Depuis sept mois que je suis sans domicile fixe (mais pas sans abri), j’ai (sauf oubli) changé treize fois de lieu d’hébergement, entre l’hospitalité bienveillante des ami(e)s et la tournée des hôtels, à Paris, Liège ou Prague. Pour des durées diverses (de un jour à un mois), pour des prix variables (de exonéré à exorbitant) et sur des distances plus ou mois longues (de 20 mètres à 1030 kilomètres).
Je n’ai jamais été un grand voyageur et prendre le métro me demandait parfois jusqu’à six mois de préparation ! Le changement est donc d’importance.
Bien que toutes ces pérégrinations sont contraintes par ma situation désormais irrémédiable de chômeur-parasite-assisté-fainéant-profiteur, j’éprouve un certain plaisir à effectuer ces déplacements, abstraction faite de quelques contingences matérielles parfois compliquées à résoudre. Beaucoup de ces changements se sont faits à la dernière minute, sans garantie de trouver le soir même un toit disponible et pour le moment, les choses se déroulent plutôt bien puisque je n’ai pas encore eu à expérimenter la douce fraîcheur nocturne des rues parisiennes. Et dussé-je m’y résoudre, j’y trouverais bien quelques avantages, écriture oblige. Aussi parce que le fait d’errer dans Paris peut, par exemple mais ce n’est qu’un exemple, permettre la découverte d’un bistrot tout ce qu’il y a d’ordinaire, dans un quartier où, d’ordinaire, je ne mets jamais les pieds, mais qui se permet d’afficher un tiercé gagnant au fronton de ses pompes à bières : Chouffe, McChouffe, Tripel Karmeliet ! Retiens cette adresse : quartier où je ne mets jamais les pieds, Paris.
Avant d’en arriver là — à tenter de discerner la belle étoile derrière les halos agressifs des réverbères et des lanternes parasites, et en espérant fortement ne pas y arriver — il est peut-être nécessaire de faire un dernier point sur la situation présente et admettre certaines imperfections de ma personnalité pour le moins agaçante, si tant est qu’on puisse considérer comme agaçant le refus d’une misère programmée, progressive, proprette mais irrévocable, une fois maté par le grand jeu d’échec des acronymes (CDD, SMIC, RSA, RER, HLM, TV…). Et bien que je peux être agaçant pour plein d’autres raisons…
À bientôt cinquante-deux ans, sans métier identifiable, sans diplôme d’importance, et surtout en étant totalement dépourvu de la moindre molécule de soumission à l’autocratie, il parait assez clair que mon avenir professionnel ressemble trait pour trait au centre ville d’Hiroshima par un beau matin de 1945. D’autant que désormais, j’ai perdu toute volonté de « faire comme si ».
L’idée de me retirer pour écrire représente la dernière carte que j’estime jouable. Mais peut-être que là aussi je me raconte des histoires… Je sais pertinemment que le fait de « se retirer » n’a absolument aucune incidence sur les capacités d’écriture de qui que ce soit. Ce n’est qu’un prétexte idiot censé valider une décision qui n’en paraîtrait que plus planifiée, plus raisonnée donc plus raisonnable. Cela fait tellement longtemps que je laisse n’importe quoi me détourner de cette écriture — oh ! un oiseau — qu’elle va finir par me sortir du corps comme une vomissure incandescente, bouillonnante de tous les poisons non digérés.
Il vaut mieux faire ça plus loin, tu ne crois pas ?
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