Le ciel était chargé de lourds nuages indécis hésitant entre la bruine et la drache. La capitale semblait plongée dans une ouate étanche. Les rares bateaux qui sillonnaient la Seine le faisaient au ralenti et généraient d’inoffensives vaguelettes qui ne dérangeaient pas le recueillement plaintif des berges désertées. D’habitude si espiègle autour du Pont des Arts, le vent lui-même retenait son souffle. Le pays, le monde, l’ensemble de l’univers connu et bien au-delà, jusque dans les immensités inexplorables des confins infinis, là où l’espace et le temps ne forment qu’une seule et même trame indicible, partout l’attente était pesante : à quand un nouvel article sur « Le Cynozophrène Mural » ?
Je m’étais promis de ne pas intervenir avant ce 7 mai.
Non pas dans l’intention — louable bien qu’inutile — de fausser un débat pipé par nature. Je te l’avais laissé entendre dans l’article précédent : il ne se passera rien ce soir. Et que s’est-il passé ? Rien. Avoue qu’en terme de prévison, je suis plus fiable qu’un congrès de météorologues en dépression se gavant de cuisses de grenouilles et d’un nuage de lait !
Contre-partie de ce rien, je n’ai pas d’article à écrire. En tout cas rien d’intéressant. La pluie n’est finalement pas venue et n’a pas nettoyé le sol sur lequel la poussière accumulée ressemble au futur des hordes électrices. En général, la pluie ne se déplace pas pour rien. Et sur Paris, ce soir, il n’y avait rien à nettoyer. Pas même de chagrin à noyer. Les taches brunes sont désormais bien incrustées sur le pavé et n’en disparaîtront qu’en étant recouverte d’un rouge un peu plus brun, un brin sanguinolent. Et puisqu’il ne se passe rien, les affaires continuent.
Dans le square en bordure, un oiseau bleu plus rapide que les autres a déja mis la main sur un festin. Les autres oiseaux, plus gros, plus anciens, mais jamais rassasiés, se rassemblent autour de lui, quémandant un croûton, quelques miettes. Il ne concède rien encore mais son œil a déjà repéré ses futurs courtisans. Une pie n’attend rien des pigeons. Sauf à ce qu’ils fassent nombre au pied des bancs et des statues, là où le pain se partage.
Je suis rentré, j’ai ouvert l’ordinateur mais je n’ai rien écrit. Je me suis même demandé si j’écrirais encore. Il ne s’est rien passé. Peut-être même qu’il ne se passera plus rien. Juste de la routine. Du business. Des vitres cassées. Un mort de temps en temps pour entretenir le feu des révoltes sans tension. Une guerre, loin dans la jungle. Des hologrammes et des algorithmes plus vivants que la foule qu’ils sont censés distraire. Des journaux imprimés sur des billets de banque recyclés. Des cirques ambulants pour montrer à des enfants émerveillés la magie du pouvoir.
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Déjà un demi-siècle qu’il ne se passe plus rien. Pour encore combien de demi-siècles ?
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