T’es revenue, mini-môme ?

Cet article a d’abord été mis en ligne le 30 janvier 2017, peu après les « primaires socialistes  » qui ont confirmé l’effondrement de ce parti tout en mettant en avant la possible nécessité d’un « revenu minimum universel ». La version ci-dessous est revue, corrigée et augmentée suite à une mini-conversation avec Julie.

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Même si ça a mis le temps, cet imposteur de Valls a donc pris la danse qu’il méritait. Contrecoup inévitable : Mélenchon en profite pour faire le pharaon tout autant qu’Hamon ! Du coup, le gros débat des prochaines semaines, des prochains mois, des prochaines années est celui qui s’amorce sur — attention ! éloigne les enfants, les personnes et les chiens sensibles puis ouvre tout ce que tu as comme guillemets de sauvetage — la possible instauration d’un « revenu citoyen minimal de base universel pour tous mais c’est pas sûr et qui c’est-y qui va encore payer ? »

Comme tous débats de société qui ne manipulent que des concepts économiques au lieu de commencer par poser quelques fondements philosophiques, les débats sur le « revenu universel de base » — appellation non consensuelle — sont encore pour l’essentiel des concours de caricatures à côté desquelles celles de Charlie Hebdo ressemblent à un cliché IRM des compétences professionnelles de Pénélope Fillon.

Je te préviens donc tout de suite : cet article ne va pas vraiment t’aider à faire le point. Je ne suis ni philosophiste ni économien. Mon opinion sur le sujet est donc très vraisemblablement une caricature de plus. Je vais surtout en profiter pour tenter d’horribles jeux de mots et déféquer comme il se doit sur les politiciens de tous bords.

La routine, donc, puisque mes premières réflexions sur ce sujet délicat oscillent entre la virulence amusée d’un trente-cinq tonnes sans frein lancé dans une cour d’école nationale d’administration et la mauvaise foi la plus indélébile à faire passer le foie d’un alcoolique mondain pour du foie gras millésimé.

Si tu es sage, il y aura en fin d’article quelques liens plus sérieux traitant du « revenu universel de base ». Et si tu n’es pas sage, tu pourras garder ta carte d’électeur pour mieux choisir ton universel revenant…

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En 1795, l’anglo-franco-américain Thomas Paine imagine un premier concept de revenu de base sous la forme d’une taxe foncière censée compenser le fait que certains propriétaires possèdent beaucoup quand d’autres n’ont aucune parcelle à cultiver alors que la terre — par définition et avant travaux de culture — appartient à tout le monde. Posséder trop de terres cultivables c’est mécaniquement priver autrui d’un droit à la subsistance. Pour le bien de la collectivité, il est donc nécessaire de taxer les terres surnuméraires et de redistribuer le montant de cette taxe aux démunis. Il est comme ça, le Thomas. Faut pas lui casser les couilles avec des idées conservatrices de baronnet des Hauts-de-Seine. Tu accapares, tu répares ! Point barre.

L’idée n’a malheureusement pas eu un grand sucès et le nanti-social n’a point perdu son sang froid à craindre qu’une juste revendication ne vienne l’amputer de biens dont il n’avait pourtant aucun usage réel, ni vital, ni décent. C’est bien là tout le problème des amasseurs et des collectionneurs : on passe vite du chapardage coup-de-cœur sur un vide-grenier du quartier au vol à l’étalage en bande organisée. Et qu’est-ce qu’un super riche très riche sinon un super voleur très voleur (indice : la réponse est peut-être dans la question) ?

Mais le propre des bonnes idées est qu’elles sont intemporelles et peuvent s’appliquer n’importe quand. Elle a donc fait tranquillou son chemin jusqu’à nous et la voilà qui débarque au moment le plus opportun dans cette année électorale à hauts risques. Le risque le plus haut étant que les électrices et les électeurs se laissent encore traîner comme des moutons dans d’éphémères abattoirs à petit rideau opaque derrière lequel ils pourront désigner l’équarisseur le plus à même de leur prélever les os et les abats.

Comme tu le liras au-delà de ce texte si tu fais l’effort de te renseigner, il existe plusieurs propositions de « revenu universel de base ». Leur seul point commun étant la (re)distribution par l’état d’une somme forfaitaire. Je t’accorde que ça fait léger comme point commun mais c’est déjà ça.

À partir de là, évidemment, ça diverge sauvagement et ça se perd dans des théories savamment alambiquées et parfois hypocrites comprises entre des extrêmes aussi éloignés que les grotesqueries faussement charitables des néo-libéraux et l’idéalisme néo-hippie des bourgeois d’extrême-gauche. Entre les deux, des gens sérieux (dont certains sont même sympathiques) réfléchissent aux tenants et aux aboutissants de cette révolution sociale. Le mot n’est pas trop fort. Il s’agit bien d’une révolution dans le sens où il y aura un avant et un après très clairement identifiable.

Parmi ces théories, deux se dessinent (hélas !) priortairement : certains pensent qu’il serait judicieux de remplacer toutes les aides sociales actuelles par une unique allocation pas trop élevée en numéraire de façon à ne pas couper l’envie de travailler chez des gens déjà fortement enclins à feignasser toute l’année en dormant plus que de raison sur les trottoirs de la ville quand d’autres se voient déjà en train de faire les poches des uns pour remplir celles des autres. Dont les leurs.

Ailleurs :

  • on prétend appliquer des taxes et des surtaxes ;
  • on veut diminuer le temps de travail ;
  • on cherche à réévaluer la fiscalité homme-machine dans une société de plus en plus robotisée ;
  • on imagine remplacer les rémunérations en devises par de l’échange de services ou de la monnaie locale ;
  • on espère changer l’eau en vin et le vain en nô ;
  • on intime de limiter les récipiendaires aux seuls précaires ;
  • on clame en faire bénéficier absolument tout le monde y compris les enfants ;
  • on recalcule des sommes allant d’un demi RSA à deux SMIC ;
  • on exige des conditions ;
  • on refuse de mettre la moindre condition ;
  • on insiste sur l’obligation d’une petite condition ;
  • on répète que non, c’est sans condition ;
  • allez ! fais pas ta pute !
  • c’toi la pute !

Ambiance.

Avant de t’exposer ce que j’en pense, je t’invite à réfléchir à cette petite mise en contexte, ce nécessaire préalable à toute réflexion.

Une seule question importe vraiment : dans quelle type de société veux-tu vivre ? De ta réponse, dépendront le choix d’orientations politiques permettant la mise en place d’outils économiques nécessaires à l’établissement de nouvelles relations sociales (ou à leur enterrement définitif). Ce n’est pas une question simple. Loin de là. Il ne suffit pas de lâcher quelques mots symboliques comme on déroulerait des arpèges sirupeux à un auditoire fasciné par avance. Il s’agit d’une mise en perspective globale. Passé, présent, autrui, soi-même, pragmatisme, idéalisme, hantises, rêves, faiblesses, compétences, tout doit être pensé simultanément pour avoir une chance de s’articuler à peu près harmonieusement. La perfection n’existe en aucun domaine et c’est tant mieux.

Et contrairement à ce que croit énormément de monde à force de se gaver des discours imbéciles des politiciens professionnels, la future « meilleure » société ne se construira pas sur le progrès mais sur le renoncement. Quelque soit ce que tu mets derrière « meilleure ». Pour une raison simple : il y a de moins en moins de matières premières (eau potable, bois, métaux, gibiers, énergie fossile, etc) mais toujours plus de monde à en avoir besoin puisque la population mondiale augmente fortement et tend à vouloir s’approcher du niveau de vie le plus élevé possible. Et ce niveau de vie élevé, globalement, c’est le nôtre.

De plus, ces matières premières nécessitent de moins en moins de travail manuel pour être utilisées, de leur extraction à leur transformation. Et quand elles en nécessitent encore, ce travail est très largement pénible mais, en proportion de cette pénibilité, inversement rémunéré. Du coup, l’exploitation de ces matières premières induit plus de richesses (financières, boursières, immobilières, etc) et conséquemment, pour leurs détenteurs, plus de pouvoirs.

Soit, on se partage ces richesses de manière équitable (et non égalitaire, ce qui n’a pas aucun sens) notamment, pour nous occidentaux, en renonçant à beaucoup de notre confort matériel, soit, on continue de permettre à quelques-uns —par nature, de moins en moins nombreux — d’user de tous les moyens pour s’en accaparer toujours plus, en espérant, pourquoi pas, sur un malentendu ou un billet de loterie, en faire partie.

Si ta société idéale est l’égoïsme actuel mais en pire, ne change rien, tu es bientôt au bout de ton rêve !

Si, par contre, tu as une légère tendance à l’altruisme, à la compassion, à l’empathie voire — car tu es peut-être complètement fou — à l’universalité, alors il va falloir sérieusement réfléchir avant de faire quoique ce soit qui pourrait se révéler pire que le mal. Genre ouvrir d’un coup toutes les cages à z’oiseaux à la mi-août…

N’importe quelle solution entre ces deux antagonismes appartiendrait de toute façon à l’un d’entre eux. Partage ou accumulation. Il n’y a ni autre choix, ni choix intermédiaire. D’où l’intérêt de raisonner sur les extrêmes de ces choix de façon à pouvoir les affiner au contact de la réalité qui ne tardera pas à les labourer, l’un et l’autre, de ses gros sabots cloutés !

Avant toute chose, il faudra procéder à un gigantesque état des lieux global et attribuer à chaque item de cet état des lieux un indice de faisabilité selon la quantité de changements à opérer. Il faudra ensuite qualifier ces changements. Puis les prioriser : d’abord parce qu’on ne peut pas tout changer d’un coup, ensuite parce que certains changements dépendront de changements préalablement effectués. Il faudra aussi les documenter : les changements, par nature, impliquent des résistances. Il y aura donc beaucoup d’explications à fournir. Enfin, il faudra prévoir des aménagements progressifs et résiliables (les fameux renoncements) parce que ce qui te convient ne sera pas forcément du goût de tout le monde. Et cette dernière partie sera forcément la plus emmerdante. Parce qu’évidemment tu ne comprendras pas pourquoi tes super bonnes idées sont systématiquement rejetées.

Alors inscris-toi cette maxime universelle quelque part et garde constamment un œil dessus au fur et à mesure de l’avancement de ton projet :

« On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. »

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Bien. Quel pourrait être ce fameux « revenu universel de base » à la sauce Cynozophrène Mural, compte tenu de tout ce dont je t’ai déjà fait part depuis que j’ai ouvert ce blog ?

Premièrement, je suis chagriné par son appellation et son objet car il laisse entendre que le problème vient d’en bas. Tous ces pauvres font chier, vraiment ! Mais assieds-toi et réponds : qui les a fabriqué ? Tu crois qu’ils poussent sur les arbres ? Sur des pauvriers géants qui fleuriraient toute l’année ? Tu penses qu’ils se cachent dans des terriers à proximité des stations de métro qu’ils envahissent aux premières lueurs du jour pour s’éventer les dessous de bras ?

Le problème n’est pas les pauvres. Leur présence est la conséquence d’un problème en amont. Le problème est qu’on pourrait s’éviter cette pauvreté qui menace désormais quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent, ne laissant à la richesse — sa sœur jumelle — qu’un seul individu à régaler. Le problème n’est donc pas « d’enrichir » les pauvres par des mesurettes de redistributions mollassonnes et mal fagotées. Le problème est d’appauvrir le salopard qui se tape tout seul tout le repas !

Parce que l’humanité n’est pas née pauvre. Pas plus qu’elle n’est née riche. Elle est devenue l’une ou l’autre ! Insérer ici les remerciements adéquats pour Simone de Beauvoir à qui j’emprunte très souvent — pour mieux la détourner — sa phrase emblématique. Aussi, ce n’est pas à la base qu’il faut traiter le problème mais à la cime.

C’est pourquoi je remplace le concept de distribution d’un « revenu universel de base », par un concept de « plafonnement universel des revenus ». D’où l’intérêt d’un état des lieux préalable pour comprendre comment sont générés les revenus et quelle en est la masse à redistribuer.

J’entends déjà les critiques : combien et comment ?

Premièrement, on se fout du combien. Le bien-être n’est pas un chiffre. Et les ressources ne se partagent pas en parts plus ou moins égales comme on le ferait d’un gâteau — même caricaturalement. La question du combien est du ressort de l’économie après qu’elle aura fait mouliner ses équations dans son grand mixer à chiffres.

Deuxièmement, ce moulinage ne devra intervenir qu’après validation du projet philosophique. C’est le rôle de toute philosophie d’initier et de questionner les concepts avant de les soumettre à l’outil économique qui n’est qu’un exécutant, pas un décideur. Tu ne demandes pas au marteau et au tournevis de dessiner les plans de ta maison ? De même, tu ne demanderas pas à un statisticien de concevoir un modèle de société. Ce n’est ni son rôle, ni sa compétence.

Commencer un projet par les questions de financement, c’est faire le jeu du capitalisme financier qui trouvera forcément de bonnes raisons, d’une part, de ne rien te prêter, d’autre part, d’être sûr de tout te reprendre au centuple si d’aventure il s’est laissé aller à te filer cent balles.

À première vue, ce concept de « plafonnement universel des revenus » pourrait s’articuler selon un schéma qui ressemblerait au mécanisme sexy et merveilleux de la fameuse poire Belle Hélène. Excepté que la cuillère censée ramener le chocolat écoulé vers le haut de la poire, serait un mécanisme interne à la poire — sur le modèle des SCOP ou des entreprises solidaires ? — comparable aux multiples dérivations présentes dans la cheminée d’un volcan et qui servent à répartir proprement les remontées de magma dans les flancs de la montagne, stabilisant celle-ci en vue de la grande éruption qui arrosera le paysage alentour de bon chocolat fondu et bouillonnant ! Lequel chocolat, après refroidissement et lente désagrégation se préparera à remonter tranquillement, par étapes, vers le haut de la poire. Ad vitam. Du moins, tant qu’il y aura du chocolat.

Et de suite, vient la question : Et ton chocolat, il vient d’où ? De nulle part. Il est déjà là. C’est la conjugaison d’une ressource disponible (voir plus haut) et du travail autant mécanique qu’intellectuel nécessaire à sa transformation. Et actuellement, ce chocolat est très mal réparti depuis que de mauvais alchimistes monopolisent les réserves de chocolat pour fabriquer du faux chocolat qu’ils revendent ensuite au prix du vrai chocolat !

Le but n’est pas de fixer un plafond numéraire arbitraire et de transformer illico cette pauvre poire en compote. Il y aura toujours des différences dans la distribution des revenus tout simplement parce qu’il y aura toujours une diversité d’emploi des ressources. Et — si tu me me lis depuis longtemps — tu le sais : je tiens plus que tout à la diversité. Car c’est la diversité de l’ensemble qui garantit l’unicité de chacun.

***

L’intérêt de ce système est double (au moins).

Premièrement, il est impossible de léser qui que ce soit en plafonnant les revenus. Qui a besoin de trente maisons ayant chacune quinze voitures dans chacun des huit garages attenants ? Sur le plan individuel, c’est juste stupide. Sur le plan global, c’est simplement criminel.

Deuxièmement, en réduisant mécaniquement — par le plafonnement — la différence entre « riches » et « pauvres », on élimine quasiment les sentiments et attitudes négatives inhérentes à cette différence : frustration, jalousie, vol, abus de confiance, détournement, optimisation fiscale, etc. Et ce quelque soit le niveau du plafonnement qui, en outre, aura — autant par définition que par obligation — la souplesse de s’adapter plus facilement aux conditions sans cesse changeantes des niveaux de ressources.

Le changement, finalement, c’est quand tu veux !

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Quelques liens pour te faire ta propre idée :

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