Dernière station (anonyme) avant l’autoroute (de l’information)

L’année est à peine entamée que déjà fleurit sur le web l’inquiétude de l’avenir. Il est vrai qu’il faudrait être optimiste cinquième dan ou ministre dans le gouvernement Ayrault pour imaginer que quoi que ce soit puisse s’améliorer alors que quiconque possède la moindre once d’influence sur autrui se rêve en Alexandre ou en César, n’agissant plus que par stricte ambition personnelle, et que la moitié du monde n’a plus que quelques semaines à vivre, achevée qu’elle sera par la faim, le froid, la guerre, la maladie, la haine, l’intolérance, la rancœur, l’égoïsme et la consommation excessive de discours politiques aussi lisse et creux que le rectum d’une jeune hongroise au sortir d’un casting pour gonzos russes…

Surveiller, contrôler, savoir… les hommes ont de longue date imaginé toute une panoplie de moyens pour (tenter d’)exercer un contrôle sur leur congénères.

Dans les sociétés à peu près organisées, ces moyens passent invariablement par une forme de violence : police, armée, diplôme, impôt, festivité obligatoire, religion, le but étant, pour qui à le pouvoir ou le représente, de contraindre l’autre à accepter des règles (que ces règles offrent un quelconque confort civilisationnel n’est qu’un effet collatéral).

Mais qui dit contraintes, dit rébellion. Et qui dit rébellion dit (parfois) changement de pouvoir. Un pouvoir en place a donc tout intérêt à ce que ses [attention un intrus s’est glissé dans cette liste : ouailles, serviteurs, moutons, esclaves, travailleurs, électeurs, graines d’ananar] se plient à sa contrainte dans la joie et la bonne humeur. Les fêtes collectives, la mode, l’industrie des loisirs et les compétitions sportives ont été créées pour cela. Mais ce n’est pas suffisant et parfois contre-productif : les grands rassemblements de population ont toujours fait peur aux dirigeants en place.

La question est donc : comment amener ces [attention un intrus s’est encore glissé dans cette liste : ouailles, serviteurs, moutons, esclaves, travailleurs, électeurs, libre-penseurs] à réagir collectivement tout en restant physiquement isolés les uns des autres ? Qui a dit « réseaux sociaux » ? Ce n’est qu’une partie de la réponse.

La technologie ne reculera pas. Aucune société humaine n’a jamais régressé technologiquement. Bien, au contraire, beaucoup ont disparu faute d’avoir su, voulu ou pu s’adapter aux évolutions. Ce constat n’est en rien qualitatif. C’est un constat. Froid. Comme la paroi interne d’un rack de serveurs.

Ainsi, nous n’échapperons pas à la conquête spatiale, au nucléaire, à la robotisation, au clonage thérapeutique pas plus qu’aux OGM ou aux écrans multiformes qui seront bientôt la seule interface possible pour « voir » le monde.

Ce n’est ni bien ni mal, c’est la loi du genre humain : Deus ex machina !

Il n’y a donc pas lieu de redouter ce qui s’avère inéluctable, ça n’aurait pas de sens. D’autant que toutes les machines, aussi bien huilées soit-elles, ont droit au grain de sable qui les enrayera. C’est aussi une loi du genre humain : détruire pour toujours reconstruire.

À partir de là, l’inévitable mise en données triées, recoupées, stockées, de chacun d’entre nous dans le grand bazar cybernétique doit être vu sous deux angles majeurs : un, les avantages collatéraux qui ne manqueront pas d’apparaître ; deux, la recherche et l’utilisation des fameux grains de sable propre à chaque technologie.

Côté avantages collatéraux : la simplification administrative (concept anti-français, s’il en est), la disponibilité de l’information et du savoir, et d’autres qui ne manqueront pas d’arriver comme la livraison de bières à domicile et à chaque kilomètre de ton voyage d’ici à là-bas, grâce à la géolocalisation en direct !

Côté grains de sable, il faudra néanmoins être un fin connaisseur des technologies. Contrairement à une idée très répandue chez les adeptes de l’anticipation et de la science-fiction, les ordinateurs et les robots ne contrôleront pas le monde mais ceux qui contrôleront les robots et les ordinateurs seront en position de force.

Les batailles économiques actuelles entre les principaux géants du web n’ont pas d’autres buts. La richesse économique est encore aujourd’hui le meilleur moyen d’acquérir rapidement une puissance technologique mais cela ne durera pas. La véritable richesse — et probablement la future monnaie d’échange — sera le savoir technologique.

Ainsi, non seulement il faudra laisser les machines fouiller dans nos vies pour en faire des puzzles quantiques que seuls les magiciens des bits sauront manipuler en aval, mais de plus, il faudra apprendre à manipuler ces données en amont de manière à contrôler ce que l’on donne aux machines. Ce sera une façon de rééquilibrer les pouvoirs, seul moyen d’échapper à une dictature stupide, forcément stupide.

La bataille a déja commencé.

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