Tu te souviens de cet article ? Je t’y faisais part de mon inclination à marcher au bord de l’eau pour mieux apprécier mes flâneries :
« …une rivière, un lac, un bord de mer ; n’importe quelle étendue d’eau que je pourrais longer et sur laquelle se reflèterait imparfaitement la silouhette vacillante de tout ce qui est alentour… »
C’est un des nombreux avantages de Paris : il y manque certes un bord de mer mais il y a de quoi se remettre à flot en suivant le courant d’une onde plus ou moins claire. Hey ! « Fluctuat Nec Mergitur », c’est pas que d’la littérature !
Alors, on a quoi à Paris pour se promener au bord de l’eau ? La Seine, bien sûr. D’autant que les quais sont de plus en plus interdits aux voitures. Ce qui est plutôt une bonne idée. On les laisserait décider, les automobilistes seraient capables de bitumer le fleuve ! Il y a aussi les nombreux bassins des parcs et notamment celui du Parc de Bercy (avec ou sans le héron). Plus les lacs des bois de Boulogne et Vincennes. Et le canal Saint-Martin entre La Villette et le port de l’Arsenal.
Souterrain de Bastille au Faubourg du Temple (on se demande bien pourquoi). Puis comme une cicatrice dans la ville. Le souvenir de la lame affûtée d’un gaspard sur la carotide grasse d’un bourgeois des faubourgs, un soir ou le grisbi de l’un manque au butin de l’autre.
Le canal a échappé au bétonnage intégral : un projet des années soixante y prévoyait une autoroute à quatre voies ! Ce qui le rend intéressant c’est que tout y est vieillot, comme figé dans un décor de carte postale monochrome au contour dentelé. L’un des derniers souvenirs du Paris ouvrier. Ça ne devrait pas durer. Déjà les bâtisses alentours rajeunissent et ne peuvent décemment plus héberger du prolo. Déjà les bistrots se transforment en cafés branchés dans lesquels (et personne ne s’en plaindra) le wifi a remplacé le rififi. Rien que de très normal : les derniers ouvriers de Paris sont les lauréats des concours du « Meilleur Ouvrier de France » qui y ouvrent salons, boutiques et ateliers.
Immortalisé par l’une des plus célèbres scènes de cinéma (pourtant tournée en studio !), l’endroit a conservé son atmosphère de gouaille et de mauvais coups. Un coup en montant, un coup en descendant, ce sera ma promenade du jour. La fin de la matinée est le moment le plus propice puisque le moins populeux. Le soir (sauf quand il pleut), ses quais sont bondés de pique-niqueurs, de chiens, d’enfants et d’appareils photos.
Le mien est réglé sur noir et blanc. La vie est plus belle en noir et blanc. Moins trompeuse. Moins encline à promettre des rivières de rouge pour n’apporter que des filets orange. Moins susceptible de se peindre en vert pour finir par rire jaune. Moins apte à voler des roses pour engraisser du bleu roi. Le noir et blanc, c’est le café, le chocolat, c’est l’encre sur les pages. C’est la neige éternelle au sommet d’une montagne friable. C’est le souffle argenté des ombres incolores. C’est surtout que je discerne mal les couleurs.
En plus il fait beau. Trois conditions idéales pour la photographie : Paris, le soleil, l’automne. Tu viens ?
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