Assez d’essais

Je viens de finir un petit projet de développement web qui devrait me rapporter un peu d’euros et je suis exténué. Pas par le projet lui-même qui ne sortait pas de ce que je sais déjà faire mais par un certain amateurisme, voire un pur laxisme, de la part du donneur d’ordre quant à son propre projet… Idéal pour me rappeler (si je devais l’oublier) pourquoi je suis si asocial !

Ça c’est pour l’intro. Histoire aussi de te donner des nouvelles. En vrai, j’avais commencé cet article avant la coupe du monde de rugby en me disant que l’équipe de France allait se faire massacrer par celle d’Australie. Je ne suis pas tombé très loin ! D’où le jeu de mots du titre puisque l’article parle de mon premier concert. En 1979. Au Pavillon de Paris.

Récemment je me suis inscrit (en gratuit mais je vais peut-être passer au payant) sur un site de musique en ligne et en streaming. J’avais le choix entre celui-ci (d’origine scandinave) et un autre (plutôt bien d’chez nous). Les options sont quasiment les mêmes. L’ergonomie des interfaces (pourtant assez semblables) m’a fait choisir le nordique. Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est AC/DC. Tu te souviens, quand ils étaient jeunes et bons ? Férocement bons ! La plateforme de streaming propose justement une version de ce show de 1979 et je l’écoute en tapant des textes pour ce blog.

Back in the days !

Le premier souvenir que je garde de ce premier concert, ce sont les chiens des types de la sécurité qu’on n’appelait pas encore « maîtres chien » pour la bonne raison qu’ils ne maîtrisaient rien du tout. L’un d’eux (l’un des chiens) a failli m’arracher un bras ! Et comment j’aurais fait pour faire semblant de jouer de la guitare pendant le concert avec un bras en moins ? Sales bêtes (et sales types, du même coup) !

Aux abords de la salle de concert, sur ce qui est devenu un endroit très propret de Paris mais qui était encore à cette époque une zone avec toutes les acceptions que tu peux imaginer pour ce mot, l’atmosphère était pesante. Il y avait des policiers partout entre le métro et la salle. Il y avait ces sales types avec des chiens en laisse (mais sans muselière) partout entre la salle et le métro. Je ne suis jamais allé en RDA mais tous ces uniformes plus ou moins officiels faisaient de leur mieux pour te faire économiser le voyage. J’avais la très nette impression d’être un dissident tentant de s’approcher de ce fameux mur qui ne tombera que dix ans plus tard.

Les policiers étaient plutôt calmes, par groupe de deux ou trois, à déambuler dans le sens inverse de la foule. De l’autre côté des grilles qui maintenaient cette foule prisonnière en attendant l’ouverture de la salle, des groupes de malinois et de bergers allemands promenaient en laisse les gars de la sécurité embauchés par la production et, à les observer, il était évident que si muselière il devait y avoir, ce n’est pas sur le museau des chiens que j’aurais été enclin à la mettre d’urgence. Les services d’ordre n’ont jamais bonne réputation (par définition) mais celui de KCP (qui travaillait plus ou moins officiellement pour la mairie de Paris et le RPR) battait tous les records en terme de détestation. Même les gros bras de la CGT paraissaient tendres et câlins à côté de ces brutes alcoolisées armées de chiens.

J’étais venu avec des potes du lycée mais je les ai rapidement perdus de vue dès la sortie du métro suite à une bousculade suivie d’aboiements et de craquements quelque peu anxiogènes qui faisaient penser à des os en fin de croissance broyés d’un seul coup par les puissantes mâchoires des chiens. J’imaginais alors le long chemin qui menait jusqu’à la salle, pavé de corps à moitié dévorés. J’imaginais les gars de la sécurité susurrer « sussucre » à leur chien-chien en désignant l’un de nous au hasard. Et pas forcémeent au hasard : Regarde chien-chien, regarde. Y’a un sussucre là, regarde… Celui qui est tout seul, là, avec ses cheveux longs pas coiffés et sa dégaine de clochard canadien (à l’époque je ne me séparais pas de ma grosse veste à carreaux rouge et noir). Allez choppe !

C’est là que j’ai failli perdre un bras. Heureusement que je l’avais vu venir (pas le chien mais la bêtise crasse du connard de l’autre côté de la laisse). Je me suis précipité vers les policiers au bord de l’allée et je leur ai demandé mon chemin, genre, la salle c’est bien par là, comme si le flux des chevelus ne suffisait pas comme poteau indicateur. L’un d’entre eux a commencé a rigolé avant d’apercevoir (et d’entendre) le chien arriver sur eux toute mâchoire dehors, en traînant un abruti déguingandé qui tentait de le retenir en hurlant des Pas bougé ! Couché !.

Mais le pauvre chien, rendu sourd par sa propre rage, n’avait plus qu’une idée en tête : mordre ! Je ne me souviens plus comment les policiers ont calmé le chien. Je ne me suis pas attardé et me suis dépêché de reprendre ma place dans la foule visiblement blasée. En me retournant pour vérifier que le chien ne me suivait pas à la trace (dénoncé par mon slip qui a dû avoir plus peur que moi), j’ai juste aperçu les trois policiers, encadrant le type et son chien, s’éloigner de la zone. Mon imagination, un moment interrompue, s’est remise au travail et m’a proposé un remake du « Déjeuner sur l’herbe » avec le chien dans le rôle du poulet-froid-mayonnaise et son compagnon dans celui de la nymphette dénudée offerte aux matraques demi-molles des représentants de l’ordre.

Je me retrouvais donc seul (comme d’habitude : it’s not a bug, it’s a feature) au milieu de gens hirsutes, mal coiffés, pas rasés, habillés étrangement de cuirs tout râpés et de jeans élimés marchant fièrement — à la limite de la provocation — entre les uniformes et les mâchoires en se demandant ce qui serait le moins douloureux après un concours de bras d’honneur vindicatifs.

Bonne soirée !

Avant de croiser tous ces types, qui finalement me ressemblaient comme deux gouttes de bière, je connaissais assez peu (même au lycée) de gens sur qui ce type de musique avait un effet aussi puissant. Et je ne parle pas seulement de ce groupe en particulier mais de toutes ces résonances hard-rock entre blues et heavy metal qui représentaient l’intégralité de mes achats de disques de cette époque. Dont, bien évidemment, ce fameux AC/DC qui faisait là sa toute première tournée en France auréolé d’un album best-seller.

La première fois que j’avais entendu ce groupe, c’était aux Pays-Bas. Utrecht ou La Haye, je ne me souviens plus. Dans une boîte de nuit pour ivrognes et toxicomanes locaux où j’ai aussi failli perdre un bras mais pour d’autres raisons qu’un jour peut-être je te narrerais. La boîte en question était un hangar en bois et en tôle à peine moins pourri en terme d’acoustique que le Pavillon de Paris qui cédera sa place quelques années plus tard au Zénith. Le bar était séparé de la piste d’à peine douze centimètres et il était difficile de ne pas renverser sa bière, assailli par les bousculades imprévisibles des excités du soir. Soudain (j’ai soudainement l’impression d’écrire pour Le Parisien), après quelques roucoulades musicales permettant aux rares couples présents d’imaginer plusieurs manières de perpétuer l’espèce, le tonnerre en sept coups ! Frappé sur une guitare au son plus rêche que le feulement agacé d’un V8 quittant en urgence le chemin boueux du bush australien après avoir sauvé, de la gueule d’un crocodile en rut, son précieux pack de bière !

Le septième coup à peine tonné, tout ce que la salle comportait de vivant s’est mis à pogoter comme si le challenge était de réduire la chaîne hymalayenne à un vulgaire polder en plus plan-plan !

De retour à Paris, et chez mon disquaire favori, j’ai acheté tout ce qui était disponible de ce groupe soit leurs quatre premiers albums. Car au-delà du look et du son, ce groupe avait une vraie folie rock’n’rollienne en la personne de son chanteur Bon Scott, mort d’ivrognasserie dans une Renault 5 à Londres. Mourir à Londres, pourquoi pas ? Il n’est ni le premier ni le dernier. Mais dans une Renault 5 ?

Après, même si le groupe a continué, quelque chose était cassé et je ne me suis plus intéressé à leur parcours. Mais j’écoute toujours avec autant de plaisir ces premiers albums.

Devant la salle, une foule nombreuse et compacte s’impatientait en buvant des bières et du vin. Certains en profitaient pour ne pas recycler leurs déchets et jetaient leurs bouteilles en direction des chiens, de l’autre côté des barrières. Lesquels chiens, encouragés par leur teneur de laisse, se rapprochaient de plus en plus des barrières, créant, à l’intérieur du périmètre qu’elles délimitaient, un mouvement de recul et de tassement qui provoqua quelques malaises parmi les plus petites personnes. Avec l’appui de quelques autres autour de moi, nous tentions alors de permettre à une évanouie d’être sortie de la file, portée par deux de ses potes, en demandant puis en exigeant de la part des abrutis enchiennés de bien vouloir écarter leurs bêtes de façon à ce que nous translations la demoiselle de l’autre côté de la barrière, là où l’air était encore respirable. Outre que leur vocabulaire se limitait à groaaar ! wouff, wouff !, et je ne parle pas des chiens, leur incapacité à maîtriser ceux-ci nous empêchait toute tentative d’extraction alors même que d’autres évanouissements étaient annoncés au centre du marécage humain que constituait la compression de quelques milliers de jeunes venus voir un concert de rock…

Ce sont les pompiers qui ont trouvé la solution : d’abord évacuer les chiens (sous les applaudissements nourris de la foule) ; ensuite, se frayer un passage à grands coups de brancards sur les imbéciles à l’arrière qui ont cru que des policiers les chargeaient et ont donc naturellement réorientés leur jets de bouteilles vides sur eux ; enfin, ramasser sans ménagement les filles tombées à terre (il y avait peut-être aussi des garçons mais pas dans mon secteur) en sermonnant leur entourage façon Si elles étaient restées chez elles….

Un calme relatif s’étant installé, les portes de la salle se sont ouvertes et nous avons pu enfin entrer, tel un troupeau docile, dans ce hangar de tôle construit sur les restes des anciens abattoirs.

Pour être franc, je n’ai pas beaucoup de souvenirs du concert en lui-même. Et les images qui m’en reviennent sont plus liées à l’atmosphère qui en émanait. Notamment, au moment de l’arrivée sur scène du groupe de première partie. J’avais totalement zappé qu’il y avait une première partie de prévue et je me souviens avoir eu un moment de doute sur le respect de la programmation. Le groupe en question — que je ne connaissais pas — avait pour nom Judas Priest. Mon voisin, à qui j’avais demandé qui étaient ces types sur la scène, m’avait gentiment répondu : « Djdsprrsst », ce à quoi j’avais éhontément répondu : « y m’semblait bien », histoire de jouer au connaisseur.

À la fin du concert, épuisé mais heureux d’avoir pogoté et joué de l’air guitare pendant deux heures, je me suis assis par terre et ai regardé partir les autres spectateurs tout aussi fourbus que moi. À les voir rire et se congratuler, se taper dans le dos ou s’embrasser, j’ai réalisé que je devais être le seul à être seul dans cette grande bâtisse qui ne sentait pas la sueur uniquement parce que l’odeur de cannabis était bien plus présente.

Des concerts, par la suite, j’en ai vu énormément. De toute sorte. Des géants, des minuscules. Certains m’ont marqué, d’autres non. Mais bizarrement, ce premier concert a survécu en temps que premier concert pas en tant que spectacle. Et c’est dommage car à le réécouter en streaming, c’est vraiment un gros truc !

Finalement, j’ai retrouvé mon pote de lycée sur le quai du métro. Il avait perdu son frère. Et ne se voyait pas rentrer sans. Alors nous sommes repartis faire un tour du côté de la salle puis aux alentours. Vide, le coin était vraiment sinistre. Pour ne pas louper le dernier métro, nous nous sommes dit qu’il avait dû rentrer seul et nous avons faits de même. En silence. C’est un silence assez particulier celui qui suit un concert. Un silence feutré. Plein de subtiles résonnances. Des charpies d’harmoniques qui finissent de se consumer et qui s’évanouissent lentement comme les braises d’un foyer oublié.

Quelques semaines plus tard, le chanteur mourait. Une certaine idée du rock avec lui. Le business récupèrera la place vacante. Les disques et les concerts s’enchaîneront mais sans moi. Le rock sans le blues ne m’intéresse pas. Ou très peu. En tout cas pas longtemps. Moins longtemps qu’une charpie d’harmonique dans l’auto-radio mono d’une vieille Renault 5.

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