Contre la culture et pour l’intelligence

Après le précédent article, en voici un nouveau en réaction à un article lui aussi plutôt bien foutu mais qui n’évite pourtant pas les pièges habituels de la rhétorique consensuelle. En réaction, donc, plutôt qu’en action. Et c’est bien là que se trouve la majeure partie de notre responsabilité dans la tenue du monde : réagir plutôt qu’agir.

L’article en question : Une politique contre le terrorisme.

Ce qui est bien posé dans ce texte : le constat que le terrorisme qui sévit aujourd’hui un peu partout sur la planète est une résultante de notre civilisation occidentale. Indéniable. Cette civilisation — nonobstant de spectaculaires réussites — porte en elle le terreau de la frustration puisque c’est une civilisation hiérarchique au sens le plus géométrique de ce mot : une simple ligne verticale sur laquelle l’importance de chaque point est strictement cataloguée comme inférieure ou supérieure selon que ce point est placé au-dessous ou au-dessus d’un autre point.

Contre la culture

Contre la culture ne veut pas dire contre l’éducation. C’est même un peu l’inverse.

Si, par le passé, il existait des passerelles permettant de passer de l’une à l’autre, de nos jours, la culture n’éduque plus ou très peu. Et les schémas d’éducation n’intègrent plus la culture que comme une possible option professionnelle. On peut fort bien être savant aujourd’hui et pourtant être stupide. Car être savant, désormais, c’est être « sachant ». C’est-à-dire avoir accumulé beaucoup d’informations disparates sans être forcément capable de les utiliser de façon analytique. Simplement en recracher parcimonieusement des bribes incomplètes aux moments opportuns : en réponse à un client, un supérieur ou un animateur de jeu télévisé.

La culture, aujourd’hui n’est plus qu’un vaste ensemble de QCM spécialisés sans plus aucun lien les uns avec les autres.

La culture s’articule beaucoup trop — quasi exclusivement — autour de l’état d’esprit commercial propre aux activités pécuniaires. La culture n’est plus considérée que sous un angle économique et binaire : combien elle va coûter et combien elle pourrait rapporter. La culture est devenue une industrie parmi d’autres. Et il n’est pas cohérent d’être partie prenante de cette industrie et de déplorer qu’icelle ne serve que des intérêts commerciaux. Cette phrase, dans le texte en lien, m’a fait sursauter :

aligner les dépenses de culture avec les dépenses de sécurité

Quel rapport ? Les dépenses de sécurité sont planifiables — et bien que le sentiment de la sécurité soit lui-même une donnée irrationnelle — parce que les politiques sécuritaires obéissent à des processus précis et nécessitent des ressources humaines et matérielles précisément quantifiables. Mais la culture ?

Vouloir aligner les dépenses de culture et les dépenses de sécurité c’est dire très clairement que la culture est précisément quantifiable. Et que cette quantification doit être planifiée, débattue, votée, amendée, appliquée et contrôlée à l’instar — idéalement — de tous les secteurs alimentés par les finances publiques. Et d’ailleurs pourquoi pas ? Mais avant cela, il va falloir définir ce qu’est le champ culturel. Lui trouver des limites. Des domaines d’applications. Et en éliminer tout ce qui ne répond pas aux normes ou n’a pas renvoyé à temps son document cerfa !

Pour l’intelligence

La culture n’est pas et ne peut pas être soumise à l’aléatoire du politique. La culture est ce qui accompagne l’humanité depuis sa naissance. C’est une virtualité insaisissable dont les objets culturels (sculptures, tableaux ou livres) ne sont que des récifs isolés dans une vaste mer encore à découvrir. La culture c’est la mémoire de l’ensemble de l’humanité et non le patrimoine de quelques-uns.

Dans la préface de « 16 grammes de vent sur un arbre perché », je l’écris autrement :

Une part de notre mémoire commune, illisible par un individu mais nécessaire au groupe.

Il n’est donc pas question d’aligner la culture sur quoi que ce soit mais au contraire de l’extraire — de l’exfiltrer — de la libérer du champ politique pour commencer à construire une société enfin stabilisée sur trois axes majeurs et strictement indépendants à la fois dans leur finalité mais aussi dans leur temporalité : le législatif (le temps long), l’exécutif (le temps court) et le culturel (l’intemporel).

Le terrorisme comme alibi

En mettant les choses au mieux, je ne vois pas comment une société culturellement optimisée empêcherait des actions terroristes qu’elles soient collectives (les groupes religieux fondamentalistes) ou individuelles (les serial killers).

Chaque société génère — et tant mieux ! — non seulement de quoi se développer mais aussi de quoi se détruire. Une forme d’auto-régulation. Le terrorisme qui sévit actuellement est directement issu de notre mode de vie. Il est une partie intégrante de notre vision du monde. À ce titre, le djihad n’est pas qu’une guerre sainte musulmane contre un occident pervers : c’est le djihad de tous les fondamentalismes. Les actions de l’État Islamique font le bonheur de tous les extrémismes qui trouvent là une raison concrète d’exister et de revendiquer. On y trouve aussi bien les autres fondamentalistes religieux (juifs, chrétiens, sikhs, etc) que les extrémistes para-militaires de droite ou de gauche. En passant par les thuriféraires imbéciles des politiques sécuritaires (ces politiques n’ont jamais été aussi prégnantes dans nos sociétés et chacun peut voir à quel point elles sont efficaces !) et les gentils bisounours qui pensent que l’accès universel à la culture est un moyen de se débarrasser desdits extrémistes et de leurs actions (et je sais de quoi je parle, je fais partie de ces bisounours…).

En dehors de quelques contre-exemples, les serial-killers ou les leaders de groupuscules sont loin d’être des gens incultes ou illettrés. Souvent, ils ont très exactement les mêmes capacités intellectuelles que les « grands hommes » qui encombrent les plaques de rues ou défigurent les faces des monnaies. Alexandre, César, Attila, Charlemagne ou Napoléon tomberaient aujourd’hui sous le coup de mandats d’arrêt internationaux !

La culture ne peut pas être présentée comme une solution au terrorisme puisque ce dernier est une composante d’icelle : le terrorisme raconte lui aussi une parcelle de l’histoire de l’humanité. De notre histoire. Dont on ne peut pas choisir ce qui nous plaît ou nous déplaît. Au comptoir de la culture on ne se sert pas comme au buffet d’un fast-food : on prend tout. Pas le choix. Sauf à se reconnaître dans un des fondamentalismes pré-cités.

liens vers l'article suivant ou l'article précédent
texte précédenttexte suivant

retour haut de page