Impossible de dormir avec ce bruit : certains ont confondu fête de la musique et kikalaplugross’ machine à décibels systématiquement — donc volontairement — mal réglée sur des aigus soit stridents soit inaudibles et des basses omniprésentes à la limite extrême du décollement de membranes, de la bouillie de caca pour les cochons qui confondent amplification et empilement d’enceintes, devant des tribus de gamins forcément hilares mais sans protection… les fabricants d’appareils auditifs ont hier fêté comme il se doit ce nouveau bond dans leur croissance déjà phénoménale.
Comme prévu, les grosses scènes commerciales ont phagocyté l’esprit de cette fête et j’ai pu me promener tranquillement dans certains quartiers de la capitale sans entendre ne serait-ce qu’un demi bémol. Dans ce désert, comme dans tous les déserts, quelques rares groupes tentaient de profiter des rares promeneurs et des encores plus rares buveurs aux terrasses des cafés pour se faire des répétitions live et constater l’ampleur des progrès à encore réaliser pour espérer un jour prétendre à l’appellation de groupe.
Aucune originalité chez les groupes de pop/rock : que des reprises. Plus ou moins maîtrisées. Pardonnables chez ces gamins d’à peine quinze seize ans et leurs instruments flambants neufs qui se sont payés de beaux rêves de gloire à peu de frais. Y’a du boulot les gars ! Mais l’enthousiasme était là et c’est quand même la pierre angulaire de ce style musical. La chanteuse du groupe avait cependant une jolie voix lorsqu’elle se laissait aller à chanter naturellement. Des tons plutôt graves, des cordes vocales solides malgré son jeune âge, reste à travailler la présence et surtout ce qui m’a exaspéré toute la soirée : tous et toutes ont cette sale manie de chanter en consultant plus ou moins fréquemment leur classeur dans lequel sont inscrits les textes des chansons. Bordel ! Qu’y a-t-il de moins sexy en terme de présence scénique qu’un pupitre encombré d’un cahier de textes ? Tu te crois à l’école ? Tu peux pas les apprendre tes textes, feignasse ? D’autant que le rock n’est pas un genre exigeant de ce côté. Tu peux faire la-la-la, ça marche aussi.
Côté bilan, la palme de l’inefficacité revient à ce groupe de pseudo-heavy-metal qui était équipé d’une sono aussi puissante qu’un chapeau mou tombant sur la moquette et d’un lead guitariste ne possédant qu’un solo de trois notes. Le plus drôle — le plus triste pour eux et peut-être le plus humiliant car ils avaient en plus l’air de se prendre au sérieux — a été ce groupe sur le trottoir d’en face, équipé d’une vraie sono professionnelle, d’un guitariste inventif et dansant et d’un répertoire mêlant rythmes africains et traditions musicales de l’océan indien (Madagascar ?) avec un groove et un plaisir de jouer très communicatif. La première bonne surprise de cette soirée. Sans oublier sa chanteuse-danseuse (surtout danseuse) d’une souplesse dans ses déhanchements à la limite de l’interdiction aux mineurs !
La palme de la reprise à « L’Homme Pressé » de Noir Désir. Trois reprises très différentes. Une première méconnaissable (trop pressé d’en finir), une deuxième trop fidèle à l’original, une troisième tout en puissance et, deuxième et dernière bonne surprise de la soirée, méchamment balancée par une chanteuse au timbre puissant (grosse reprise derrière du « Highway To Hell » d’AC/DC), connaissant bien son texte et pouvant donc couvrir la scène au gré de son énergie et de la place que lui laissait un public ravi et pogotant.
Dans un trajet qui m’a conduit de Denfert à Nation en passant par Bastille, tu reconnaîtras que la pêche au son n’a pas été extraordinaire. Mais bon, j’ai entendu trois belles chanteuses et c’est déjà pas mal.
J’ai toujours eu un faible pour les chanteuses des formations rock. Je t’en ai déjà un peu parlé dans l’intro de cet article. Sauf rares exceptions, les chanteuses de rock me semblent apporter un supplément de vie à leurs morceaux, sachant habilement se conformer aux standards machistes du genre pour mieux en jouer intérieurement, pour mieux les détourner et en (dé)montrer ainsi toute l’absurdité.
Le dernier concert se termine sur les dernières notes d’une belle reprise d’un morceau de Téléphone. Le public en veut encore mais l’heure c’est l’heure et les autorisations préfectorales sont assez peu sensibles aux une autre !
, scandés avec ferveur. Le vent s’est levé, abaissant du même coup la température. J’ai du chemin à faire. Le métro reste ouvert mais je préfère marcher, les mains dans les poches, la tête pleine de (très) beaux souvenirs musicaux, vinyles, CDs, radio, concerts, fêtes, la musique m’a toujours accompagné et tu lui dois de pouvoir me lire aujourd’hui. Un jour je te raconterais (peut-être, c’est quand même assez intime) comment je ne me suis pas jeté du pont parce que je devais aller (r)acheter cet album trop usé d’avoir été trop écouté mais qui n’avais pourtant pas fini de me parler, de me retenir ici-bas et de m’ouvrir les yeux, les oreilles et le cœur.
Sans musique, la vie serait une erreur.
La plus belle phrase de ce grand crétin de Nietszche et sans doute la plus exacte de toute la philosophie.
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