Johan Cruyff : orange messianique

Il y a ceux qui pensent que le football est un jeu. Ceux qui imaginent que c’est un sport. Ceux qui ne comprennent pas que ce soit un métier. Ceux qui estiment qu’il remplace la guerre. Ceux qui s’en foutent, bien sûr. Et puis il y avait Johan Cruyff.

Quand j’étais petit, je me passionnais pour le foot à la récré avec les copains de l’école mais je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Et puis un soir, j’ai vu jouer Johan Cruyff sur un écran de télé en noir et blanc. C’est comme si un amoureux de BD passait directement de Pif le Chien à Corto Maltese. Ou un amoureux de musique qui passerait d’Yvette Horner à Jimi Hendrix. D’un coup, tu comprends. Tu comprends que tout autour de toi il n’y a pas que la lourdeur du monde : il y a aussi l’art et son éphémère élégance.

Et c’est cette élégance, aussi éphémère soit-elle, qui justifie que tu doives supporter la lourdeur du monde. Ainsi que ses horreurs. Et ses erreurs. Qui ne servent finalement qu’à valider la rare beauté de certaines gestuelles courbes. Toujours courbes. La rectitude ne sied pas aux génies.

Évidemment, associer l’art au football va faire rire ou sourire. Pourtant. Tu te souviens de cet article ? Ce que j’y écris, en substance (et avec, je le reconnais, assez peu de clarté) c’est que l’art, s’il existe, n’est pas dans l’œuvre mais dans le geste qui permet l’œuvre. Et côté geste, Johan Cruyff était ce qui se faisait de plus improbable.

Il y a eu et il y a encore de meilleurs techniciens, des buteurs plus efficaces, des dribbleurs plus rapides. Mais il n’y a pas eu, ni avant, ni depuis, un footballeur possédant à ce point le geste du football. Tout en courbes, évidemment. Dans ses courses, ses trajectoires de balle, ses déclarations orgueilleuses également.

Platini avait la vista. Pelé avait la maestria. Maradona la folie et Zidane le charisme. Cruyff, c’était le geste. L’éphémère élégance du geste.

Salut, l’artiste.

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