Le champ politique français, déjà bien encombré de zones d’ombre, de puits sans fonds, de miroirs aux alouettes et de souterrains labyrinthiques, tous plus minés les uns que les autres, vient donc de se doter officiellement (puisque succès populaire, hélas ! il y eût), d’une nouvelle étrangeté : les « primaires ».
Cette américanisation croissante des mœurs politiques françaises me semble aller à l’encontre de la plus élémentaire philosophie politique : l’expression du citoyen. Je vais développer par la suite mais ce système de « primaires » va avoir deux effets néfastes et ce à très court terme puisque (malheureusement) son succès va faire école :
- l’officialisation du bi-partisme qui n’est autre que la fin du pluralisme politique et de ses nuances ;
- l’officialisation de la préférence donnée aux personnes plutôt qu’aux idées.
Malgré les réjouissances des élus et des éditorialistes qui y voient de la modernité, j’ose prétendre que nous vivons-là le jour 1 de la fin de la démocratie (qui n’était certes pas en très bon état). Mais il est trop tard pour pleurer : « alea jacta est ! » comme on disait jadis dans cette autre république de référence qui finit par mourir de trop d’arrogance et de corruption.
La fin du pluralisme
Beaucoup de pays pratiquent le bi-partisme. La plupart, occidentaux. Avec la même structure : une prétendue droite plus ou moins xénophobe, sécuritaire et désireuse de se débarrasser de l’État qui les paye d’ailleurs grassement pour ça, opposée à une prétendue gauche plus ou moins sociale et ouverte sur la culture, désireuse de renforcer les prérogatives de l’État mais n’hésitant jamais à vivre des subsides lobbyistes (pardon, des dons désintéressés) des investisseurs privés. À l’usage, les différences sont assez faibles et les thèmes de campagne sont totalement interchangeables selon que l’on se trouve au pouvoir ou en recherche de pouvoir au moment de ladite campagne.
La France faisait encore figure d’exception. Certes les deux poids lourds (PS et UMP) se partageaient régulièrement et alternativement les meilleures parts du gâchis du gâteau démocratique. Mais de part et d’autre de leurs champs de ruines idéologiques, on pouvait encore apercevoir des groupuscules plus ou moins vociférants, tenter de se goinfrer des quelques miettes que laissaient échapper, parfois volontairement, les gosiers saturés des goinfres dominants.
La fin des idées
Le système des « primaires » va obscurcir la visibilité des vociférateurs périphériques en utilisant tout l’espace médiatique, un peu à la façon d’une émission de télé-réalité. Le téléspectateur-électeur va choisir un représentant sur des critères de visibilité affective immédiate de la même manière qu’il choisit déjà un chanteur. Dans une émission de télé-réalité, la question de la production, de la diffusion, de l’organisation des concerts, de la redistribution, de la légitimité de la notion de droits d’auteur, tout ça ne compte pas. On te demande juste de voter pour Kevin ou Nina ! Et ensuite d’aller voir leur spectacle et d’acheter leurs CDs. La politique-spectacle induite par les « primaires » sera du même acabit. Tu n’auras plus le choix de changer de crèmerie. Juste celui d’en désigner le gérant.
Sachant que les gérants potentiels sortent tous de la même école, habitent tous le même quartier, fréquentent les mêmes personnes, sont formés aux mêmes idées avec les mêmes méthodes, comment dire… Le bi-partisme, ne sera pas l’impitoyable confrontation entre deux grands de courants de pensées, ce sera un parti qui gagne et l’autre qui ne perd pas.
La fameuse loi sur le financement des partis politiques (loi du 11 mars 1988, de nombreuse fois retouchée), officiellement votée pour lutter contre la corruption desdits partis (corruption délicieusement appelée « financement illégal »), n’était finalement que la première pierre du bi-partisme à la française. Les « primaires » en seront la clef de voûte et il sera difficile de revenir en arrière.
En route, compagnons et camarades, vers le bi-partisme unique ! Quant à vous, amis de la démocratie, toutes mes condoléances.
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