Lecture ce matin de deux articles à priori indépendants, sur l’excellent (mais disparu) site owni.fr. L’un, par une jeune journaliste, pose la question d’une refonte du web-journalisme, l’autre, par un plus ancien, est une séquence nostalgie sur les Ramones, groupe new-yorkais, pionnier du punk-rock.
À priori, aucun rapport… vraiment ?
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Morgane Tual, dans « Jeunes journalistes: qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ? », s’énerve à la fois contre la présence toujours dominante et contre-productive de la vieille-garde journalistique dont le seul titre de gloire serait d’avoir tué la presse papier (ce qui n’est pas complètement faux) et contre l’insuffisance imaginative voire le conformisme corporatiste et le suivisme carriériste de ses jeunes confrères.
Jean-Christophe Féraud, avec « Les Ramones, l’analogique par excellence », s’épanche sur l’une des pages les plus rock’n’roll de la vague punk qui fit trembler les bases de l’aristocratie du disque dans les années 1970 (sans malheureusement la faire s’écrouler).
L’une souhaite renverser l’establishment et défricher de nouveaux concepts journalistiques en profitant de l’exceptionnel potentiel de communication qu’offrent Internet et le web pendant que l’autre nous conte le « bon vieux temps » d’un groupe qui participa justement à bousculer cet establishment…
Les Ramones comme métaphore du web-journalisme ?
Ce qui est intéressant dans ces deux articles c’est qu’ils se répondent involontairement et forment peut-être la trame de ce que sera et ne sera plus le web-journalisme.
L’article sur les Ramones est plutôt bon. Il relate bien le contexte, l’évolution, cite ses sources mais pêche justement par là : c’est un article « à l’ancienne » (en même temps, l’auteur revendique ses 44 ans).
J’ai été frappé par ce passage : Un bon Ramones se déguste sur galette vinyle avec le son crade et les craquements vintage de rigueur. Oubliez ces saloperies de lecteurs MP3 totalement apocryphes.
D’une part, cette phrase est hors-sujet (depuis quand les Ramones s’écoutent ?), d’autre part, elle montre le décalage qui existe entre le sujet et son traitement. Il ne fait aucun doute que si les Ramones devaient enregistrer aujourd’hui, leur son seraient calibrés pour le mp3 comme tout le monde… le soit-disant son « vintage » n’est dû qu’à l’enregistrement analogique, enregistrement à l’époque standard pour rester dans des budgets abordables. Enfin, de nos jours, combien de mômes ont la possibilité de s’acheter une bonne platine vinyle et le stock de diamants qui va avec sans compter les grosses enceintes acoustiques et l’amplificateur adéquat sinon où est l’intérêt du vinyle ? Autant dépoussiérer le Teppaz de grand-père !
Cette contradiction majeure entre ce que représentait les Ramones à l’époque (rappelons-le, pionnier du mouvement punk, nihiliste et destroy) et leur muséification aujourd’hui est un des gimmicks les plus éculés de la presse-papier et de ses marronniers : les voyous sont morts, donc inoffensifs, soyons rebelles et prosternons-nous !
Célébrer les Ramones en 2011, ne serait-ce pas l’occasion justement d’appeler à briser le monopole du mp3 et de la vidéo en Flash sur le web de demain puisqu’il existe d’autres formats plus intéressants techniquement et socialement ? Ne serait-ce pas l’occasion d’appeler à se rebeller contre les bastilles culturelles et sociales que sont les Hadopi et autres Facebook ? Finalement, qui tirera une substance nourricière de cet article hormis quelques vieux cons comme moi qui en profiteront aussitôt pour se refaire une injection de botox déchiré du genou en glissant immédiatement l’Anthologie Ramones dans le lecteur CD ?
Kill’em all !
Les vieux cons, parlons-en ! Morgane Tual aimerait bien les voir se casser rapidos à la pêche, au troquet, à la maison de retraite et même au cimetière, enfin, n’importe où du moment qu’il n’y a pas de journalisme à (re)produire. Serait-elle une lectrice de Maïa Mazaurette ?
Difficile de lui donner tort : le monde meurt d’être géronto-tracté ! Mais ce qui énerve encore plus Morgane Tual, c’est le fait de voir ses jeunes collègues être déjà vieux dans leurs attitudes, dans leurs rêves, dans leurs parcours, comme « géronto-happés » par une profession qui n’a plus à proposer que ses strass et ses miroirs aux alouettes…
Nous disposons d’une liberté immense. D’un espace de jeu illimité. Et nous n’en prenons pas possession
, nous dit-elle. Mais les Ramones, les Clash, les Dead Kennedys et tout le mouvement punk alternatif ne disait pas autre chose ! Alors bien sûr, certains n’y verront qu’une énième querelle des Anciens contre les Modernes… Pourtant, l’enjeu n’est pas qu’intellectuel. Nous sommes entrés dans une époque charnière comme peu en ont vécu dans la déjà longue histoire de l’humanité. Non pas une époque de transition (les transitions sont toujours plus ou moins douces mais leurs limites restent floues). Nous vivons une époque de rupture, avec un « avant » et un « après », c’est-à-dire une époque qu’il sera facile d’identifier même dans plusieurs siècles.
Le monde d’aujourd’hui est en proie à trois révolutions simultanées et inter-dépendantes :
- révolution technologique avec Internet et le web ;
- révolution sociale avec la globalisation économique ;
- révolution culturelle avec la fin de la vision occidentale.
Ces trois révolutions engendrent leurs lots de peurs, de résurgences, de replis mais aussi d’espoirs, de projets, de visions… tant chez les petits cons de la dernière averse
que chez les vieux cons des neiges d’antan
puisqu’on sait depuis Brassens que l’âge n’est pas un critère !
Et Morgane Tual de s’interroger : Qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?
Je me permets de te glisser un léger indice : avant les punks, mais déjà en rébellion, Jim Morrison lançait : We want the world and we want it now!
Alors, chère Morgane, s’il faut vraiment en passer par les Ramones en 2011 pour enfin faire du web journalisme : Hey ! Ho ! Let’s go !
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