Une rumeur sur l’humeur du chômeur

Il existe encore des gens qui pensent que l’esclavage n’a toujours pas été aboli et qui trouvent normal de te proposer un boulot pour lequel le salaire est à peine supérieur aux gratifications que les gentils maîtres octroyaient avec une onctueuse condescendance à leurs plus dévoués serviteurs qui n’avaient plus qu’à se rouler par terre en gémissant de bonheur pour bien signifier leur joie et leur gratitude.

Je te parle d’un temps que les moins de vingt ans ne tarderont pas à connaître puisque ça m’est arrivé mercredi. Et pas dans une mine de sel ou dans un orpaillage clandestin. Dans une mairie. En France. En 2012. Pour des raisons évidentes qui tiennent au respect des personnes, je ne te donne ni le nom de la mairie, ni celui des personnes qui m’ont reçu.

Je ne décolère pas depuis hier devant tant d’incompétence ! Le boulot en lui-même était plutôt plaisant puisque nécessitant des qualités tant humaines que techniques, entre l’accueil de personnes, le soin apporté au matériel, le suivi informatique de l’ensemble, le tout dans un cadre décrit comme agréable. De plus, point sur lequel mes interlocuteurs ont bien insisté, le poste a été créé parce que l’activité est en plein essor et que les personnes qui s’en occupent actuellement se sentent débordées. Dans ces conditions, pourquoi me proposent-ils de ne travailler que 70% du temps (et donc de ne me payer que 70% du salaire minimum) ?

Si encore la proposition avait consisté en un mi-temps qui m’aurait laissé tout le relatif loisir de trouver un autre mi-temps pour le compléter… Bien que deux mi-temps, en terme de temps et d’argent, font souvent plus qu’un temps complet et rarement plus qu’un vrai salaire. En étant accaparé 70% de ton temps, sauras-tu trouver un autre employeur qui acceptera de t’embaucher pour seulement 30% ? Ou seras-tu obligé de recourir aux diverses aides sociales pour te loger presque décemment (les loyers parisiens ne sont pas ceux de Liège ou de Toulouse) et te nourrir à peu près correctement (tu as vu le prix de la Guinness ?)…

Quand je t’aurais dit que la mairie en question est dirigée par des gens dont l’idéal politique est le même que les crétins de droite qui pensent que les chômeurs sont tous des fainéants assistés et qu’il faut relancer la croissance par l’emploi (donc par les salaires pour relancer la consommation, seule source de croissance dans une société de services), et tu auras compris pourquoi je parle d’incompétence.

Mec, si tu n’as pas de budget, tu n’embauches pas ! D’autant que la différence financière avec un temps complet sur la base du smic ne doit pas être astronomique pour une mairie de ce calibre ! C’est vraiment de la mesquinerie ! Je ne suis pas sûr que le chef-comptable de la mairie gère avec la même austérité les petits fours, les forfaits téléphoniques ou les voitures de fonction qui encombrent tout les budgets communaux dans les villes d’importance.

J’ai aussi beaucoup apprécié — réellement, pour le côté gag — le type qui, en lisant mon CV, me sort :

— Je vois que vous avez créé et géré des sites internet, ça veut dire que vous êtes à l’aise avec l’informatique et la saisie de données ?

Non, pas du tout, je n’ai jamais touché un clavier, je faisais des sites bio avec des semences élevées au biberon dans les bergeries du Larzac !

Et ce type d’entretien avec ce type d’employeur n’est malheureusement pas une exception… J’en ai un nouveau, lundi, mais dans une autre mairie… À priori, les conditions devraient être plus professionnelles et plus humaines étant donné que… mais chuuuut : ne vendons pas la peau du chômeur avant de l’avoir embauché ! Je te raconterai.

liens vers l'article suivant ou l'article précédent
texte précédenttexte suivant

retour haut de page