Comment devenir fou en essayant de réserver un billet de train

C’est l’histoire d’un type qui se dit : « tiens, il fait beau, j’irai bien voir ce qui se passe ailleurs que dans ma plus belle ville du monde ». Le type il ouvre un planisphère, il pose son doigt au hasard, se rend compte qu’il est en plein Pacifique Sud, repose son doigt, a du mal à décrypter la destination, se rapproche : Lyon. Bon, pourquoi pas.

Le type se renseigne pour réserver un billet de diligence pour finalement choisir un voyage en bus. C’est plus long mais c’est beaucoup moins cher. Et ce n’est pas forcément plus long si la diligence a un ennui technique qui l’oblige à patienter quelques heures en gare du Creusot. Car si les ingénieurs qui ont conçu la diligence sont les mêmes que ceux qui ont conçu le site de réservation en ligne, ben la diligence elle doit passer plus de temps chez le maréchal-ferrant qu’à saluer les vaches dans la verte campagne !

Réserver un billet sur le site de la SNCF nécessite des aptitudes hors du commun. Hors de moi, surtout. Patience ? J’en ai pas ! Logique ? Nous n’avons pas la même définition de ce mot. À mon avis, les concepteurs de ce « machin » sont des fous en liberté surveillée. Ou des alcooliques intempestifs. Ou des artistes contemporains à la solde du monde capitaliste. Plus vraisemblablement, un mélange de tout cela.

Je les imagine enfermés dans les sous-sols de la Gare de Lyon, dans des blocs de béton doublés de grilles en acier. Tous les jeudis, un cadre supérieur en cravate moche apporte un condensé des réunions de la semaine qu’il leur jette à travers les barreaux en leur intimant l’ordre d’en tirer de nouvelles propositions commerciales et tarifaires à mettre en œuvre pour la semaine précédente suivant le mois en cours !

Ha ! Il faut les voir se précipiter sur la liasse de papier comme de jeunes chiots sur la poubelle un jour de grève des éboueurs ! Ça jappe ! Ça se bouscule ! Ça remue la querelle des anciens et des modernes. Entre ceux qui travaillent encore avec une plume d’oie, un buvard et des manchons de flanelle grise et ceux qui ne jurent que par les écrans, les machines, les guichets automatiques et les courriels incohérents.

Après s’être saisi d’une partie des instructions, chacun retourne dans son coin et commence à travailler. Très rapidement, les premiers tires-bouchons apparaissent en même temps que les premières incompatibilités. Ça hausse le ton ! Ça joue de l’ancienneté ! Ça reprend un verre ! Les carriéristes les plus inquiets tentent de calmer les plus vindicatifs en promettant du rab de frites à la cantine !

Le lundi matin, un autre cadre supérieur à cravate moche vient prendre possession des algorithmes encore sanguinolents avec la solennité désabusée d’un monarque des contentieux afin que des informaticiens intérimaires et délocalisés justifient la misère qui leur sert de salaire.

Heureusement que je suis entouré d’une fée bienveillante et experte en réservation de billets. Je serai donc à Lyon le 8 avril. Je te dirai pourquoi plus tard.

Et j’en profite pour avoir une grosse pensée amusée pour Raymond Devos et son voyage à Caen. Peut-être que j’aurai dû aller à Caen… Mais quand ?

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