L’écueil du cueilleur

En guise de mauvaise réponse à ce très bon article qui analyse les conditions nouvelles et les nouveaux enjeux de la multi-compétence professionnelle.

Pour résumer grossièrement : l’auteure estime que les paradigmes professionnels actuels qui permettent à la génération Y de ne plus être seulement et simplement « boulangère » ou « professeure » mais d’être à la fois coiffeuse pour chiens / vilaine tradeuse ou encore chirurgienne dentiste pour canines / agrégée de littérature moldave / développeuse d’applications obsolètes pour développement durable (les fameux /slashers, ces énoncés professionnels séparés par cette non moins fameuse barre oblique) pourraient nous ramener vers l’inventivité vitale des chasseurs / cueilleurs ancestraux.

Parmi des /slashers que tu pourrais connaître — et qui sont peut-être moins préhistoriques qu’ils ne paraissent : moi-même (intégrateur web / écrivain) ou The Inspector Clouzo (rockers / fermiers).

Ci-dessous, je te copie-colle la réponse que j’ai rédigée en live sur le post facebook où je l’ai lu, ce qui est en soi une forme d’exploit puisque le champ réservé à l’écriture sur cette plateforme est un peu plus rudimentaire que la notion d’Internet chez nos lointains parents d’avant le Néolithique :

Très bonne analyse même si le rapprochement slasheurs/chasseurs-cueilleurs ne me paraît pas aussi évident (en dehors de la possibilité d’un bon jeu de mot pour le titre). Les chasseurs-cueilleurs originaux partent d’un environnement brut mais nourriciers et tendent à s’en éloigner en le rationalisant (civilisation inside). Les slasheurs font la démarche inverse : ils viennent d’un environnement rationalisé et tendent non pas à retourner vers un environnement brut (ce qui serait une régression) mais à (re-)considérer l’environnement rationalisé dont ils sont issus (le numérique) comme la source nourricière d’un nouvel environnement brut. S’il y a analogie, elle est dans l’inversion du process collectif de survie « instinct -> intelligence » (opportunisme individuel -> rationalisation collective) en un process de survie individuelle « intelligence -> instinct » (échec de la rationalisation collective -> saisie individuelle des opportunités).

Re-ci-dessous, et uniquement pour toi, je t’accorde une réponse légèrement plus détaillée. Et un peu plus amusante bien que tout aussi sérieuse (enfin, je l’espère).

Considérons ces trois grandes périodes de la croissance humaine globale :

  1. le Paléolithique
  2. le Mésolithique
  3. le Néolithique

Imaginons que nous vivons dès à présent les prémices de ce qui sera la quatrième période majeure de cette évolution. Innocemment, nous nommerons cette période le Monolithique — tant pour faire accroire que nous avons tout compris de 2001, L’Odyssée de l’Espace que parce que ce début d’article est rédigé avec dans les oreilles l’album Presence de Led Zeppelin.

Les problématiques qui font se succéder linéairement ces quatre périodes (avec, bien entendu, des périodes intermédiaires de cohabitation) peuvent se résumer ainsi :

Paléolithique :
fraîchement descendu de son arbre (volontairement ou non, le débat reste ouvert mais j’ai tendance à croire qu’il a été poussé) et en route pour l’aventure, homo hypothéticus doit (rapidement) inventer de nouvelles façons de résoudre ses trois principaux problèmes vitaux : se nourrir, échapper aux prédateurs, se reproduire.
Mésolithique :
étant parvenu à stabiliser des groupes de populations homogènes un peu partout sur le globe, homo sedentarensis commence à avoir mal aux pattes (qu’il a encore arquées et velues) et se dit que les baies et les proies seraient plus faciles à cueillir et à chasser si elles se renouvelaient constamment à côté de son hamac grossièrement tressé en nerfs et tendons certifiés bio puisqu’issus de mammouths hypoallergéniques.
Néolithique :
à force de tester toute forme d’organisation sociale pour optimiser ses nouvelles inventions que sont l’agriculture, l’élevage, l’outillage et l’écriture, homo fol sapiens découvre accidentellement la puissance de la crédulité et s’emploie depuis à être celui qui fait croire plutôt que celui qui croît (relis deux fois cette phrase et médite sur la puissance de l’accent circonflexe).
Monolithique :
enfin débarrassé des contingences matérielles et physiologiques qui l’empêchaient de voler (tout le monde n’est pas député des Hauts-de-Seine), homo punkachiens de l’espace redevient une particule indifférenciée à ceci près qu’il est toujours doué de conscience et qu’il commence donc à chercher le meilleur moyen d’optimiser sa convergence actuellement en orbite autour d’Uranus.

Le principe d’évolution collective est à la fois simple et complexe. Simple dans sa définition : ne jamais se satisfaire de son sort et se renouveler constamment. Complexe dans sa réalisation : comment être certain de son propre renouvellement au sein d’un environnement lui-même constamment évolutif ? Car se laisser porter par cette évolution environnementale, c’est s’assurer a minima un renouvellement à peu de frais. Mais sans la satisfaction d’en être l’acteur principal.

C’est là qu’interviennent les différentes évolutions individuelles.

Que l’on peut — quel hasard ! — classer en quatre catégories distinctes possédant, elles aussi, de nombreuses intersections :

Chasseur :
L’évolution de type chasseur est une évolution instinctive, primitive, qui ne se pose aucune question ni de légitimité ni d’efficacité et qui perdure sans quasiment aucune modification chez les politiciens.
Hacheur :
L’évolution de type hacheur est une évolution destructive qui accompagne systématiquement les changements brutaux entre deux évolutions lentes, un peu comme une crevasse soudaine qui s’ouvrirait au milieu d’une plaine.
Lâcheur :
L’évolution de type lâcheur est une évolution abortive qui sert principalement à lâcher du lest, à lâcher prise, pour contrebalancer quelque peu l’indifférence et l’horreur des deux premières. Une forme inconsciente d’interruption volontaire de grandeur.
/Slasher :
L’évolution de type /slasher est une évolution sélective (comme toutes les évolutions, me diras-tu) avec comme particularité (te répondrais-je) que la sélection du modèle d’évolution ne se fait pas par l’environnement mais par l’individu qui le choisit quand même parmi les environnements disponibles.

Et c’est là que je rejoins et que je valide en partie le texte à l’origine de celui-ci : la saisie consciente des opportunités individuelles devient le moteur de l’inéluctable évolution collective.

En bref, la balle est dans ton camp.

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