Liège : chronique touristique

Tous les Liégeois qui me demandent si je suis venu pour des raisons professionnelles, et auxquels je réponds que je suis en vacances, ont la même réaction de surprise gentiment moqueuse : En vacances ? À Liège ?.

C’est vrai qu’à priori, quand tu regardes la carte, Liège est loin de la mer. Perdue dans les tréfonds de la Wallonie, posée là comme un dernier rempart francophone, comme une blague belge faite à ses plus proches voisins, allemands et néerlandais, Liège n’a rien de l’affiche touristique pour une villégiature high-tech. Son climat, qui hésite constamment entre petite bruine, grosse averse et bonne drache, n’incite pas à se ruiner en bikinis ou en ombrelles… comme indice d’écran total, prend plutôt du waterproof ! Et puis tu te rends vite compte que Jacques Brel s’est foutu de toi avec son histoire de Plat Pays : à côté des escaliers liégeois, ceux de Montmartre font presque figure d’ascenseurs !

Pourtant, cette ville ne manque ni de charme ni d’atouts. Je te propose une petite excursion rapide. Tu te feras ta propre idée en y allant puisque tu as un train dans deux heures.

Quand tu descends du Thalys à Liège-Guillemins, tu as l’impression d’arriver sur Mars tellement la gare est moderne et propre.

Surtout moderne. Cette gare flambant neuve est comme un vaisseau extra-terrestre échoué sur des fouilles archéologiques. Elle ressemble d’ailleurs plus à un aéroport qu’à une gare avec son imposant dôme de verre et de béton blanchi.

Surtout propre. C’est ce que tu remarques immédiatement si tu as l’habitude des gares françaises. Tu pourrais presque manger là, par terre, sur le quai. Ce dont je m’abstiens puisque je suis accueilli par Mademoiselle Catherine herself (merci pour la visite).

La transformation du quartier de la gare est le signe que la ville se refait une beauté : Liège est candidate pour organiser l’Exposition Universelle de 2017 et reçoit dès cet été le départ du Tour de France.

Tu t’apercevras assez vite que tout Liège est, en fait, un mélange hétéroclite, et plus ou moins heureux, de bâtisses moyenâgeuses, de hauts et laids buildings de verre et de béton, de petits immeuble bourgeois et cossus entre « haussmannien à taille humaine » et « corbusier coloré », comme une conjugaison à tous les temps du verbe habiter. Des parcs sans grille, de grandes et larges avenues, de longues rues rectilignes des escaliers pentus et improbables, complètent et valident la topologie particulière de cette ville, traversée par une Meuse puissante et langoureuse, bordée de hauts quais joliment pavés.

Tu pourrais penser que, jusqu’ici, Liège ressemble à la plupart des villes historiques qu’une rivière apaise, ce qui n’est pas faux. Cependant, Liège possède quelques particularités intéressantes, troublantes, épuisantes voire… inquiétantes !

Les Rues et les façades

Quant tu déambules dans les rues de Liège, tu es d’emblée confronté à une impression étrange et obsédante. Tu n’y es jamais venu et pourtant le paysage te semble familier… Et puis, d’un coup, l’évidence te cloue sur place. Tous ces hauts murs de petites briques rouges, toutes ces façades ouvragées, toutes ces longues rues absolument droites, mais oui ! c’est tout l’univers de la bande dessinée belge qui prend vie sous tes pas ! Tu marches dans les mêmes rues que Gaston, Spirou, Mortimer ou le Capitaine Haddock ! Et si Hergé ne l’avait constipé, c’est dans l’un de ces caniveaux que Milou aurait posé sa crotte !

D’un point de vue architectural, Liège est à la fois un monstre d’incohérence et un précieux journal sur l’évolution des styles de construction. Il y a cependant comme une caractéristique commune, dans l’importance des surfaces vitrées : que ce soit par de larges baies ou des fenêtres à petits carreaux, nombre de façades, anciennes ou modernes, impressionnent par la dimension de leurs ouvertures. Vues de la rue, elles dégagent comme un sentiment de bien-être et de sérénité. Les claustrophobes apprécieront, les laveurs de vitres, peut-être un peu moins…

Les Liégeois

De manière générale, les gens ici sont cools. Tout le monde est aimable et ne sait pas faire une phrase sans dire bonjour, s’il-vous-plait, merci. Les conducteurs klaxonnent peu, subissent les rares embouteillages avec patience et laissent systématiquement traverser les piétons. Pour un parisien, c’est très étonnant. Tu as parfois envie de prendre un échantillon représentatif de la population et de le ramener à l’Institut Pasteur pour essayer de savoir comment c’est fait, un Liégeois !

Liège passe pour être la plus française des villes belges, ce qui n’est pas la moindre de ses bizarreries. Par exemple, Liège ne fête pas le 21 juillet — qui est le jour de la fête nationale belge — mais… le 14 juillet ! J’adorerai voir un tel cas en France ! Une commune qui se permettrait, déjà, de ne pas célébrer le 14 juillet mais d’en plus, festoyer sur la date du voisin, comment ça te ferait exploser les limites de l’imbécilité politicienne, limites déjà largement repoussées ces derniers temps. ! Les communes françaises manquent décidément d’humour.

Les escaliers

L’une des marques de fabrique de Liège est son réseau d’escaliers. Pentus, défoncés, interminables, casse-pattes, magnifiques, certains semblent n’avoir jamais été restaurés depuis l’invention de l’escalier en 5042 avant Charlemagne !

Le plus célèbre est celui de la Montagne de Bueren : une rampe quasi verticale de 374 marches qui mènent à un majestueux panorama au-dessus de la ville. Rendez-vous incontournable des cars de touristes et des sportifs — certains la monte et la descende plusieurs fois d’affilée en petite foulée — la Montagne de Bueren est aux escaliers ce que La Recherche du Temps Perdu est à la littérature : un monument qui, à peine entamé, te donne le vertige et dont tu penses ne jamais venir à bout. Allez ! Prend ta respiration, affûte ton mollet, conserve un certain sens de l’équilibre et tu pourras — peut-être — y grimper sans avoir à rendre un dernier souffle pathétique sur son avant-dernière marche ! D’autant qu’il y reste encore quelques marches un peu plus loin avant d’admirer les toits de la Cité Ardente

Les Ambulances

Mais tout n’est pas si rose dans la ville de Breton et Simenon. Il fallait bien qu’il y eût une faille sous la forme d’un piège énigmatique et surréaliste autant que fatal : les ambulances de Liège !

Déjà, elles sont jaunes. Pas le jaune guilleret du poussin gambadant dans la prairie ensoleillée, non, le jaune mat dépressif d’une anisette oubliée sur le comptoir défraîchi d’un bar abandonné. Comment te dire ? Fais macérer quelques jours une banane à peine mûre dans un verre de moutarde, et tu devrais obtenir quelque chose de plus chatoyant… Franchement, tu es malade, tu montes dans une ambulance qui a la jaunisse, tu en attrapes une, direct ! Ce qui ne doit pas faciliter, par la suite, le diagnostic des médecins.

Le pire, c’est le hurlement de leurs sirènes. Hurlement est un mot faible, à l’inverse de la douleur qui te vrille le tympan lorsque résonne dans la ville assoupie le cri déchirant du monstre qu’on démembre ! Brrrr…. Ce n’est d’ailleurs pas un hurlement. C’est le son que doit produire l’égorgement d’une cantatrice pendant un contre-ut. C’est le cri de folie que doit pousser Joseph chaque fois que Marie lui soutient mordicus qu’elle est toujours vierge. C’est Céline Dion qui vocalise ! C’est le chat de grand-mère qui hurle à la mort, alors que celle-ci vient de décéder, le corps raidi en travers de la porte fermée du placard à croquettes… Ce n’est rien d’humain.

Et tu les verrais conduire ! À toute vitesse, les ronds-points sur les chapeaux de roues ! Ce n’est pas possible que ces ambulances-là transportent des malades.

Après une longue et douloureuse enquête dans une brasserie du Centre, il s’avère que les ambulanciers sont en fait des expérimentateurs au service du redoutable Entarteur. Leur tâche consiste à enlever prestement quelques touristes près des rudes marches de la vieille ville puis — tout en déstructurant le Code de la Route tels des Magritte ivres morts — à les soumettre à plusieurs séries de lancers de tartes en tout genre (tarte sauce « Lapin », tarte aux frites, tarte au houblon, tarte à la tarte) afin d’améliorer l’ergonomie et la précision du jet sur les pseudos philosophes français (reconnaissables à leurs cols « pelle à tarte »).

Traumatisés pendant cet infernal parcours, et une fois à l’hôpital, sur la table de dissection d’opération, les pauvres touristes n’ont plus le cœur à se plaindre et sont rapidement autopsiés avant que les diverses parties de leur corps exsangue ne prennent place dans les fameux sacs jaunes portant armoiries de la ville pour être — trophées totémiques aux pouvoirs surnaturels — exposés toute une matinée sur les trottoirs les plus passants.

Ainsi, dès qu’une ambulance jaillit d’un carrefour, poussant son long cri suraigu de ptérodactyle funeste qui fondrait sur une couveuse, Liège sait que l’Office du Tourisme va devoir se taper quelques heures supplémentaires pour attirer d’autres promeneurs.

Les ambulances liégeoises sont responsables de la cacophonie qui régnait à Maastricht (ville voisine) au moment de la rédaction du fameux Traité… Les ambulances liégeoises sont aussi responsables de cette bruine continuelle qui arrose la ville. Ô pauvres cumulus qui passiez langoureux et repartez vidés, éventrés, les flancs lacérés par de démentielles stridences !

C’est le secret le mieux gardé de Liège. Tu te rends compte que je prends des risques, là… Il me faudra retourner dans la ville muni de plusieurs cagoules opaques et de bouchons d’oreilles en kevlar irridié !

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