Mô town

Petite parenthèse pour saluer un type que je n’ai jamais rencontré mais que j’ai beaucoup côtoyé en ligne, il y a quelques années.

À l’époque, il montait son premier blog et cherchait des coups de mains pour comprendre son logiciel, déçu comme beaucoup d’entre nous de la fausse réputation de facilité de ces outils de plus en plus complexes. L’ayant précédé de quelques mois sur ce même logiciel, nous échangions beaucoup par forum interposé. Sa jovialité immédiate ne gâchait aucunement son intelligence. Il comprenait vite et bien les arcanes de systèmes qu’il découvrait à peine. En peu de temps, son blog fut maîtrisé et sa plume exceptionnelle lui garantit une audience admirative et fidèle.

Entre autres subtilités langagières, il appréciait toute forme de jeux de mots et je m’amusais à lui en fournir quelques-uns. Avant qu’il ne constitue une équipe digne de ce nom, je jouais à « l’inspecteur technique » pour tester et valider (ou invalider) telle ou telle nouvelle fonctionnalité qu’il avait installée sur un coup de tête ou sur un coup de cœur. Il m’a fait l’honneur de commenter certains de mes articles avec humilité et humour. Les articles en question étaient en fait souvent écrit après lecture des siens, beaux et lumineux.

Nous ne faisions pas le même métier, nous n’habitions pas la même région mais nous avions en commun d’approcher des personnes au profil psychologique assez proche. Assez proche de zéro. Ce zéro qui est aussi le taux de compassion que nourrit la société envers les exclus qu’elle génère puis rejette. Ces exclus, je les nourrissais. Il les défendait. J’étais bénévole dans une association, il était avocat pénaliste dans une région très touchée par l’exclusion.

Nous avons failli nous croiser deux fois. On se devait mutuellement tant de bières ! La première fois il a failli venir à Paris. Voyage annulé pour je ne sais plus quelle raison. La deuxième fois, j’ai failli me rendre à Lille. Annulé là aussi. Je crois que je n’ai pas osé, en fait. Faire le beau en ligne avec des textes plus ou moins réussis, ça me connaît. Mais rencontrer des gens… Leur parler… Je me désiste. Ce rôle n’est pas le mien.

Du coup, on s’est perdu de vue car la vie numérique obéit aux mêmes contingences que la vie en vrai puisqu’elle n’en est qu’une dépendance. Son blog est devenu un lieu incontournable vers lequel ont convergé les professionnels animés de la même empathie que lui. Et parfois, du même talent d’écriture. De mon côté… Peu importe.

Aujourd’hui, j’apprends sa mort dans le journal. J’apprends du même coup son vrai nom. Et je découvre son visage. Il était un avocat humaniste qui aurait défendu le diable en personne. Pas par amour du diable. Par amour du droit. De la justice. Qui perd là un de ses plus ardents défenseurs.

Et je me dis que j’aurais pu faire l’effort d’aller à Lille, ville que je ne connais toujours pas. Mais j’ai déjà oublié le nom du bar dans lequel il m’avait donné rendez-vous pour le cas où je viendrais. Pas grave. Par contre, je n’oublierais pas ses mots. Ni sa faconde, ni sa foi indélébile en la justice.

Je ne lui dis pas « Adieu ! », je n’y crois pas. Je ne lui dis pas non plus « À bientôt ! », je ne suis pas si pressé. Je lui dis juste « Merci ».

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