Réf & Rang d’Homme

(autre titre possible : « Leurre : effet random »)

Et voilà ! Encore un texte qui se substitue à un autre au dernier moment. Car au détour de mes lectures en ligne, je tombe sur ça : Referendum pour les animaux. Et ça me ramène au centre de mes nocives contradictions après avoir fait un grand tour à contre-sens sur le périphérique craquelé de mes certitudes inutiles.

Lorsque viendra le temps de faire le bilan de ma vie — à condition d’être prévenu quelques minutes auparavant — je surlignerai au large feutre rouge mes erreurs et mes hésitations (car les hésitations sont des erreurs) et je ferai une discrète marque verte sur la petite ligne du fond qui à elle seule représentera l’ensemble de mes comportements acceptables. Autant dire que ce bilan aura l’allure d’un demi chou de Bruxelles dans une piscine de Kriek !

Entre autres lignes rouges, se trouvera mon rapport aux animaux — rapport à la fois affectif et gustatif — et ma méfiance instinctive vis-à-vis des organisations de défense de la nature, organisations à propos desquelles je n’ai jamais su me positionner, craignant trop l’esbroufe, le marketing voire l’escroquerie, qui sont les trois principales raisons d’être et d’agir des mouvements politiques. Et si j’aime la politique dans son aspect organisation sociale, je vomis sa propension à n’être que déclarative, entre slogans populistes et campagnes onéreuses.

Plus précisément.

D’une part, la cause animale justifie pleinement qu’on tente de trouver des moyens plus sains de nourrir non seulement l’humanité mais aussi de nourrir les animaux qui nourrissent ladite humanité. Je te l’ai déjà signalé ailleurs, je ne suis pas végétarien. Mais je ne suis pas chasseur non plus. Les morceaux de barbaque prédécoupés me vont très bien. Je fais le guet entre le rayon « plats préparés » et le rayon « fromages frais » et lorsqu’un jeune s’éloigne du troupeau de steacks hachés à 5% de matière grasse, hop ! je lui saute dessus, lui fais une clé de bras pour qu’il se tienne tranquille puis le mets dans mon panier en imaginant diverses recettes apaisantes pour ne pas froisser son âme de guerrier vaincu. S’il fallait aller occire de mes blanches mains un bon gros cochon ou un mignon petit lapin, il y a de fortes chances que je devienne essentiellement frugivore. Ce qui impliquerait de ne manger qu’entre mai et septembre… Si c’est pour hiberner le reste du temps, pourquoi pas ?

D’autre part, je n’aime pas les référendums. Ou plutôt, je n’aime pas ce qu’ils sont devenus : un moyen pour les groupes de pression de s’acheter une légitimité à bas prix sans s’encombrer du fatras démocratique que de toute façon plus personne ne respecte. L’heure est au « buzz » et aux « J’aime ». Savoir cliquer sur un gros bouton coloré a désormais plus de valeur politique que n’importe quel cursus universitaire.

Paye ton vieux con !

Bon. Je commence par quoi ? Le couplet pessimiste du donneur de leçons ayant oublié de réviser ou la tirade opportuniste aux générations futures, façon « Je vous aiiii compriiiis ! », de la part d’un multi-pollueur récidiviste ? Pas facile car sur le ring se présente les deux leaders incontestés du « Championnat International de Fossé Générationnel », autrefois appelé « Guerre des Anciens et des Modernes ». D’un côté, il y a le politiquement négatif, cette parole rétive à toute transformation sociale sauf si elle s’avère extrêmement fructueuse, financièrement parlant. De l’autre, la face ensoleillée des espérances juvéniles, ce sourire que rehausse la lumière cristalline des rosées matinales, ces promesses d’après « le Grand Soir » ?

Puisque ce sont les deux faces d’une même médaille, jouons-les à pile ou face.

Alors… j’ai quoi dans mes poches… un (j’espère) vieux ticket de métro inutilisable car plié en un chiffre impair… un bouton de bakélite noire et de provenance inconnue… un emballage de bonbon sans sucre pourtant tout collé… un morceau de papier sur lequel est simplement écrit « notes »… ha ! voilà : une pièce de un euro ! Tout un symbole. Allez… lancer souple… rattrap… et merde ! Je n’ai pas refermé la main assez vite et, après un rebond déstructuré à faire rougir tous les ballons ovales, l’euro est sorti de sa zone et a répondu favorablement (après acceptation de son dossier) à l’appel de la vie sauvage qui mène sous l’armoire une existence trop tranquille.

Je vois un double message du hasard dans ce raté. Un : il est temps de faire la poussière un peu plus sérieusement. Deux : cette poussière qui s’accumule sous le vieux meuble indéplaçable ne suffit pas à le mettre à l’abri des assauts de la finance. Une allégorie à peine masquée des dérives du monde moderne. Monde de merde. Ou plutôt, monde d’argent. Car même la merde est utile. Engrais, combustible, mortier… pour peu que tu songes à passer outre la dictature nasillarde des fragrances officielles et que tu penses à abattre les cloisons culturelles qui hiérarchisent indûment toutes les sécrétions et odeurs du vivant.

Je récupère la fugitive, je la nettoie rapidement, la relance, la rattrape cette fois correctement : face ! Et là je me souviens que les pièces d’un euro ont plusieurs faces, chacune étant censée symboliser un pays d’émission. Celle que j’ai dans la main provient d’Espagne. Pourquoi ce fier pays a-t-il choisi la face de cet ahuri de roi d’Espagne ? Plus que les monarchies qui pourraient parfaitement être absolument symboliques et représentées par une toile ancienne ou une statuaire plus moderniste, comment peut-on encore tolérer ces monarques d’opérettes et leur familles avides, leur moralité qui tourne à vide, le cœur aride sous un visage à rides ?

Face.

Côté sombre, donc. En même temps, c’est une forme de logique. Le côté ensoleillé de l’histoire, c’est à toi de l’apporter. Ce monde est désormais le tien. Cadeau !

De plus, le côté sombre a cet avantage : il est très simple. Nous vivons toutes et tous, mondialisation oblige, dans un vaste supermarché qui est à la fois son propre fournisseur et son propre banquier. Je te l’avais dit, c’est simple. Et pour rester le plus simple possible — de façon à ne pas freiner d’un iota les monumentales sommes d’argent qui transitent quotidiennement par ses énormes caisses — ce supermarché doit te vendre un poison non létal — pour que tu n’en achètes pas qu’une fois — mais aussi te fournir son antidote, cette prise de conscience éphémère qui te fait replonger davantage.

Le poison est un puissant addictif. Maquillé comme une innocente sucrerie, il s’attaque au système nerveux central, ralentissant jusqu’à les bloquer les principaux moteurs de réflexion, notamment les deux qui sous-tendent tous les autres : le libre-arbitre et la conscience globale. Le libre-arbitre, en tant que capacité à faire des choix raisonnés, c’est le pouvoir de dire « non ! ». La conscience globale, pour sa part, permet de ne pas s’écarter de cette nécessité vitale parce que fondatrice : privilégier le groupe sur l’individu. D’où l’intérêt pour le supermarché de cibler prioritairement ces deux axes de potentielle rébellion.

Sauf que.

Le supermarché est obligé malgré lui de tenir compte de son environnement. Non pas de manière écologique, évidemment, mais de manière « carcérale ». Le supermarché est prisonnier d’un environnement biologique dont il ne maîtrise aucune des composantes principales en dehors du moyen de les détruire toutes. Or, le supermarché n’a pas intérêt à détruire complètement cet environnement puisqu’il en fait encore intégralement partie. Et je vois dans cette impuissance la vraie raison de la conquête spatiale. C’est un autre sujet que je détaillerais peut-être un jour mais que j’évoque quand même (attention : spoiler alert !) en conclusion de cet article.

Dans sa quête pour décorréler sa survie d’un environnement biologique qu’il juge très fragile et peu productif, le supermarché dispose de nombreuses stratégies pour freiner sa course folle vers l’omnipotence, ce grâal du capitalisme financier. Et d’omnipotence à potence… patience ! Parmi ces stratégies — les fameux antidotes cités plus avant — figurent la possibilité laissée à ses clients — dont tu fais partie, volontairement ou non — de prendre des décisions collectives en organisant des élections ou en réclamant des référendums. Et pour éviter tout risque — cet antidote doit juste te calmer, pas te guérir — les élections sont réglementées de façon à ce que les représentants du supermarché obtiennent le maximum de postes leur garantissant le maximum d’influence sur la réglementation. En ce qui concerne les référendums, c’est encore plus simple. Le supermarché accepte d’organiser le référendum s’il est convaincu de son inefficacité. Si, comme cela arrive parfois, le résultat lui est nocif, il décide alors de n’en pas tenir compte. On ne peut pas faire plus simple.

Le supermarché considérera toujours comme un casus belli la moindre remise en cause de son productivisme. Tu peux le traiter de tous les noms, le rouler dans la boue, imaginer des tentatives de boycott ou de déstabilisation, il s’en fout car il sait que tout ce dont tu as besoin pour tes préparatifs, il le possède en stock. Il est même prêt à te faire une réduction et à t’offrir un t-shirt du Che pour tout achat groupé. Seule l’indifférence en viendra à bout. Et encore… Ainsi, ce référendum pour les animaux n’a, à mon avis, aucune chance d’être organisé par le supermarché et encore moins d’être entendu par lui. Les propositions sont naïvement évidemment pleines de bon sens et d’humanité mais elles sont contraires à la logique productiviste du supermarché.

Car.

Une cage coûte moins cher qu’un enclos, tant en installation qu’en entretien. Tu peux mettre plusieurs cages sur la superficie d’un enclos, pas l’inverse. En tassant bien, tu peux mettre plus d’animaux par cage que tu n’en mettrais par enclos. Enfin, un enclos sera soumis aux aléas climatiques quand des milliers de cages tourneront H24 du 1er janvier au 31 décembre.

La fourrure naturelle coûte moins chère que ses ersatz industriels puisque tu peux faire de la farine animale avec les corps des bestiaux dépecés, ce qu’il est interdit de faire avec les employés de ladite industrie même si leurs conditions de vie s’apparentent souvent à celles des animaux susdits dont les os, broyés puis mixés de céréales, nourriront les poissons et les cochons qui, à leur tour, broyés et mixés de féculents, alimenteront à peu de frais les ouvrières et ouvriers du tiers-monde.

L’élevage intensif coûte moins cher que l’élevage qualitatif dans lequel chaque bête possède un prénom, est abreuvée de câlins, se gave d’une nourriture riche et diversifiée et peut faire appel à un syndicat lui garantissant le droit de se détendre les jambes dans un pré recouvert de fleurs somptueusement mellifères et de bouses particulièrement odorifères.

La chasse à courre est essentiellement pratiquée par les amis et les gestionnaires du supermarché qui ont bien mérité cette saine distraction d’assassins en gants blancs. Les forêts remplacent les arènes et le cerf prend la place du taureau mais le principe est identique : tuer par jeu. Se prendre pour un héros quand il faut être des dizaines d’abrutis surarmés de lances ou de chiens contre un seul mammifère pacifique.

Les spectacles d’animaux sauvages (cirques et zoos compris) permettent le transfert d’animaux sauvages d’un continent à l’autre, transfert qui permet d’acheminer discrètement des substances et des matériels illicites (drogues, armes, statuettes, espèces protégées, …) qui sont partie intégrante du catalogue du supermarché même s’il préfère les vendre plus cher dans son parking en sous-sol plutôt que de les solder sur ses rayonnages en libre-service.

L’expérimentation animale est un condensé de toutes les tares précédentes si bien qu’elle serait de toute façon la dernière à être supprimée. Et puis l’être humain est un animal comme les autres et il faudra bien continuer de tester médicaments et cosmétiques…

Comme tu le vois, le côté sombre est bien sombre et ne tend pas vers l’éclaircie. D’autant que le supermarché sait jouer des différences d’objectifs de ses ennemis. Il sait quand et à qui mettre la pression. Il est capable de donner un peu à celui-ci s’il sait qu’il va récupérer beaucoup de celui-là. Il est fourbe et manipulateur et a comme principal adversaire une poignée d’intégristes de la bienveillance et du vivre-ensemble, toujours prompts à se scinder en chapelles irréconciliables pour un mot de travers ou pour se disputer l’accès à un poste qu’ils imaginent « à responsabilités ». Tu penses bien que si le supermarché les laisse s’asseoir à sa table ce n’est pas pour les entendre critiquer le menu ou vomir leur champagne sur les tapis en peaux de bêtes qui décorent la salle de réception.

Cependant.

Parmi les adversaires coriaces du supermarché figurent quelques journalistes, la plupart indépendants. Car le supermarché est aussi patron de presse ce qui incitent nombre de reporters à reporter leur curiosité sur des sujets moins sensibles comme le sport ou les monarques. Et pour faire se tenir tranquille les journalistes indépendants qui regardent de trop près ses méthodes contestables, le supermarché n’hésite pas à recourir à la violence. Les cas très récents du sabotage de la voiture de Morgan Large qui enquête entre autres sur les algues vertes en Bretagne et l’agression d’une équipe d’Envoyé Spécial pendant un reportage sur les saisonniers non déclarés dans le sud de la France, en disent long sur les larges lignes rouges qu’il s’efforce de verdir. L’industrie agro-alimentaire est, avec l’industrie de l’armement, l’une des principales force économique de ce pays. Et les animaux d’élevage, de travail ou de compagnie ne sont que des produits dans cette industrie. Irais-tu réclamer des droits et des attentions particulières pour les autres produits, les emballages, les palettes, les chutes de tissus, le personnel sous-payé et sous-considéré qui les manipulent ? Le supermarché ne raisonne pas en objet animé ou inanimé. Il ne raisonne qu’en chiffres. En nombre de côtelettes ou d’arrêts maladie.

Conscient de cette potentielle faille dans son processus, le supermarché a commencé à produire des animaux en laboratoire pour vendre des steacks hachés à 5% de matière grasse totalement dociles. Il finira bien un jour par foutre la paix aux animaux. Mais peut-être que ce jour-là, il n’y aura plus d’animaux. Tu te souviens de Léo Ferré ? « Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes, Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes… » Et il ne faudra pas dix mille ans pour que disparaissent alors les cages et les enclos, les animaux à fourrure et les animaux sauvages. Plus besoin de référendum !

D’autant que le supermarché s’est offert un nouveau terrain de jeux et de profits sur lequel ne broute encore aucune bête : l’espace. Et plus précisément, pour commencer, Mars et la Lune. Des planètes vierges. Vierges d’animaux, d’activistes, d’avocats et de journalistes. Il n’y a plus qu’à les aménager pour en optimiser la productivité : laboratoire ▸ production ▸ consommation ▸ recyclage ▸ laboratoire.

Le cycle presque parfait vers l’autonomie auto-régulée puisque le supermarché pourra même, à terme, faire l’économie de ses clients, désormais transformés en cobayes consentants d’une galaxie de laboratoires en orbite, des étoiles plein les yeux électroniques de leurs implants connectés. Avec ce même référendum à composter chaque jour :

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