Rien ne nous délivrera
Les rockers en ont fait un sujet de prédilection et certains de ses mythes se sont d’ailleurs astreints à disparaître tôt.
Vieillir, que c’est laid ! Vieillir, pour quoi faire ? Vieillir, moi jamais ! J’aime bien trop la vie !
, chantait le groupe Bijou, dans la lignée du célèbre « I hope I die before I get old » des Who.
Et de façon assez amusante, pour qui apprécie les facéties du hasard, quelques mois après la parution de la première version studio de « Vieillir » (album Danse avec Moi, 1977), naîtra Maïa Mazaurette qui, quelques années plus tard (en 2009), nous livrera un petit bijou littéraire pour en finir avec la vieillesse. Le hasard faisant toujours très bien les choses, le groupe Bijou et Maïa sont tous deux issus du même coin de banlieue sud : Juvisy/Savigny/Épinay-sur-Orge…
Rien Ne Nous Survivra
« Rien ne nous survivra (le pire est avenir) », éditions Mnémos 2009, éditions Folio SF 2011.
Paris, plus ou moins aujourd’hui. Au nord, les vieux. Au sud, les jeunes. Entre les deux, la guerre. La guerre et ses héros, sa violence, son injustice, son essence surtout : une guerre ne peut être que totale. Sur cet archétype de la littérature, Maïa a construit une œuvre extrêmement originale dont je ne te révèlerai rien (ou pas grand chose). À 7€30 l’exemplaire, tu peux te l’offrir (ou te le faire offrir).
Structurellement, le livre n’est pas découpé en chapitres mais selon un compte à rebours qui alterne les points de vue de deux snipers (Silence et l’Immortel) et la propagande des Théoriciens. Ainsi, les personnages et leurs motivations prennent corps peu à peu dans un récit volontairement labyrinthique jusqu’à la surprise finale.
Le sujet est simple : les vieux (à partir de vingt-cinq ans) doivent être éliminés. Tous les vieux. Sans pitié. Sans exception. Les jeunes ont 109 jours pour ça. Ballotée entre une organisation para-militaire plus ou moins efficace et l’idolâtrie envers deux redoutables snipers, la jeunesse occupe le sud de Paris et massacre du vieux autant qu’elle se fait massacrer. La guerre a commencé pour des motifs divers : idéal, vengeance, jeu, suivisme, ennui… Les Théoriciens, en charge de la propagande, ont fixé les limites : no limits !
Les héros de ce livre n’ont pas de nom. Un nom, c’est la première marque qu’un vieux appose sur un jeune. Alors les jeunes n’ont plus de noms. Que des pseudos. Silence, l’Immortel, Vatican, Narcisse… les pseudos sont plus que des miroirs. Ils sont des professions de foi. Ils sont un itinéraire. Le renoncement à la filiation (tuer ses parents est fondateur), l’investissement solitaire ou collectif (comme sniper, dans l’Armée ou en clans), la motivation, tout se retrouve dans un pseudo. Autant bien le choisir… et s’en montrer digne.
Tels des Goya radicalisés, les Théoriciens voient les vieux comme des vampires se nourrissant du sang de la jeunesse. Pour la corrompre par capillarité. Lui instiller suffisamment tôt l’idée de « devoir » qui lui fera porter le lourd fardeau de la prise en charge d’une vieillesse de plus en plus durable. De plus en plus nocive.
« Nous parlons bien de vampirisme. nous parlons bien de vieux qui sucent de la pulpe d’humains pour devenir immortels. On pourrait penser qu’ils se contentent de nous voler nos rollers et nos boîtes de nuit, mais ce serait s’arrêter aux apparences. Ils sont en train de nous dévorer. »
[Les Théoriciens — Théorie 0]
Difficile de nier une certaine vérité à ce portrait. C’est en cela que ce livre est indispensable : son radicalisme est une autopsie lucide de notre société qui se plait à sur-vieillir et à priver ses enfants de toute imagination et de tout libre-arbitre. Depuis qu’il n’y a plus rien à découvrir (la Terre est ronde et l’espace est infiniment vide), l’humanité avance en reculant. Les agitateurs de 1968 ont perdu plus que leur crédibilité en retournant à leurs études : ils ont perdu leur avenir. Ils ont perdu le droit de rêver, de se perdre, de s’émerveiller… Et ce manque d’avenir ils l’ont jeté à la face de leurs enfants comme si ces derniers en étaient responsables ! Ils ont transformé le monde en une vaste salle des marchés et spéculent sur une matière première qui a encore ses dents de lait…
Les jeunes du XXIe siècle appartiennent à une génération « copiée-collée ». Leur musique est celle de leurs parents, leur cinéma est celui de leurs parents, leurs rêves et leurs cauchemars sont soigneusement élaborés par la télévision. L’espace publicitaire est devenu la plus montrueuse des écoles. Mode, culture, voyages, jusqu’aux indignations écologiques, tout est puissamment orchestré par quelques vieux décideurs rancuniers et nostalgiques.
Ha ! La nostalgie. Cette putain de nostalgie que ces salopards de vieux infligent à leurs gamins. Cinéma : des remakes, musique : des reprises, philosophie : des remugles, libertés : des retards…
Peu après avoir fini ce livre, je suis tombé sur des affiches publicitaires dans le couloir d’une ligne de métro. J’ai d’abord éclaté de rire devant le ridicule de ce qui y était annoncé puis, en faisant le lien avec ce livre, j’ai eu envie de vomir. J’ai cinquante ans (largement au-delà de la limite permise par les Théoriciens) mais je n’ai jamais trouvé que « c’était mieux avant ». J’ai aimé ce que j’ai lu, vu et surtout entendu mais c’était hier. Hé bien, non ! Peter Frampton revient nous jouer son « Frampton Comes Alive » qui le rendit célèbre en… 1976 ! tandis que Ian Anderson reforme son Jethro Tull pour une tournée « Thick As A Brick », album de 1972… Et ce ne sont que deux exemples parmi d’autres. C’est juste écœurant. La nostalgie est une guimauve tiédasse dont l’abus est toxique.
Heureusement (ou malheureusement ?), je n’ai pas eu ce livre entre les mains au moment où les punks crachaient « no future » à la face d’un monde gérontocrate ! La haine du jeune (ce rebelle, ce voyou, cette racaille) est une rengaine constante des journaux télévisés. Alors, on tente le formatage par la consommation dès le plus jeune âge. Maintenant, il faut naître déjà adulte et muni d’un plan de carrière dûment tamponné et financé. Comment ne pas avoir envie de brûler un système qui ne laisse plus le temps de grandir ? Dès que fut retombé le soufflé de 1968, les hippies renoncèrent à changer le monde et John Lennon l’annonça officiellement en 1970 : the dream is over…
Aux cours des Imaginales 2010, ce livre a reçu le prix décerné par un jury de lycéens. Peut-être que tout n’est pas perdu et que le pire est vraiment à venir ? Il n’est qu’à constater la détermination avec laquelle les gouvernements du monde entier luttent contre l’expansion et la neutralité du web (territoire jeune par excellence) pour espérer que se lève enfin la saine et définitive révolution qui aura raison de l’immortel silence dans lequel nous nous sommes endormis…
Le dernier mot pour Maïa :
« De quelle autorité peut se targuer un mec qui écoute la même musique que toi, généralement infoutu de t’aider à faire tes devoirs et d’envoyer un e-mail ? […] De plus, les vieux innocents n’existent pas. Ils ont tous au moins tué un jeune : celui qui vivait en eux. »