  • la gestion du recyclage (déchets et décès — halte aux cimetières horizontaux) ;
  • etc.

Par « qualité » des personnes, il faut comprendre leur âge, leur profession, leur niveau d’éducation et d’implication dans la construction sociale et non leur qualité gustative qui restera difficilement mesurable tant que le calibrage des appareils de cuisson ne sera pas normalisé. Je n’inclue pas les activités issues du « privé » puisque ces activités, par définition, n’ont pas pour but premier de faire vivre un territoire et les personnes qui y résident mais de faire vivre (au moins) une personne quelque soit le territoire considéré. C’est parfois un effet colatéral bienvenu quand ces activités s’avèrent consolidatrices du maillage mais ce n’est jamais un pré-requis. Une société pourrait parfaitement s’organiser autour du seul secteur public (avec quand même beaucoup d’intelligence et de bonne volonté) mais pas autour du seul secteur privé. C’est de toute façon un débat annexe qu’on devrait survoler prochainement.

Il y aura surpopulation quand plusieurs de ces critères ne seront plus en mesure d’assurer — ni humainement, ni techniquement — leurs fonctions de relais entre certaines personnes (en nombre variable et non prédictible) et tout ou partie d’un territoire. Pour beaucoup de très grandes villes (notamment européennes), une simple (en réalité extrêmement complexe) réorganisation viendrait à bout de beaucoup des densités extrêmes qui engorgent les centres villes et les quartiers pauvres des banlieues. Pour cette raison, et malgré des déséquilibres flagrants, il me semble trop tôt pour y parler de surpopulation, même si on s’y dirige à grand pas. Et même à grands-papas… au rythme accru du vieillissement des populations. Certes, il y existe bien des pénuries de services (transports et logements, notamment). Mais ces pénuries sont pour une large part dues à des sous-financement (autant publics que privés). Ce qui pourrait se régler assez rapidement le jour où les personnes en charge de ces dossiers y consacreront plus de temps qu’ils n’en accordent à leur miroir pour s’assurer que leur nombril est bien le plus beau des nombrils.

La surpopulation humaine est d’abord un constat urbain. Je connais peu de paysages ruraux atteint par ce mal et je n’ai pas entendu dire qu’un désert en était la victime. Les villes croissent en superficie et en hauteur, attirant à elles de plus en plus de déterritorialisés. Ce site nous apprend que l’espace urbain accueille déjà la moité de la population mondiale. En clair, l’habitat urbain a déjà pénétré la moitié des bassins disponibles… D’où on conclura sans trop de peine (c’est le côté fun des statistiques) que l’espace non-urbain accueille encore cinquante pour cent de la population du globe !

Cinquante pour cent, c’est évidemment un joli point de rupture. Ce chiffre évolue rapidement et certains pays voient leur population urbaine atteindre plus de 75 % (le Canada et ses 82 % est hors concours, Grand Nord et gros n’ours obligent. L’inquiétant (si inquiétant il y a) est que cette urbanisation galopante ne fait que commencer.

Autrefois — mettons jusqu’au jeudi précédent la dernière rencontre entre un Cro-Magnon ivre-mort et une Néanderthalienne survivante — les territoires possiblement occupables étaient non seulement vastes mais surtout incroyablement diversifiés : steppes, savanes, prairies, rivages, côteaux, montagnes, banquises, îlots, marais, vallées, forêts, etc. Chaque type avait ses caractéristiques climatiques et gastronomiques. On n’y cueillait pas partout les mêmes fruits, on n’y chassait pas les mêmes gibiers, on ne souffrait pas des mêmes rudesses topologiques et cette diversité d’expériences et de problèmes à résoudre a permis la diversité culturelle qui est la caractéristique essentielle de notre espèce.

Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus que trois types de territoires :

  1. les territoires inhabitables (mais pour combien de temps encore ?) : haute mer, désert aride, très haute montagne, espace intersidéral ;
  2. les villes qui, comme on vient de le voir, ne cessent de grandir ;
  3. les interstices entre les villes qui regroupent à peu près l’ensemble des territoires d’autrefois et qu’on tend à nommer génériquement « la campagne ».

Peu à peu, la ville étend son emprise sur les premiers et phagocyte largement les troisièmes. Si les espaces inhospitaliers garderont encore longtemps de larges zones vierges (et malgré qu’ils sont de plus en plus habités mais de façon provisoire ou nomade, des marins aux touaregs en passant par les astronautes et les déclencheurs d’avalanche), les interstices inter-urbains vont tendre vers la raréfaction. Certains bénéficieront peut-être d’un label imbécile et technocratique qui les préservera quelques temps. Genre ZOBI ou ZÉBU, Zone d’Obstruction du Bâti Intermédiaire ou Zone Écologique en Bordure de l’Urbain. Les autres, ces zones abandonnées et laissées à l’état sauvage, deviendront des ZONA, des ZOnes NAture, des « hors-zone » uniquement peuplées de rejetés de la ville et de la vie : chômeurs, malades, délinquants, vagabonds et leurs chiens… plus quelques trafiquants d’organes.

Cette constatation de « pré-surpopulation » est totalement valable à l’échelle de la planète. Maintenant que la globalisation est irréversible et bien ancrée dans les esprits (surtout les jeunes esprits mais c’est l’essentiel puisque c’est à eux qu’appartient l’avenir et la responsabilité de réparer nos conneries), il va falloir repenser les répartitions de population sur des critères autres que nationaux, religieux ou tribaux. Ces modèles ont atteint leurs limites et sont en totale contradiction, désormais, avec la marche du monde. Que l’on soit d’accord ou pas avec cette marche a en l’occurrence assez peu d’importance : il s’agit d’un mouvement global, entamé il a quelques centaines de milliers d’années et qui se prolongera encore quelques milliers, sauf accident nucléaire, météorique ou épidémiologique.

Pour tenter d’imaginer comment mettre en place une répartition plus équilibrée des populations du globe, on peut commencer par envisager trois types de solutions. bien que solutions ne soit pas le bon mot. Cherche plutôt du côté de changement des mentalités ou de refactorisation des prolégomènes urbains…

  1. le contrôle des naissances ;
  2. la limitation de la durée de vie ;
  3. rien, c’est bon, tu fais chier avec tes conneries, on va se démerder, comme d’hab, merci.

La bonne réponse est évidemment la réponse 3. Mais l’être humain étant ce qu’il ne devrait pas être, on va quand même examiner les deux premières solutions.

Si tu es enceinte ou en phase terminale, ne le prend pas personnellement. Mais accroche-toi.

(à suivre…)

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