Les deux facettes du vent. D’abord, le souffle. Comme celui, délicat, propulsé par une bouche amoureuse qui effleure — à lèvres de velours — la peau fragile d’un cou. Puis le terrifiant tonnerre qui transforme bouche et cou en étal de boucherie un jour de grande promotion sur le steack haché grand cru. Entre les deux, la différence n’est qu’une question de puissance et de rayon d’action.
Un spectacle fonctionne sur le même mode. Ce qui ne veut pas dire que le spectacle en question est du vent. Juste qu’il est capable d’en générer. Car un spectacle commence bien souvent par un souffle d’inspiration. Puis, chemin faisant, il espère se conclure sous un tonnerre d’applaudissements.
D’habitude, nous n’avons que le loisir d’assister au tonnerre. Nous ne sommes qu’une étincelle parmi les embrasements qui attisent ce tonnerre. Une étincelle qui brille de mille souffles et qui, ni ne détonne, ni ne détone au milieu des autres étincelles.
À la longue, le tonnerre est lassant. Ce sont finalement toujours les mêmes schémas. L’essentiel étant de faire du bruit. Beaucoup de bruit. Parfois pour rien. Mais il faut bien remplir les théâtres pour qu’y subsiste ad vitam le souffle délicat des amants de Shakespeare.
Un théâtre se contente aisément d’un souffle pour agiter le grand rideau entre deux représentations ; pour prendre des nouvelles des anciens directeurs pendant le long monologue de l’acte deux ; pour se moquer de la sophistication des décors qu’il jugera inversement proportionnelle à la sophistication des intrigues ; pour — le temps d’un trou de mémoire d’ambitieux débutants — avoir la nostalgie des Scapin et des Amphitryon.
Mais les gens de comédie exigent désormais le tonnerre. Des micros. Des amplis. Du son haute-fidélité. Des arènes couvertes pour que l’écho du tonnerre ne se perde pas au-delà de leurs rêves de grandeur !
Back in the days.
Alors que je m’apprêtais à participer à l’un de ces monstrueux tonnerre qui jalonnèrent ma découverte des musiques électriques, un article en anglais a délicatement posé le souffle de la raison sur la peau tannée et cousue main qui me servait alors de portefeuille. J’ai arraché la page du journal, je l’ai pliée en quatre et glissée dans ledit portefeuille. Je pensais le lire à tête reposée le lendemain. Le temps de laisser le tonnerre dissiper ses derniers vrombissements. Mais le tonnerre n’aime pas la concurrence. Comme tout bon Goliath, il sait parfaitement qu’un souffle est un David qui s’ignore. Et sa brutalité de tonnerre ne vise qu’à te permettre de ne jamais le découvrir.
Aussi, le lendemain matin (vers 14h30 ou 16h00, je ne me souviens plus), en ouvrant mon portefeuille, j’ai découvert une page salement humide de sueur et peut-être de bière — n’ayant pu évité toutes celles qui soudain se sont mises à voler comme une escadrille de bombardiers anglais sur une ville normande. Impossible dans ces conditions de savoir exactement quel tonnerre elle renfermait. Mais je me souviens partiellement du souffle de la phrase qui me l’avait fait mettre de côté.
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Le leitmotiv en était simple voir simpliste. Il est possible qu’à cette époque j’ai pu le taxer de simplet. L’idée principale étant qu’on met trop d’énergie à supporter les tonnerres exogènes et pas assez pour aller à la chasse aux souffles locaux qui s’ébattent dans les frais bocages alentours.
Qu’importe, pour un tonnerre, une étincelle de plus ou de moins ? C’est comme retirer trois gouttes à l’océan : il ne s’en apercevra même pas. Même si chacun d’entre nous lui en prélève trois gouttes, ça ne fera de toute façon qu’à peine vingt milliards de gouttes. À quelques milliards près. Trois fois rien au regard de son immensité. Une simple goutte d’eau dans le vaste océan. Et cela ne l’empêchera nullement, les jours de grande colère, de déverser des tonnerres d’écume sur tout ce qui ressemble à une terre habitée.
Par contre, si chacune de ces étincellles s’en va soutenir un souffle voisin, c’est donner une chance à ce souffle de devenir tonnerre. Ce n’est d’ailleurs pas forcément un cadeau à lui faire mais c’est dans la nature des choses. Toute chenille se rêve en papillon léger et coloré — à l’exception, peut-être, des chenilles des chars d’assaut mais va savoir : peut-être qu’ils s’échappent des papillons diaphanes des corps qu’elles écrabouillent ?
Dans sa longue transhumance pour devenir tonnerre, un souffle est parfois soumis aux tourbillons contraires d’un alizé d’altitude qui se chamaille avec un sirocco ou l’un de ses frères et sœur : mistral, autan et tramontane. Ces chamailleries découragent parfois l’étincelle qui préférera alors la tiédeur réconfortante d’un tonnerre récurrent. Car en cela le tonnerre est reposant puisqu’il suffit de le subir. Pas de question, pas d’alternative. Tu le laisses t’emporter où bon lui semble avec la certitude qu’au final il te déposera à ton point de départ, à peine plus essoufflé. Le spectacle du tonnerre est devenue une routine sans surprise. Juste un surplus de lumière pour te faire croire à de l’extravagance.
Accompagner un souffle et tenter de deviner le prochain chaos d’une trajectoire encore aléatoire est un exercice parfois déstabilisant. Mais plus intéressant. Ne serait-ce que parce que chacun d’entre nous rêve d’un second souffle. Voir s’envoler la brise légère qui briserait le confort des tonnerres familiers. Ne pas avoir de réponse. Ne plus prendre d’habitude. Se laisser également emporter mais sans jamais savoir où sera le point de chute.
Chuuuut… un souffle est en apesanteur et cherche des étincelles.
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Les Soulmates sont assignées à résidence au théâtre Darius Milhaud à Paris. Darius Milhaud qu’il ne faut pas confondre avec Dario Moreno même s’ils sont tous les deux allés à Rio, l’un pour entretenir le souffle, l’autre pour y ramener le tonnerre.
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