Le dernier des socialistes

Rassure-toi, on ne va pas pleurer sa disparition ni philosopher bien longtemps sur le pourquoi d’icelle. On se contentera juste d’évoquer la fin du « socialisme à la française » que les paléontologues situent aux alentours des années 1983-1984, en même temps donc — causalité ou coïncidence, va savoir — que la mort politique de Pierre Mauroy, et non la semaine dernière comme l’ont encore affirmé trop de journaux.

Aujourd’hui, tout le monde (ou presque) est d’accord : Mitterrand a bien entourloupé tout son monde, et ce, de sa naissance jusqu’à sa mort. Dans quelques années, et dans quelques dictionnaires, il est fort possible que le mot « mitterrandien » remplace le mot « ambigu », en lui adjoignant, cependant, une sournoise notion de « fourberie maligne ».

Extrait du Dictionnaire de Mr Robert Larousse, Volume des Noms Communs, édition 2082.

Ambigu
(voir mitterandien) Relatif à ce qui peut avoir plusieurs causes sans que l’on puisse en déceler de prépondérantes. Exemple : « La mort du socialisme français est dûe à des circonstances encore ambiguës. » [cité par F. Mitterrand in La Papaye et le Grain-Grain, Mémoires Posthumes, tome VII, page 144]
Mitterrandien
(voir ambigu) Relatif à ce qui est rendu ambigu par l’usage d’une fourberie maligne. Exemple : « La mort du socialisme français est d’une ambiguité toute mitterrandienne. » [cité par P. Mauroy in L’estaminet du Quinquin, Mémoires Posthumes, tome XVIII, page 721]

Mais à l’époque, nous étions quelques-uns à réellement penser que la gauche (« the gauche, camarade ! ») avait enfin pris le pouvoir avec, comme corollaire immédiat, le fait que « La Vie En Rose » allait devenir notre quotidien et non rester cette antique ritournelle pour nostalgiques Montmartrois que les radios se plaisaient à ressortir à chaque anniversaire du moineau qui aimait tant la boxe…

Et de fait, de mai 1981 à mai 1983, beaucoup de choses évoluèrent plutôt favorablement pour la plupart des gens et notamment pour ceux ordinairement oubliés ou victimes des politiques précédentes : les jeunes qui trouvaient facilement de bons emplois grâce à une mesure permettant aux entreprises de remplacer un pré-retraité (en départ volontaire) par un jeune, lequel était formé pendant six mois par le pré-retraité en question (ce fut ainsi que je trouvais mon premier CDI) ; les salariés qui apprenaient, ravis, l’augmentation massive du SMIC (pas loin de 10% si je me souviens bien), le passage aux trente-neuf heures, la cinquième semaine de congés payés ; les citoyens en général qui se félicitaient des promesses tenues telles que les nationalisations, le remboursement de l’IVG, la retraite à 60 ans et surtout, last but not least, l’abandon de la peine de mort (remplacée par la perpétuité au violon) et, pour les plus mélomanes, la Fête de la Musique.

Bref, le ciel était rose, les roses étaient roses, les flamands étaient roses, les hétéros étaient roses, les homos et les femmes comprenaient qu’ils auraient bientôt de nouveaux droits (oui, patience, on n’est quand même qu’à la fin du vingtième siècle…) et les chars russes n’étaient toujours pas arrivés sur la Place de la Concorde. Une impression de béatitude générale se lisait tous les matins sur de nombreux visages — au moins sur ceux que je croisais dans mon RER de banlieue.

Dans l’ensemble, la France se sentait belle, la France se croyait forte. La France se confrontait alors à un monde de brutes et perdait quasiment sans combattre, une habitude depuis 1940… Elle allait vite s’apercevoir que la facture d’un bonheur éphémère se paierait sur un long terme, aujourd’hui encore, non échu…

Mais sur le moment, le quotidien était joyeux et chaque fois que la bouille ronde et joviale de Pierre Mauroy, premier ministre et artisan principal de toutes ces réformes, apparaissait à la télévision, chacun s’impatientait de savoir quelle était la bonne nouvelle qu’il ne manquerait pas de nous annoncer !

Pierre Mauroy sera le dernier responsable du Parti Socialiste à avoir lu, compris et appliqué le principe central du socialisme selon Jaurès qui veut qu’avant chaque décision il faille se poser ces questions :

« Quel est son intérêt social ? En quoi cela va-t’il améliorer la vie des gens ? Y’a quoi à la cantine ? »

Tu perçois bien la différence avec ce qui se fait aujourd’hui, à chaque fois qu’une décision est à prendre :

« Quel est son intérêt financier ? En quoi cela va-t’il améliorer la trésorerie des banques et les dividendes versés aux actionnaires ? Les gens ? Quels gens ? »

Ça n’aura certes pas duré bien longtemps, à peine le temps d’un clin d’œil à l’échelle des douze derniers siècles, mais je ne peux m’empêcher de penser, avec un arrière-goût aigre-doux, que c’était possible, qu’il aurait juste fallu un ou deux Mauroy supplémentaires pour peser sur des débats qui seront vite confisqués par les économistes pro-globalisation.

Dès 1984, la nomination de Laurent Fabius (en remplacement de Pierre Mauroy et à la place d’un Michel Rocard qui eut pu — il le prouvera par la suite — limiter les dégâts) entérinera la victoire par KO des croconomistes, victoire qu’ils fêteront, à l’annonce de chaque nouvelle privatisation — car en France, ce sont les socialistes qui privatiseront le plus ! — d’un bref orgasme clinquant. Time is money, Pognon über alles, on n’est pas là pour rigoler !

« Tiens ! Ceci est à l’État, ceci est au peuple, ceci a fait sa richesse et l’a nourri, tiens, je te le donne ! Démantèle-le, démonte-le, découpe-le, vend-le, prive-le de sa moëlle, libère-le de ses salauds d’ouvriers communistes et syndiqués, fais-toi plaisir et pense que je me représente l’année prochaine et qu’une campagne électorale, ça coûte un bras ! Merci ! »

La « gauche au pouvoir » aura donc vécu ce que vivent les roses quand on les arrose de trop d’eau bénite et qu’on les engraisse de trop de fumier. Et ce ne sont pas les nouvelles mouvances, se réclamant d’un socialisme pur et originel, qui ressusciteront cet épisode courtissime mais intense, même si non-intentionnel, de la vie politique française.

À propos de nouvelle mouvance, je pense surtout au triste Mélenchon, ce guignol gauche, et à son pathétique partounet, agrégat instable de cartes à faible valeur s’efforçant de construire un châtelet en Espagne sur des ruines staliniennes, et que je préfère appeler « le Gnafron de gauche » pour éviter de faire peur aux enfants.

Pour autant, Mauroy n’était certainement pas sans reproche et tu auras peut-être lu dans divers journaux, quelques-unes des erreurs qu’il aura pu faire. Voilà, voilà… L’annonce prévisible de sa mort physique me fournit juste l’occasion de te parler d’un temps où pour la première fois depuis Valmy et la prise de la Bastille, la grande majorité des français était juste heureuse de se lever le matin et de gentiment contribuer à changer le monde. Et même si on sait aujourd’hui que tout ça c’était du vent, c’était un vent doux et tiède, porteur d’allégresse.

Acteur de ce temps, je n’ai évidemment pas le recul suffisant pour juger de sa véritable aura ni de sa réelle influence, sinon qu’il me semble que l’on y conjuguait plus facilement le verbe être que le verbe avoir.

« Et tu m’aurois parlé d’un tems que j’aurès apprécié. »

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