Coroborer : naissance de la coroboration

Ce titre ne comporte aucune faute mais deux néologismes. Car il est temps de se rendre à l’évidence. Et de s’y rendre à pied, à cheval ou en vaisseau spatial. Ce que, dans un article récent, j’ai appelé monolithe et qui représentait le quatrième âge de l’humanité, sera l’âge de la roboïsation des usages. Ce n’est pas que les « robots » vont prendre je ne sais quel pouvoir. Plus simplement, ce sera une période au cours de laquelle toute action ou réflexion d’origine humaine — qu’elle soit consciente ou inconsciente — sera assistée, accompagnée, corrigée, améliorée, validée puis exécutée par un robot. Une façon de corroborer (cette fois sans faute) la puissance intellectuelle humaine en subvenant à sa faible temporalité.

Encore une réaction à un très bon article du blog page42 (non disponible en ligne actuellement).

Évidemment, dès qu’on évoque le mot robot, viennent à l’esprit toutes les boîtes en métal multicolores disséminées par un cinéma peu inventif qui ne sait qu’anthropoïser tout ce qui lui passe à portée de caméra pour tenter d’insuffler aux objets et aux animaux — ces horreurs absolues que sont les documentaires scénarisés ! — les sentiments qu’il ne sait pas filmer chez des comédiens qui ne sont plus — au mieux — que des caricatures de marionnettes en solde, et au pire… des comédiens. Une forme assez pauvre d’animisme technologique, finalement.

Les robots ne sont que des machines. À ce titre elles ne sont ni stupides ni intelligentes : elles fonctionnent (de façon plus ou moins correcte) ou sont en panne (plus ou moins définitivement). Même si leurs champs d’activité et leurs capacités ne cessent de croître elles seront toujours limitées par ce que le programmeur y aura implémenté. Le fantasme de la machine « intelligente » qui se rebelle et domine n’est justement qu’un fantasme. Et comme tous les fantasmes, lorsque ceux-ci sont répétés, rabâchés ou radotés ils sortent piteusement de la catégorie fantasme pour se vautrer lamentablement dans la fange des platitudes à côté desquelles l’électrocardiogramme d’un fossile tétraplégique ressemble à une étape des Alpes !

Les robots — en tant que machines — accompagnent déjà le quotidien de millions de personnes depuis déjà pas mal d’années. Et la frontière qui sépare celui qui commande (l’humain) de celui qui exécute (le robot) est encore étanche. C’est la perméabilité de cette frontière qui décidera de la fin du Néolithique et amorcera la révolution Monolithique. Ce que certains appellent transhumanisme, dont je t’ai déjà causé et sur lequel se penche déjà nombre de leurs ingénieurs, est une des façons de concevoir cette perméabilité.

Le robot du futur ne sera qu’un humain constamment connecté. D’abord à lui-même. Aux autres humains, ensuite. Également, aux machines qui surveilleront que toutes ces connexions émettent régulièrement des données dont se gaveront d’immenses data center sur lesquels seront transférés les fantasmes jadis dévolus aux robots de la littérature.

Car le robot — l’idée et le mot — est un pur produit littéraire. Comme avant lui le vampire. Et bien avant les vampires, les dieux, les diables et les fées.

Il y aurait donc une ironie formidable à ce qu’un héros de la littérature se voit attribuer des droits, droits civiques et/ou droits d’auteurs ! L’article en référence au début de ce texte dit clairement ce qu’il faut en penser : ce n’est qu’une tentative sournoise de l’industrie du spectacle pour se fabriquer à peu de frais une rente ad vitam. Pourtant, passées les premières minutes de sarcasmes et de rigolade, il est assez normal que se pose la question de la responsabilité juridique pour les objets autonomes tels que les véhicules ou les machines-outils. Il est également assez raisonnable de penser que cette question va passer rapidement du fantasme à l’urgence.

Du coup, il y a de fortes chances (ou de gros risques, c’est selon) que le débat se focalise sur la sensibilité. Car qui dit responsabilité dit sensibilité. Assumer une responsabilité c’est être sensible en amont aux conséquences de l’exercice de cette responsabilité et en aval aux dégâts causés par une mauvaise utilisation de cette responsabilité. Laissons cette partie aux purs juristes et examinons ce que peut recouvrir la « sensibilité artistique » de notre nouvel ami le robot.

À titre personnel, je l’ai déjà sous-entendu plus haut, je ne crois pas à l’acquisition de sensibilité par les machines. Pour une raison simple bien que non scientifique (et qui fait qu’on peut parfaitement penser l’inverse) : la sensibilité n’est pas une fonction mais une réponse éphémère et aléatoire à un ensemble de fonctions conjointes non obligatoirement répétitives. Ce qui n’est pas très clair, j’en conviens.

Exemple. Imaginons la contemplation apaisante d’un coucher de soleil doucereux sur une ville inquiète. Phrase, tu le reconnaîtras, qu’aucun robot ne saurait écrire volontairement.

Coucher de soleil sur la Seine et la BNF à Paris
Coucher de soleil sur la seine
(photo de l’auteur – Paris – 5 juillet 2016)

À deux ou trois choses près, le cerveau humain et celui du robot capteront exactement la même image. Le même ensemble de couleurs. Autant que leur positionnement et leurs nuances. Grâce à l’ensemble de l’image, les deux cerveaux seront capables d’analogies. Telle teinte évoquera tel élément (ciel ou eau), telle forme dans le lointain rappellera tel monument (Tour Eiffel ou Notre-Dame), telle lumière dira le moment du jour ou du soir. Graphiquement, les deux cerveaux seront confrontés à la même image et l’analyseront quasi identiquement.

Par contre, au moment d’exprimer ce qu’évoque cette image, le cerveau humain zappera énormément de données techniques (comme l’intégralité de l’histogramme et bien qu’il l’aura parfaitement assimilé) et les remplacera par des émotions qui varieront selon que le cerveau en question a déjà ou non été confronté à cette image, dans quelles circonstances et pour quelles conséquences. Placé trente jours devant ce même paysage, le cerveau du robot se contentera de cracher trente histogrammes différents puisque chaque jour le soleil se couchera un peu plus tôt (ou un peu plus tard) et modifiera en cela la qualité de la lumière et de son éventuelle réverbération sur une eau mouillée de larmes et de souvenirs impropres à l’analyse électronique.

Pour exprimer ce qui ressemblera à de l’empathie, les robots devront avoir été programmés en ce sens. Les progrès dans ce domaine étant exponentiels, nul doute qu’à brève échéance nous puissions assister à des spectacles (théâtres, cinéma, matches de foot) entièrement conçus et réalisés par ces charmantes créatures. Spectacles qui ont toutes les chances d’être de qualité, au moins sur la représentation technique. Aucun robot, même programmé pour ça — et comment le serait-il ? — ne pourra improviser, péter un plomb, faire un choix non préalablement numérisé, avoir un trou de mémoire et le combler aussitôt. Les robots seront capables de traverser mille fois par jour la distance qui sépare la Terre de la Lune en dansant imperturbablement sur un fil d’un micron de diamètre. Mais les robots ne seront jamais des funambules. Le risque, en robotique, n’existe pas. L’incertitude du moment suivant non plus. On. Off. Ça fonctionne ou c’est en panne.

L’informatique est binaire. Sagement mais bêtement binaire. Et l’informatique quantique ne devrait pas changer fondamentalement la donne.

Finalement, qu’attendre des robots, en dehors de leurs apports purement techniques ? Certainement ce que l’on attend des animaux de compagnie : non pas qu’ils soient des animaux mais qu’ils soient de compagnie. Car si l’informatique restera foncièrement binaire, l’humain, au fond de lui, sera toujours seul. Avec ou sans robot.

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