Ovide et le grand vide : conclusion

(réflexions semi absurdes sur une situation pleinement embarrassante)

Il y a deux mille ans, à Rome, naissait la littérature latine, ancêtre de tout ce qu’aujourd’hui tu lis ou regardes. Car télévision et cinéma ne sont toujours que de la littérature déguisée. Cette littérature latine a elle-même pour ancêtre la mythologie grecque. Le monde grec antique est mort depuis longtemps mais son art et sa philosophie seront conservés par des romains avides de beauté et de reconnaissance qui en réécriront intelligemment la moindre parcelle. Parmi ces écrivains romains figure Ovide, un type à part. Né riche, érudit, intelligent, porngraphe et rétif à l’autorité, il voyage énormément mais reste attaché à la Grèce (alors colonie romaine) et aux splendeurs de son passé. Lassé de ses écrits érotiques qui lui valent à la fois le succès et les ennuis, il se lance dans un projet audacieux : la réécriture de la mythologie grecque.

Cette réécriture, il la coordonne autour d’un thème central : la faculté pour les dieux et les déesses de se transformer en humain, en animal ou en tout autre chose dans le seul but de tromper ou de se venger d’autres déesses ou d’autres dieux, voire pour simplement emmerder le monde des simples mortels comme si ces derniers n’avaient déjà pas assez de problèmes ! Ces transformations, Ovide les nomme « Métamorphoses ».

Avec un brin de mauvaise foi (dont je ne suis pourtant pas coutumier), je vois dans ces « Métamorphoses » la première grande histoire du masque. Les dirigeants ont remplacé les divinités mais leur façon d’agir est la même. Se grimer, se vêtir, se revêtir, se costumer, se maquiller, se travestir, se camoufler, s’apprêter, se pomponner, se cacher derrière des discours et des postures pour finalement ne prendre soin que d’eux-mêmes.

Le fait que toutes et tous (ou presque) soyons aujourd’hui contraint.e.s de déambuler sous masque devrait nous inciter à reconsidérer notre rapport à toute forme de pouvoir. Bien sûr, en ces temps de contagion aérienne, le masque chirurgical qui nous anonymise un peu plus dans la foule, est une prévention efficace et (je le crois) nécessaire. Il a aussi ses avantages. Personnellement, je n’ai plus ni rhume, ni allergie aux pollens depuis que je le porte. Surtout, les gens que tu croises, tu ne peux plus les identifier que par leur regard. Ce regard si personnel et si invariant qu’il peut tout révélér d’une personne. Car même blotti au sein de yeux outrageusement maquillés — et pour ma part, l’outrageux peut vite venir d’un simple trait — un regard ne change pas.

Et que reste-t-il pour tromper son monde lorsque tu n’as plus que ton regard pour t’exprimer? Peut-être est-ce une des raisons inconscientes parmi celles qui animent les anti-masques ? Ce port involontaire du masque qui, pour le coup, nous démasque, est peut-être le déclic nécessaire pour entamer la métamorphose du « monde d’avant » en « monde d’après ». Cette fois, sans masque, sans frasque et sans histoire ou personnage fantasque.

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