Le monde comme il va mal

Ni pessimiste ni optimiste, une revue de ce qui t’attend dans les années à venir : les vingt prochaines, histoire de ne pas lancer le bouchon de la prospective trop loin. Revue rapide pour une fois… enfin, j’espère. Je commence à peine ce texte, je peux donc déraper… Mais tu as l’habitude. Pour t’éviter néanmoins de lire ces éventuelles digressions, je te donne l’info principale : trouve-toi un endroit loin du monde si tu n’aimes pas la guerre et ses horreurs. Elle est inévitable.

Inévitable puisque toutes, absolument toutes les hypothèses y conduisent. Et pour une raison simple : ce monde (la société capitaliste qui règne désormais partout) est née de la guerre et fait tout pour l’entretenir, la répandre, la calmer, la reprendre et ne jamais la terminer. La guerre est un business. Un méta business qui contient tous les autres. La paix n’est qu’une mi-temps. Le temps de reprendre son souffle, de nettoyer le terrain, de fabriquer (physiquement et psychologiquement) des combattants, de tester d’autres armes, plus efficaces, plus discrètes, plus inattendues.

La guerre à venir ne sera pas une guerre de conquête bien qu’elle se fera passer pour telle. Les groupes de presse audiovisuels aux mains d’une poignée d’entités industrielles et financières te peindront la réalité de leurs pinceaux synthétiques aux poils cousus de fil blanc. Et tu ne pourras que les croire, puisqu’il n’y aura plus d’autre source d’information crédible. D’abord parce que l’information est un concept relatif qui dépend des centres d’intérêts de chacun : par exemple, la probabilité de plus en plus grandissante d’un Kurdistan indépendant qui mettra le souk (sans jeu de mots) dans cette partie hautement érogène du globe est une information importante pour certains alors que d’autres n’y verront que du bruit parasitant la véritable information attendue par tout un peuple : le transfert de tel joueur dans telle équipe (rien à voir avec le transfert de Guillaume Tell au FC Tel-Aviv). Ensuite parce que la crédibilité d’une information (reprend l’exemple précédent) est un concept à géométrie variable selon ce que tu espères que soit cette information. Si elle va dans ton sens, elle est crédible, sinon, tous des vendus.

Alors on te racontera que la Russie a de nouveau des velléités impérialistes sur ses anciennes colonies limitrophes voire plus si affinités, ce qui en soi n’est pas faux mais qui est très réducteur. On te décrira par le menu les rivalités internes au sein du monde musulman qui verra s’affronter ceux qui rêvent de reconstruire, au choix, ou l’ancien royaume Almohade ou l’ex Empire Ottoman. Entre deux publicités pour la bio-agriculture transgénique et le respect durable du vert environnement par les nouveaux procédés de fracture hydraulique à assistance thermo-nucléaire, tu auras droit, en gros plan et en direct mondialisé si tu es equipé du dernier gadget luminescent à la mode, à la pénétration de la nouvelle sonde franco-sino-américaine dans l’orbite d’Uranus, ce qui fera beaucoup rire le web anglophone, jamais à court de jeux de mots quant au nom de cette planète. Tu ne louperas rien des grands rendez-vous sportifs sponsorisés par les fabricants d’alcool et de hamburgers et désormais organisés dans les locaux même des grands laboratoires pharmaceutiques. Tu sauras tout des six mille huit cents quatre-vingt quinze amants de la nouvelle épouse du pape. Après tirage au sort parmi les bonnes réponses à la question : Faut-il supprimer les enfants dans les publicités ? réponse A : oui, à condition de faire disparaître les corps et de bien nettoyer derrière parce que la planète c’est pas une poubelle (tapez 1) ; réponse B : non, au contraire, les enfants c’est tout meugnon et ça fait tout plein vendre ! (tapez 2), tu seras peut-être invitée à célébrer la pose d’un implant neuronal dans le bustier d’une nymphette qui serait déclarée obèse si son poids total de silicone était comptabilisé dans son IMC. Tu verseras peut-être une larme en apprenant que le dernier poisson de l’océan indien vient de décéder sans dire un mot, digne jusqu’au bout. Tu suivras ses obsèques auxquelles participera, ému à pleurer, le vice-ministre des crocodiles qui t’assurera que tout sera fait pour que cette mort, ignoble et innocente, soit le point de départ d’une ouverture massive des consciences. Le lendemain, sur les réseaux sociaux — et tandis que les troupes panafricaines du maréchal N’Pétain célèbreront leur victoire sur les troupes françafricaines de l’empereur N’Gaullo-Gaullo en exécutant tous les enfants de moins de trois ans qui ne sauraient pas encore tenir correctement un fusil d’assaut — le vice-ministre présentera ses excuses (l’émotion, dira-t-il) pour avoir confondu le mot consciences (retiré l’année précédente des dictionnaires) et le mot capitaux, pourtant élu « mot de l’année » en tant qu’il fait maintenant référence à tout ce dont un être humain peut être dépossédé au nom de l’intérêt supérieur des banques.

Pour ne pas déprimer, il reste la musique. Dont ce soir, c’est la fête. Enfin, ça aurait dû être sa fête. Mais le capitalisme est aussi passé par là et a jugé contraire à la tranquillité républicaine tous ces petits groupes amateurs qui égayaient les 21 juin parisiens de leurs dissonances cacophoniques à décibels molletonnés. À la place, car la fête est aussi un business, il te proposera de gigantesques scènes mal sur-sonorisées le long desquelles la ringardise télévisuelle démontrera une nouvelle fois que le ridicule, non seulement ne tue pas mais permet de nourrir très correctement les camarades-travailleurs des paradis fiscaux.

Personnellement, j’irais pleurer dans un coin, à l’abri du monde et de sa bêtise. Avec un peu de chance, car rendu inaudible du fait des vociférations de goret s’échappant des monstrueuses enceintes monopolisant les grandes places de la capitale, un avion sino-russo-syrien lâchera subrepticement un missile à aigrette persistente qui me soignera définitivement les idées noires. Sinon, rendez-vous au prochain article !

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