On dirait le sud…

Le Tchad… Des cailloux, du sable et des armes. C’est l’image que nous avons ici, en France, de ce bout d’Afrique perdu entre les dunes et la savane.

Coincé entre les incontournables militaires français et tchadiens — rebelles ou anciens rebelles au pouvoir… — et les omniprésentes ONG humanitaires (le Darfour est voisin), le Tchad est un pays infiniment semblable à tous ceux qui, héritiers d’une décolonisation inachevée, se déchirent entre les folies d’un modernisme occidental mal redistribué et un profond attachement aux traditions locales, complexes et diverses. Un pays qui apparait comme englué dans une éternelle convalescence.

Paris-N’Djamena allers et retours (Éditions de l’Harmattan, Paris 2009) nous en livre quelques rudesses parsemées de sourires. Son auteure, Stéphanie Braquehais, y fut correspondante de RFI (Radio France Internationale) entre 2004 et 2006.

Découpé en trois parties et déroulé selon un fil chronologique (de l’arrivée discrète à N’Djamena jusqu’au départ précipité), ce livre change constamment d’approche narrative ce qui permet à son auteure de passer de la chronique journalistique propre à son métier, à l’introspection douce que favorise l’exil… On peut toutefois y savourer trois degrés de lecture :

  1. les « touristes », amateurs d’exotisme, se régaleront de paysages grandioses, de cités anarchiques et de coutumes locales ;
  2. les « documentaristes » y découvriront le difficile quotidien d’une journaliste dans un pays en guerre ;
  3. les « littéraires » tenteront (vainement) de déceler entre ces lignes ce qui pousse les voyageurs à s’en aller chercher ailleurs ce qui se trouve en eux…

Bien que Stéphanie a soigneusement tenu à maintenir de la distance dans son récit, à de rares moments cependant (stress, fatigue) on perçoit un regard différent sur le monde… mais l’actualité commande et la voilà de nouveau ballotée de pistes en hors pistes à bord d’improbables véhicules hors d’état en compagnie de personnages hors normes !

[extrait]

Au bout d’une heure nous croisons quelques véhicules bourrés d’hommes en armes, le visage enroulé dans une chèche jaune ou kaki. La mine soucieuse, le ministre fait stopper son chauffeur pour s’enquérir de l’identité des éléments armés que nous croisons. Léger moment de flottement. Il retourne à la voiture, un sourire un peu gêné.
— Tout le monde se ressemble ! Les rebelles, les soldats… Ce n’est pas toujours facile… me confie-t’il.

Une des constantes du livre, comme un ressort tragi-comique, est la difficulté qu’éprouve tout occidental à circuler confortablement. Au point qu’on peut se demander si l’Afrique aura jamais un véhicule en bon état ! Automobiles, autocars, chars et jusqu’à l’avion du Président Déby, tout récit rapportant un déplacement motorisé se termine infailliblement en cours de mécanique de brousse !

[extrait]

« L’idée avant de t’installer en Afrique, c’est d’être mécanicien. Après, tu peux être ce que tu veux, journaliste pourquoi pas, mais si tu ne sais pas réparer une voiture, tu n’iras nulle part. »

L’état de l’administration tchadienne est à peine moins présentable. On ne peut pas dire, du parc automobile ou de cette administration, qui est l’allégorie ou la caricature de l’autre…

Une virée à Bardaï, dans le nord-ouest du pays rend compte d’une situation apocalyptique. Écoles et hôpitaux n’en ont plus que le nom. Malgré cela (ou à cause de cela ?) des hommes et des femmes instruisent et soignent, souvent avec rien, parfois avec un souvenir de livre, toujours avec un enthousiasme quasi-mystique et un humour sidérant. C’est la partie la plus poétique du livre, celle où l’écrivain eût sans doute aimé que la journaliste lui laissât plus de place…

Cette région du Tchad est une prison pour ceux qui y vivent, civils comme militaires ; un désert de cailloux le jour, un drap glacé la nuit… un sentiment d’abandon partagé par tous, y compris les montagnes…

[extrait]

« Il est tombé du rocher, il a glissé et voulait regagner son emplacement » L’un des médecins militaires présents ce matin à l’hôpital civil me suggère à demi-mot que certains soldats tentent par des blessures graves de se faire rapatrier vers la capitale et espèrent ainsi quitter cette prison désertique. « Ils font des tentatives de suicide », finit-il par avouer.

Le Tchad c’est aussi la guerre. La vraie. Avec son cortège de mort, de cris, de réfugiés… Le Tchad entretient de façon permanente au moins trois armées : l’armée régulière tchadienne sous équipée et mal formée, l’armée française censée aider cette armée régulière et une armée de rebelles dont certains formeront les cadres de la future armée régulière… pendant que les cadres actuels de l’actuelle armée régulière formeront l’essentiel des futurs rebelles…

Ce n’est pas toujours facile !

Ce n’est pas facile non plus pour les ressortissants français (hors militaires). En cas de crise grave entre le pouvoir central et les rebelles, l’ancienne colonie devient le parfait bouc émissaire à qui faire porter la responsabilité des malheurs du pays. Le fait est que la France a toujours joué un rôle ambigu en privilégiant systématiquement ses intérêts économiques et géo-stratégiques à court terme au détriment d’une réelle et saine coopération… La description de l’entrée des troupes rebelles dans N’Djaména plonge soudain le lecteur en enfer et dans les conditions du « direct ». La journaliste de RFI (la voix de la France en Afrique) perd soudain son statut de confidente et de médiatrice auprès de diverses « autorités » pour devenir une ennemie… Il faut partir et laisser Françoise, Youssouf, Abakar et les autres…

Pour Stéphanie, l’aventure africaine continuera mais ailleurs, au Kénya. D’autres gens, d’autres cultures, d’autres problèmes.

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