Coureuse des villes, amoureuse devil

Après avoir rebroussé chemin sur la corniche, trempé jusqu’aux os par le crachin breton et craignant pour l’étanchéité de l’appareil photo et de ce qu’il me reste de cervelle, je m’abrite dans le premier bar ouvert sur la place du village et commande un café. La sono diffuse l’intégralité du premier album de Tracy Chapman et, au-delà des souvenirs, je repense à l’étrange accueil reçu par cette artiste.

Qualifiée de « Dylan au féminin », elle ne pouvait être comparé qu’à un homme (aussi misogyne fut-il) et pas à ses pourtant nombreuses devancières que furent Bessie Smith, Joan Baez, Patti Smith, Suzanne Vega… De la même manière, Ellen Foley et son premier album d’un rock rougeoyant et sublime, eurent droit aux mâles comparaisons. Puisqu’elle était accompagné de rien moins que Mick Ronson et Ian Hunter et posait en nuisette au dos de son album, les critiques hésitèrent entre jouet fragile dans les mains dégueulasses des vieux tromblons du rock à cette fille a plus de couilles que toute la new wave réunie !.

Et j’avoue qu’à l’époque, j’étais plutôt partisan de la seconde solution tout en fantasmant sur la première…

Pour Tracy Chapman comme pour Ellen Foley (et tant d’autres), il ne venait à l’idée de personne (au moins dans les magazines rock) de simplement considérer leurs albums comme de bons ou de mauvais albums et non comme des sous-produits dont le seul mérite serait de plus ou moins bien tenir la comparaison avec les produits phares, forcément masculins.

Et c’est un peu ce qui arrive aujourd’hui à Maïa Mazaurette qui pourtant nous donne à lire un bel ouvrage : La Coureuse.

Certaines des critiques, qui l’auraient peut-être pardonné à un homme, lui reproche d’avoir précisément écrit ce livre en tant que femme ! Oui, en 2012… « The Times They Are a-Changin’ » chantait Bob Dylan en 1963. Sauf, visiblement, pour le droit des femmes de faire, de dire, d’écrire, d’exister même, parfois…

Ainsi, beaucoup n’ont pas compris (ou pas voulu comprendre) la distance entre l’auteure, militante féministe avérée, et le personnage décrit (et incarné) par l’auteure. Et ont immédiatement sorti la boîte à sarcasmes quand ce ne furent pas carrément des insultes ! Genre, Quoi ? Louise Michel serait en réalité La Comtesse de Ségur ?

Ils semblent que les militantes féministes, contrairement aux militants masculins de toute obédience, n’ont pas droit au repos et se doivent d’être d’abord des combattantes, en guerre 24h/24. Elles n’ont pas non plus le droit d’être avant tout des êtres humains bourrées de contradictions, d’angoisses et de désirs.

Ces critiques ont au moins le mérite, à mon avis, de donner raison à Maïa quant à sa ligne de conduite littéraire : elle va où elle veut, libre, inattendue, déconcertante parfois, mais toujours honnête. Personne ne lui dira ce qu’elle doit ou ne doit pas faire. Ni passionaria ni fashionista, Maïa est son propre guide et c’est bien là l’intérêt de son œuvre, prise dans sa globalité : quelque soit le support ou l’intrigue, la liberté de choix de ses personnages, principaux ou secondaires, est le cœur de cette œuvre.

Évidemment, on peut ne pas se sentir complètement concerné par l’histoire de cette « Coureuse ». Pour résumer grossièrement : une parisienne plaque son confort berlinois pour une passion danoise, consciente que ce n’est pas sa première passion, peut-être pas sa dernière… quoique… pourquoi pas… oui, mais…

Racontée par Maïa, cela donne une histoire vibrante de réalisme, touchante de sincérité, énervante aussi dans cette façon d’emmêler inextricablement imagination et réalité et qui laisse le lecteur sous le joug d’un Sphinx invisible mais omniprésent. Info ? Intox ? Diversion ? Révélation ? Rien n’est jamais sûr et ce roman peut donc se lire de mille façons.

D’autant que Maïa possède une qualité rare : un style. Maïa est une enfant du web, gameuse et pionnière du blog en France, dont l’un des tout premier (2004 ?) s’appelait justement « La coureuse »… De cette expérience, de cet environnement particulier sans cesse en mouvement, est né ce style tout en fréquences dans lequel de longues modulations se joignent à de brèves démodulations et font s’alterner phrases courtes, percutantes, et longs paragraphes méticuleusement agencés.

Je crois que l’écriture de Maïa est totalement liée aux qualités de ses connexions internet !

Tel une araignée qui tisserait sa toile en de lentes et régulières circonvolutions, le récit déroule sereinement sa trame et pose ça et là, lorsque nécessaire, quelques mots cinglants, comme des balises sur le parcours, comme des injonctons à poursuivre la lecture. L’écriture de Maïa, c’est une page web qui se dévoile peu à peu. Peut-être faudrait-il la faire homologuer par l’ARCEP ?

Comme auteure, Maïa Mazaurette nous avait déjà gâté avec ses précédentes œuvres : romans d’anticipation (« Rien ne nous survivra ») ou de fantasy (« Dehors les chiens, les infidèles »), scénarios de bandes dessinées (« Péchés Mignons »), essais sérieux (« La revanche du clitoris ») ou loufoques (« Peut-on être romantique en levrette ? »), sans oublier son blog (« sexactu.com »), pour ne parler que de l’écrit (elle tient également une chronique sur France Inter mais je ne sais plus dans quelle émision ni à quelle heure…).

Elle nous offre cette fois une nouvelle attraction, une corde de plus à son arc (et son arc devient harpe) : l’autofiction.

Pour rappel, l’autofiction consiste à mêler, à la discrétion de l’auteure, des éléments, évènements ou personnages réels de la vie ou de l’entourage de l’auteure, parmi des éléments, évènements ou personnages issus de l’imagination de l’auteure. La qualité de l’autofiction (quand elle est de qualité) est moins de brouiller les pistes entre fiction et autobiographie (le roman traditionnel s’en charge) que d’offir une vraie-fausse exhibition bien plus orientée sur la nécessité qu’a l’auteure de faire le point sur une partie de sa vie que sur les besoins de voyeurisme du lectorat moyen.

Au premier degré, certes, on peut voir en cette Maïa de papier un être frivole et manipulable. On peut ne voir dans le personnage du danois qu’un sex-symbol masculin, froid et calculateur. On peut trouver étrange les multiples questionnements de l’auteure sur son passé, ses passions, ses tours de passe-passe.

Ce roman est d’abord un roman de chasse. Une chasse qui est loin de la cruauté féline, loin de l’implacable morsure du crocodile, plus loin encore de l’héroïsme rural du pistolero de Rambouillet devant le faisan d’élevage… C’est une chasse sensuelle au cours de laquelle le gibier doit apprendre à séduire sa prédatrice : c’est une chasse à cour !

Bien sûr que l’auteure profite de son potentiel de féminité puisque c’est ce qui lui est demandé. Adaptation. Mais, au-delà des apparences, ce qui se trame est d’une violence et d’une beauté prodigieuse.

En bonne chirurgienne, Maïa dissèque et montre chaque coup de griffe, chaque coup de dent, chaque cicatrice, sans pudeur mais sans orgueil non plus. C’est une dissection du désir à laquelle nous sommes conviés. C’est une autopsie de l’amour qui nous est raconté. Mais ce n’est pas un vieux professeur blasé qui nous le raconte. C’est un animal blessée et ravie de l’être. C’est un fauve qui regarde couler son sang pendant que sa langue panse les plaies de sa proie. Ce n’est pas de l’altruisme. C’est pour mieux localiser la plaie, mon enfant, et y remuer, si nécessaire, le couteau des passions qui laissera sur la peau et jusqu’au fond du cœur une trace indélébile, un prénom avec un i-trauma, le parfum volatile du bonheur.

L’amour, la passion, le désir, et quoiqu’en disent les beaux romans de cour, ne se conjuguent qu’à la première personne du singulier. « Un plus un » sera toujours égal à « un plus un ». Ce n’est pas non plus de l’égoïsme. Le croire serait plus faux que penser l’amour comme réciproque… C’est une forme d’échange non codifiée. Un symphonie pour laquelle aucun musicien ne possède la même partition. C’est un chaos qui naît du chaos et qui, à l’instar de la vie elle-même, peut engendrer soit de la beauté, soit de la misère, sans qu’aucune règle, sans qu’aucun théorème, jamais, n’assure de l’une ou de l’autre.

C’est ce que montre ce roman. Ce n’est pas un roman de femme ou d’homme, c’est un roman humain. Simplement et définitivement humain.

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