La folle de la bibliothèque

Ne crois pas que j’ai commencé une série mysogine. Le hasard. Comme toujours. Et puis si je devais consacrer une série aux fous et aux folles, ce serait une série sans fin, une longue saga pleine de sang et d’erreurs, en quelque sorte une histoire des civilisations…

Elle est arrivée à 12h57. Exactement car c’est exactement à ce moment-là que j’ai regardé ma montre. Oui, j’ai une montre dans la poche. Qui m’évite de sortir le téléphone du fond du sac uniquement pour regarder l’heure. Une bête montre à aiguilles, sans bracelet, qui m’indique 12h57.

À côté de la porte de la bibliothèque, sur laquelle un panneau annonce en très gros son ouverture à 13h00, il y a une sorte de boîte aux lettres pour rendre des livres si tu passes par là en pleine nuit, un dimanche. Les procédures de retour n’étant pas nominatives, contrairement aux procédures d’emprunt. Le système des bibliothèques de Paris est plutôt bien pensé.

Elle se plante donc devant cette boîte des retours et y dépose un à un, une dizaine de livres. (Peut-être plus mais je ne sais compter que jusqu’à dix). Ha non. Une neuvaine seulement. Le dernier est trop gros et ne passe pas la fente pourtant large de la boîte (ici, j’avais inséré une comparaison qui n’était pas à l’avantage d’une dame bien connue, mais ne voulant pas aggraver mon cas déjà bien compromis, je l’ai retirée). Elle a bien essayé de tourner le livre dans tous les sens. De regarder la fente. De regarder le livre. Comme si elle guettait une inspiration. Qu’elle a finalement trouvée. Elle a ouvert le livre en deux. Et a commencé à en insérer une partie. Deux fois moins épais, certes, mais du coup deux fois plus long. Et la boîte, inextensible, était déjà pleine des livres qu’elle venait de déposer et certainement d’autres aussi, mais combien ? Toujours est-il que ça bloquait quelque part et qu’une moitié de ce pauvre livre pendait déconcertée, comme la courgette demi-molle qui pendouille tristement de l’orifice préalablement précité mais anonymement donc ne m’accuse de rien, ce n’est pas moi !

Ma montre indiquait 12h59 et déjà, du fond de la bibliothèque, par la transparence sombre des portes vitrées, on pouvait discerner un employé arrivant pour les ouvrir. Seconde inspiration. Les pages d’un livre sont molles et pliables. Voire roulables. Ou chiffonnables. Ainsi, au moment où la porte vitrée s’entrouvrait, la boîte à livres se refermait, forcée d’ingurgiter un livre qui devait maintenant ressembler à un rouleau de papyrus arménien après un raid ottoman.

13h01. Elle s’éloignait, à petits pas pressés. J’essayais de l’imaginer rendre de la même manière tout ce dont elle ne voulait plus. Je ne sais pas pourquoi la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est un enfant.

Comme ce livre, il n’a rien demandé et le voilà balloté, emmené, ramené, forcé en toute hâte de s’abîmer pour rentrer dans une case.

13h02, je suis monté à l’étage, j’ai branché mon PC et me suis demandé quel(s) texte(s) j’allais bien pouvoir (au choix, certaines options étant cumulables) :

  • commencer ;
  • corriger ;
  • effacer ;
  • mettre en ligne ;
  • ou réécrire…

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