Autorité : de la confiance à la sanction

Deux articles sur Rue89, celui-ci et celui-là, me permettent d’envisager quelques hypothèses sur un évènement récent qui m’a profondément marqué.

Ce que dit Michel Winock dans ces deux entretiens sur les raisons et les méthodes des conflits sociaux made in France, décrits comme « culture française de l’affrontement » — le peuple contre l’État — me semble tout à fait applicable aux plus petites organisations.

Démonstration.

Attention : ça va être long et possiblement chiant… Tu es prévenue !


Quand je ne fais pas le clown sur le net, je passe quelques soirées (tous les vendredi) dans le froid parisien à tenter d’apporter un peu d’aide matérielle et de réconfort moral aux personnes défavorisées, abandonnées sans remords par le rythme trépidant de notre société. Personnes sans abris, chômeurs récidivistes, inadaptés en tous genres, retraités précaires, sorties de prison… De plus en plus de jeunes, de plus en plus de femmes, forment une masse de gens dont le yin et le yang s’appellent souvent résignation et désespoir…

Je ne rentre pas dans les détails de ce qui se passe ces soirs-là. Non pas que trop de détails tue le détail. Bien au contraire ! Trop de détails appelle d’autres détails puis d’autres encore. Et c’est ainsi qu’en lieu et place d’une histoire qu’on souhaitait générique, on transmet une exhaustive bouillie descriptive. J’aurais également aimé éviter les digressions, malheureusement, j’adore ça !

Pour clarifier quand même un peu les choses (ou tenter de), posons quelques repères.

Organisation : groupe d’au moins trois personnes liées par un objectif commun. En deça (deux, une, zéro), pas de possibilité d’arbitrage, de médiation ou de recours. Au-delà, plus le nombre s’élèvera, plus les possiblités de conflits augementeront et plus l’importance et la nécessité d’un arbitrage se fera sentir. Je pars du principe (par commodité) qu’une organisation agira toujours collectivement dans le sens qui lui semble le plus propice à sa pérennité quelle que soit sa structure, de la plus libertaire à la plus autoritaire, exception faite de l’entreprise qui est une forme pervertie d’organisation.

Le cas des organisations suicidaires ou bio-dégradables est un cas particulier (et intéressant) qui ne sera pas traité.

Les modèles d’organisations les plus courants sont la famille, la bande, le club, l’association, le syndicat, le parti, la nation.

Arbitrage
Action d’observer, de juger puis, si besoin, de sanctionner   sur la base de règles pré-existantes et connues de toutes et tous. C’est ce « pré-existantes et connues de toutes et tous » qui garantit qu’un arbitrage ou une médiation aboutira à une solution, en dehors des cas volontairement conflictuels que l’on verra plus loin. L’équivalence avec ce qui fait dans la plupart des sports est assez évidente. Au niveau de la Nation, la Justice endosse ce rôle puisque nul n’est censé ignorer la loi
Autorité
Difficile à définir précisément, je vous renvoie à votre philosophe préféré. De mon côté, je m’en tiendrais à ce qu’écrivait Diderot. C’est clair, simple et applicable à beaucoup de situations dont celle qui me préoccupe.

« Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité. »
(source)

En clair, à partir du moment où on se soumet à une autorité, ou on la subit, ou on la supporte !

L’autorité n’est pas innée, elle s’acquiert. C’est un processus plus ou moins long qui dépend étroitement d’un critère absolument subjectif et parfois irrationnel : la confiance. Confiance en soi et confiance que les autres vous témoignent… pour acquérir de l’autorité il est indispensable que ces deux perceptions de la confiance (interne et externe) soient indissociables. Ce n’est pas non plus un privilège hiérarchique, l’autorité pouvant dans ce cas facilement mener à l’autoritarisme.

Autorité et autoritarisme sont souvent confondus, c’est normal, les deux termes sont proches. Et le deuxième découle directement d’un excès du premier. Par exemple, dans une structure de type entreprise (organisation pervertie dans laquelle une hiérarchie exclusivement verticale fait que la règle édictée en haut n’est obligatoire et applicable qu’en bas), l’autorité est directement liée à la situation hiérarchique, hors de tout critère de compétences ou de reconnaissance (qui peuvent par ailleurs exister mais dans une structure d’entreprise, c’est alors un cas particulier…). L’État français, parce que dirigé comme une entreprise, est l’exemple d’une autorité qui glisse vers l’autoritarisme…

L’autorité se définit complètement par trois interactions. De la même façon que le théâtre grec antique s’articule autour d’une unité de lieu, de temps et d’action, l’autorité se fonde sur un schéma tri-dimensionnel structure-règlement-capacité.

Structure
Cadre (physique et/ou moral) dans lequel l’autorité s’exerce strictement ; hors de ce cadre, l’autorité n’a pas de sens, à l’intérieur elle n’a pas de limite (d’où les dangers de l’autoritarisme) ;
Règlement
Ensemble de règles (tacites ou explicites) qui définissent (plus ou moins précisément, humain, trop humain…) les limites des interactions entre les personnes à l’intérieur d’une structure pré-définie ; ces règles sont obligatoirement à la libre disposition de toutes les personnes actives à l’intérieur de la structure, par l’écrit ou par la parole ; l’autorité s’appuie sur ces règles et uniquement sur celles-ci pour légitimer ses décisions (l’autoritarisme commence dès qu’il y a outrepassement unilatéral de ces règles par l’autorité qui a la charge de les faire respecter)
Capacité
Ensemble d’attitudes, de décisions, de compétences, objectives et subjectives, qui permettent à une ou plusieurs personnes à l’intérieur de la structure d’être reconnues comme dépositaires légitimes de l’autorité, en droit de faire référence au règlement et d’en appliquer ou d’en faire appliquer le contenu.

Pour reprendre plus clairement l’exemple proposé par Wikipédia :

  • dans le cadre d’un procès, pour un magistrat, sa structure est le tribunal (structure physique), son règlement sont les lois, sa capacité est sa compétence ; son autorité découle à la fois de sa connaissance des lois, de sa façon de les invoquer à bon escient et dans les strictes limites de son tribunal ;
  • dans une famille, la structure est la famille elle-même (structure morale), le règlement est l’ensemble des recommandations et enseignements des adultes vers les plus jeunes, la capacité (confondue ici avec l’autorité) se juge sur l’efficacité de la transmission du règlement et sa prise en compte réelle par les plus jeunes.

L’autorité parentale diffère de l’autorité judiciaire en ce que la première n’est pas universelle : chaque famille a son règlement alors que la Justice est la même pour tous (théoriquement…).

L’autorité parentale a elle-même comme autorité, l’autorité judiciaire. L’autorité judiciaire a comme autorité, l’autorité politique (et notamment les députés qui font les lois), l’autorité politique a comme autorité les électeurs, ces électeurs étant eux-mêmes assez souvent parents… ainsi fonctionne, de manière très schématisée, le cycle de l’autorité dans une démocratie basique.

Entre l’autorité judiciaire et l’autorité parentale, il existe un nombre important de situations intermédiaires, ce que Wikipédia dans son exemple appelle « groupe informel ».

Le « groupe informel » qui m’intéresse ici a ceci de particulier :

  • sa structure est à la fois physique et morale ; première difficulté : savoir à quel moment on passe de l’une à l’autre ;
  • son règlement est en constante évolution ; deuxième difficulté : savoir comment une nouvelle disposition, une idée ou un acte devient une règle ;
  • sa capacité est sa réactivité ; troisième difficulté : savoir à quelle structure — morale ou physique — attribuer la nouvelle règle.

Le décor est posé, passons à l’histoire et voyons comment et pourquoi un état que l’on qualifiera de consensuel en vient à être conflictuel et comment ce conflictuel débouche inexorablement sur une séparation (divergence qui mène à un conflit) puis sur une scission (conflit qui mène à un affrontement).

Vu la longueur de cet article (sérieux, quelqu’un a tout lu ? bravo !), je propose de faire une pause et de continuer lors de prochains articles. D’autant que je n’ai encore rien écrit pour la suite… Ça me donnera donc le temps d’y réfléchir un peu !

(à suivre)

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