Cher compatriote, très chère compatriotine

C’est le bordel, n’est-il pas ?

Je sais, personne n’a vraiment envie de retrouver Marine Le Pen présidente en 2017 voire avant au cas où François Hollande devenait soudain lucide et décidait de dissoudre l’Assemblée avant de démissionner puisque les deux ne nous servent plus à rien — ce qui n’est pas une raison suffisante, tu en conviendras, pour nous servir aryen…

Je te propose donc, en tant que citoyen de base, comme toi mais avec du temps en plus pour y réfléchir, une argumentation propre à te démontrer, un tel cas écherrait-il, qu’il n’y aurait de toute façon pas de quoi paniquer : les français sont peut-être râleurs, incohérents, individualistes et arrogants mais ils ne sont pas fascistes.

Ôte-toi de l’esprit la crainte — selon ton cas, remplace par : peur, obsession, fantasme, angoisse — d’une arrivée du FN au pouvoir dans notre vieillle et jolie France qui est certainement — et ce malgré les apparences que la presse s’ingénie à surcôter — le pays le moins fascisant du monde ! Pour une raison simple : son histoire, sa culture, sa population hétérogène, son arrogance et son élitisme même que je dénonçais dans le billet précédent. Car je suis convaincu qu’on peut sortir de cet élitisme sans craindre de tomber dans un quelconque autoritarisme populiste.

Contrairement à nos partenaires européens — d’où la très grande difficulté à bâtir une Europe des peuples mais ce n’est pas une raison pour en abandonner l’idée qui est la seule garante d’un non retour au fascisme pour beaucoup d’entre eux — beaucoup d’entre eux, donc, ont récemment connu des institutions de type fascistes et ce avec l’aval réjoui d’une grande partie de leur population : Grèce, Espagne, Portugal, Italie, Autriche, Allemagne. Il me semble, mais je peux bien sûr me tromper, que les Allemands et les Portugais sont définitivement guéris de cette addiction. Pour les autres — auxquels on peut adjoindre les pays baltes et nordiques (par leur culture païenne et leurs sagas qui glorifient la guerre et la suprématie du clan) ainsi que les pays occidentaux de l’ancien bloc soviétique (par leur rejet du libéralisme qui affame et leur servilité au monothéisme chrétien) — la tentation d’un retour à un régime autoritaire, nationaliste et ségrégationniste n’est pas qu’un épouvantail creux comme l’est notre FN depuis que fifille a tenté de tuer pépère à grands coups de dédiabolisation hypocrite (et infructueuse).

Sans remonter jusqu’à Napoléon Bonaparte et les absolutismes pré-révolutionnaires, régimes autoritaires classiques pour ces époques, le dernier épisode fascistoïde qu’a connu notre république s’est déroulé entre 1959 et 1970. Il porte le nom de gaullisme et a bénéficié, pour sa mise en place, des conditions particulières de l’après-guerre : rationnemement alimentaire, décolonisation forcée et brutale, présence américaine pesante sur le territoire, peur du bolchevisme, image du héros — et bien que le héros aura passé toute la guerre planqué à Londres à survivre des miettes parcimonieusement proposées par le tout-puissant et foutrement intelligent Churchill.

Plus près de nous, le sarkozysme, qui fut la piteuse tentative (la posture sans la raison) d’une réhabilitation mafieuse de ce gaullisme austère, a fait quelques gros dégâts dans la cohésion nationale — cette dentelle méticuleuse aux apparences fragiles mais tissée de soies solides car séculaires — mais a, pour cette raison, été largement rejetée y compris par beaucoup de ceux qui l’avait désirée.

Le FN n’a pas de cadre idéologique strict qui pourrait s’avérer applicable si d’aventure il gagnait les présidentielles de 2017. Les rares idéologues de ce parti sont vieux (donc bientôt morts) et leurs idées ne sont que les embryons mal décongelés des idées qui animèrent l’extrême-droite française dans les années 1930… Le cœur de son électorat, et tu le vois bien autour de toi, au café, en famille, au bureau, est soit aigri (la nostalgie de l’Algérie Française) soit stupide (les étrangers qui prennent le boulot des français) et ses relais institutionnels (armée, police, fonction publique) sont faibles.

OK, la France souffre d’une forme de racisme atavique mais qui n’a rien d’idéologique. C’est l’éternel guerre contre le village d’à côté. Les bretons contre les normands, les éleveurs de Cramoisy-le-Haut contre les céréaliers de Cramoisy-le-Bas… La meilleure caricature qu’on puisse en faire est le fameux banquet des fins d’albums d’Astérix. Il est possible que dans le village de Cramoisy-le-Haut le boulanger arabe ne parle pas au bistrotier auvergnat qui dédaigne le facteur sénégalais mais le jour du match contre Cramoisy-le-Bas, les trois sont côte à côte en tribune pour défendre leur équipe. La France est comme ça. Râleuse et incohérente. Ingouvernable avait dit je ne sais plus quel politicien (là je rédige dans un parc et je n’ai pas d’accès au web pour vérifier qui est le type qui eut un si soudain éclair de lucidité). Pas le genre, donc, à se laisser mener en bateau par la Marine même si — paradoxe ou sens inné du gag ? — elle est tout à fait capable de lui laisser le gouvernail…

Certes, dans sa galaxie de groupuscules plus ou moins affiliés, le FN peut compter sur de vrais violents récidivistes, de véritables nazillons au bras tellement tendu qu’ils pourraient travailler comme porte-étagère chez Ikéa (ce qui rajeunirait son patron…), mais leur nombre est insignifiant et leur puissance réduite à quelques coups d’éclats ayant la bonne idée (pour nous !) d’être incompatibles entre eux. Alors, oui, on peut craindre des débordements circonstanciés et ponctuels, mais de là à ce que ces imbéciles occupent toutes les sphères du pouvoir (et le maillage français est particulièrement dense et complexe), il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Le danger n’est pas là. Marine Le Pen au pouvoir avec son programme actuel c’est au mieux (ou au pire, selon l’angle de vue), un blocage complet des institutions et de fait une régression sociale et économique qui n’ira pas sans manifestations et grèves générales d’envergure, au pire (ou au mieux, selon l’angle de vue), l’étincelle qu’il fallait pour déclencher la nécessaire révolution, sans qu’on sache encore sur quoi celle-ci déboucherait…

La France est une grande bourgeoise prévoyante et cynique qui n’a jamais hésité à se servir ponctuellement des extrémismes pour asseoir sa domination et conserver ses biens mais elle ne leur laissera pas une place qu’ils sont de toute manière incapables d’occuper efficacement et dans la durée. Alors plutôt que de gémir sur ces 25% de votants parmi les 55% d’inscrits (ce qui ne fait pas grand chose au final), il serait préférable, à mon sens, de réserver cette énergie pour penser l’après-révolution qui viendra d’une manière ou d’une autre puisque c’est inscrit dans notre patrimoine culturel de français : il faut débarrasser la table en la brisant puis en la reconstruisant de guingois afin d’avoir un prétexte pour la détruire de nouveau !

On s’amuse comme on peut.

reflet d'un nom de bateau dans le port de l'Arsenal
L’évidence est parfois un peu floue…
(photo de l’auteur – 09 mars 2014 – Paris 04e, Port de l’Arsenal)

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