Un an et un jour

Il y a un an et un jour (à un ou deux jours près) je regardais la Seine dans le boueux de ses yeux glauques. J’attendais, fébrile mais avec impatience, qu’elle me dise : C’est ton jour. Le tout dernier. Viens.

Aujourd’hui, je suis allée la remercier de m’avoir alors ignoré puis je suis allé faire un tour dans Paris. Le soleil d’automne est celui qui s’accorde le mieux à la ville. Tu le sais déjà si tu me lis depuis longtemps. Je t’en parle souvent : j’aime l’automne. Quand le soleil passe dire bonjour, il n’est ni chaud, ni plombant. Il ne toise plus personne du haut de son inatteignable azur estival. Il se met à portée et accompagne en douceur les derniers souffles légers qui font tomber à terre les feuilles retardataires.

Nous sommes dimanche et les rues sont assez peu fréquentées. D’autant que c’est un week-end d’élections. Dont je n’ai mais absolument et définitivement plus rien à foutre. Je ne suis ni satisfait ni atterré. J’en ai juste rien à foutre.

Alors OK, tu vas me dire que la citoyenneté ceci, que la nation cela. Ou son contraire. Je m’en tape. Complètement. Et tu sais pourquoi ? Parce que j’ai passé ma vie précédente à m’en préoccuper. J’ai usé mon énergie à dire, à expliquer, à montrer, à démontrer qu’on pouvait faire autrement, sans eux, juste entre nous. Qu’en plus, c’était simple. Et non contraignant. Tu trouves ça contraignant, toi, de renoncer aux folies du consumérisme ? Tu trouves ça contraignant de te responsabiliser et de l’assumer ? De te rendre compte que la planète ne t’appartient pas ? Que rien ne t’appartient, pas même ta vie ? Tu trouves ça contraignant de considérer que ton seul pouvoir, ta vraie vertu, ton irremplaçable chance c’est de pouvoir réfléchir ? Si oui, alors tu n’as que ce que tu mérites et je te souhaite d’en chier.

À l’inverse, pas de panique, une fois de plus. Ce ne sont que des élections régionales. Pour distribuer des strapontins. Il n’y a aucun enjeu réel de pouvoir. Fouille le blog, je te l’ai déjà dit : le FN est très fort dans les élections sans enjeu (européennes, régionales, présidentielles) et beaucoup moins lorsqu’il s’agit de renouveler les vrais lieux de pouvoir : municipales, législatives et, par conséquence, sénatoriales. Les élus régionaux décident d’assez peu de choses et ont, au contraire, un cadre législatif très strict à respecter. L’état nazi n’est pas pour tout de suite. Bref, perso, je ne joue plus. Désormais, je m’en contre-branle.

Malgré le soleil et la quiétude dominicale, les rues du onzième et du vingtième sont encore hésitantes. Les terrasses sont de nouveau peuplées mais les regards sont vigilants. Tout à fait comme dans cette cette illustration. Ce qui donne à ces terrasses, d’ordinaire bruyantes et coupées du monde par l’addition de chacun des petits mondes indépendants que constituaient chacun des groupes qui y étaient, non pas unis ou réunis, mais simplement accolés, un air soudain de kolkhoze paranoïaque où chacun, à son tour, devient guetteur pour l’ensemble des groupes.

Trop tôt pour dire s’il en naîtra quelque chose de positif ou si c’est juste le contre-coup de la peur.

Un an et un jour après, j’assume (enfin) ma nouvelle vie car je la sais fragile et volatile. D’autant qu’elle n’est pas si désagréable, finalement. Elle a même quelques bons côtés. Le propre de l’être humain, après tout, est de s’adapter. À tout. Sans aucune exception. Et sans en avoir peur.

Malgré les vicissitudes admistratives qui viendront obligatoirement en contrecarrer l’ample navigation, ma librairie numérique est en ligne. Mes textes ont fait le deuil de leurs compagnons, leurs parents, souvent, et reprennent leur longue marche vers une hypothétique lumière. Je ne photographie plus (la qualité de mon téléphone est tout sauf, justement, de la qualité) mais mon œil enregistre encore des perspectives illogiques. J’ai remis la main (les deux mains) dans le développement web. Avec encore un nouveau site à réaliser. Pour un dessinateur. Tu en sauras plus début janvier, date de la mise en ligne.

Je ne suis pas loin de penser que, tout compte fait, je vais bien. Alors, oui, j’ai du mal à accorder une quelconque importance à la couleur brune du fond des urnes. Cette couleur qui est partout présente en politique française. Et ce depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Avec deux exceptions notables (et de courte durée) : les premières années de mandat de Giscard et Mitterrand. Pour le reste… Liberté ? Mon cul ! Égalité ? Mon cul ! Fraternité ? Mon cul !

Cette couleur, celle des chiottes de gare un jour de grève des équipes de nettoyage, il y a longtemps que je la vois poindre. Il y a longtemps que je la suis. Il y a longtemps que je t’en dénonce la folie. Regarde-la bien car c’est ta folie quotidienne. Ne te trompe pas de bouc émissaire. La folie du monde est toujours la somme des folies particulières. Tu y as ta part. J’y ai la mienne. Ce n’est pas « Ils », c’est toujours « Nous ».

Tu chercheras quand même à t’en dédouaner. Mais la folie est comme ce figuier étrangleur qui enserre son hôte : d’abord en symbiose, puis en commensal, enfin en parasite. Et tu ne te débarrasseras pas de ses lianes sans te débarrasser de ses racines. Qui sont déjà en partie indémêlables des tiennes.

Tu devrais aller te balader dans Paris. Si tu y habites, évidemment. Sinon, tant pis pour toi.

Si j’ai bien compté (ce qui serait une première), il me reste peu de temps pour plein de choses encore à faire (il n’en reste jamais assez de toute façon, quelque âge qu’on puisse avoir), alors tu es gentil : tes problèmes tu te les résous. Puisque tu te les crées.

Je suis néanmoins prêt à parier que dans deux mois tu auras oublié ce week-end. Parce que tu seras sur les pistes. De ski. Ou de danse. Tu te seras déjà adapté. À moins que tu ne me prépares une surpise ? Ce qui serait cool… En mai ? Pourquoi pas. Ou alors, dans un an et un jour…

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