Queue veau l’avis ?

En passant devant la vitrine de la librairie, tu ne peux pas manquer la pile de livres et ce titre (un sous-titre, en fait) qui t’oblige à chercher une réponse : Que vaut la vie ?. Je ne vais pas t’imposer un long texte abscons. Je vais te donner la réponse immédiatement et je m’étalerais ensuite. De ton côté, tu feras bien ce que tu veux.

Question : Que vaut la vie ?
Réponse : La vie vaut d’être vécue.

Voilà. Si tu as compris la réponse, ta lecture s’arrête là.

Si la réponse est simple, voire évidente, la question est étrange. Pourquoi vouloir accorder une valeur globale à quelque chose qui est déjà, en soi, un ensemble de valeurs particulières ? Car se demander quelle est la valeur de la vie suppose qu’on lui en accorde une, fut-elle indéterminée ou mouvante. Si le titre en question avait été : À quoi sert la vie ? — réponse : à rien et c’est bien pour ça qu’il faut en profiter — ou La vie : sa vie, son, œuvre., il aurait pu y avoir débat autour de différentes réponses. Se demander ce que vaut la vie a, à peu près, autant de sens que se demander quel âge a le vent.

Évidemment — encore que cette évidence ne soit pas si manifeste — il n’est pas ici fait référence à la vie strictement biologique. Notamment parce que ce sous-titre est celui d’une thèse sur un livre religieux bien connu. La vie strictement biologique a comme valeurs des constantes physiques et chimiques qui règlent son quotidien et son renouvellement de façon parfaitement cycliques et prévisibles, point à la ligne. Prévisibles dans le sens où tant que les conditions physiques et chimiques à la surface de la Terre seront connues et faiblement variables, les mêmes causes — celles qui permettent de qualifier un organisme de vivant — produiront toujours les mêmes effets. Les façons de respirer ou de s’alimenter, sur le plan biochimique, seront toujours moins changeantes que les certitudes économiques d’un candidat socialiste. Les chloroplastes des végétaux, qui changent le gaz carbonique en oxygène, et les mitochondries animales, qui changent l’oxygène en gaz carbonique, fonctionnent ainsi depuis maintenant quelques centaines de millions d’années, assurant un statu quo biologique, plus complexe que ce que j’en décris mais globalement invariant.

La question de la valeur de la vie s’applique donc essentiellement à cette saloperie de vie humaine que certains aimeraient bien, en la valorisant donc en la hiérarchisant, différencier de la vie sans surprise des plantes et des animaux. Les notions de bien et de mal ont été inventées pour ça : pour différencier et hiérarchiser. Pour juger et pour condamner. Arbitrairement. Au moins à la base. Il a bien fallu qu’un jour — un de ces jours monotones d’arrière-saison quand la pluie fine et continuelle forme un rideau opaque et masque l’horizon de son imperceptible mais subliminal tempo à la longue assourdissant — il a bien fallu que ce jour-là quelqu’un décide de hiérarchiser les actions quotidiennes des membres de sa tribu, actions jusqu’ici légitimées par des besoins vitaux : manger, se défendre, se reproduire, vivre.

Les conditions exactes de cette hiérarchisation nouvelle ne seront jamais connues. Et tant mieux. Il y aurait le risque de s’apercevoir qu’elles n’étaient pas fondées. Cette saloperie de vie humaine n’aura toujours comme valeurs réelles que ces fameuses constantes physiques et chimiques, à l’unisson de n’importe quel amibe, algue ou lichen : mais de valeur hiérarchisable, aucune. La vie est un phénomène trop incohérent et improbable au regard de la réalité de l’univers connu. Vouloir lui donner une autre valeur, lui attribuer une valeur et une seule, ce serait vouloir — je radote — donner un âge au vent, une couleur à l’ennui, un prix à l’amour.

Ce premier imbécile qui s’avisa de donner une valeur aux actes, de hiérarchiser le quotidien de ses semblables, celui-là initia alors la perturbation sociale : les systèmes de castes et de classes, la finance, la guerre, la compétition, les médailles, les tabous, les interdits, les lois, les frontières, la grammaire… et les bibliothèques fermées le dimanche.

Salaud !

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