IA : Intelligence Artificielle ou Inintelligence Abusive ?

Ces derniers mois ont vu s’accélérer les craintes engendrées par l’utilisation désormais domestique des applications basées sur le concept d’intelligence artificielle. Cette seule appellation d’intelligence artificielle pose d’emblée la question majeure : qu’est-ce que l’intelligence ?

Ce texte est inspiré par l’excellent article publié cette semaine sur le blog des Alfredines, studio graphique hautement intelligent !


La plupart des dictionnaires sont d’accord pour dire que l’intelligence est « la faculté de comprendre ». C’est sa définition principale. Il en existe d’autres, d’un usage plus restreint, notamment parce qu’elles ont trait au domaine religieux qui n’est plus aujourd’hui le domaine de référence pour la lexicologie. Dans tous les cas, l’intelligence est un critère de hiérarchie. En posséder un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout fera office de jugement de valeur. C’est d’ailleurs sur ce paradigme quelque peu abusif qu’est né le concept de quotient intellectuel.

En anglais (langue simple mais perfide), le mot « intelligence » est aussi associé aux activités de surveillance et d’espionnage. La célèbre CIA états-unienne et le non moins fameux MI5 britannique en sont les fleurons. Et dans ce cas, l’intelligence artificielle est peut-être plus perverse qu’une simple capacité à comprendre.

Cette capacité à comprendre est par nature très différente chez les individus car elle fait appel à de nombreuses notions dont certaines n’ont pas encore livré la totalité de leurs mécanismes. Parmi ces notions, on peut citer l’apprentissage, la mise en pratique de cet apprentissage, la découverte inopinée d’une situation et de ses conséquences. Par exemple, le feu, ça brûle, un couteau, ça coupe, l’eau, ça trouble le Pastis, etc.

Il faut aussi prendre en compte le fait que chacun⋅e juge ce qui l’entoure avec ce qu’iel a d’intelligence. Aussi, le volume d’intelligence n’est pas un critère suffisant. Il faut lui associer l’usage qui en est fait. Puis la capacité à comprendre les conséquences de cet usage. L’intelligence (quel que soit son volume) est indissociable de la volonté d’intelligence. Il ne s’agit pas de seulement comprendre, il s’agit de vouloir comprendre. Soit pour améliorer un processus, soit pour contourner une loi.

Un exemple simple : traverser une rue lorsque le feu pour piéton est vert. À l’évidence, cet exemple ne concerne pas les vieux piétons parisiens dont la capacité à comprendre les subtilités du Code de la Route sont quasiment inexistantes. Mais pour la plupart des citadin⋅es, traverser une rue semble être un exercice anodin. Or, il faut déjà faire la différence entre la rue et le trottoir. Visuellement, ce n’est pas toujours évident d’autant que l’une et l’autre sont très souvent parallèles et grisâtres. Il faut ensuite discerner entre le rouge et le vert. Enfin, il est communément admis qu’il est préférable de traverser une rue dans sa largeur plutôt que dans sa longueur, voire d’emprunter une diagonale ou de dessiner un trajet à la façon d’un papillon, indécis sur le choix du nectar à butiner. Toutes ces notions relèvent à la fois de l’apprentissage, de la mise en pratique de cet apprentissage et de la découverte que la traversée la plus courte est aussi la moins dangereuse. Tant que les véhicules censés passer par cette rue respectent eux aussi la couleur des feux et ne montent pas sur les trottoirs. Auxquels cas, il reste à espérer que l’instinct des un⋅es arrive à suppléer l’absence d’intelligence des autres. L’intelligence d’un⋅e piéton⋅ne ne se limite pas à effectuer le schéma de traversée. Elle doit aussi lui permettre de réagir à une perturbation de ce schéma.

Et c’est bien cette dernière proposition qui différencie absolument le vivant de l’artificiel. Très clairement, et je le dis depuis longtemps, dans « intelligence artificielle » le mot important n’est pas « intelligence » (il te reste deux heures pour tenter de trouver lequel est-ce). Sauf, probablement, pour certaines agences américaines ou britanniques…

Pour reprendre la cas du design graphique, les exemples postés sur le blog des Alfredines montrent à l’évidence que ce secteur n’est pas (encore) le plus impacté par le recours à l’intelligence artificielle. Par contre, ce recours est déjà préoccupant pour d’autres domaines à forte consonance artistique voire politique comme la photographie, la vidéo et même l’écriture. Livres d’Histoire, articles de journaux, textes de loi, devoirs des étudiant⋅es ou blogs satiriques, comment discerner le vrai du faux tant sont considérables les progrès des machines ?

Pour ma part, je peux juste affirmer que mes textes, s’ils sont souvent dénués d’intelligence, n’ont rien d’artificiel !

J’ai traité ce sujet de nombreuses fois et je n’ai pas vraiment changé d’avis. Je t’invite donc à (re)prendre connaissance, entre autres, de ces deux textes déjà anciens (janvier 2014, juillet 2016) :

Avoir des craintes est plutôt positif puisque ça met en œuvre des mécanismes de réaction censés abolir ou amenuiser ces craintes. Ce qui est peut-être la forme la plus rustique d’intelligence, celle dont sont pourvus les animaux (et probablement les végétaux) mais pour lesquels on emploiera l’expression « instinct de conservation » afin de ne pas froisser les ingénieurs du « deep learning » et les philosophes transhumanistes. Mais on ne reviendra pas en arrière. Certaines entreprises et certains états joueront peut-être le jeu de la transparence et de la remise en question permanente (ce que j’ai déjà du mal à croire) mais la plupart utiliseront (et utilisent déjà) l’ambiguïté inhérente de ces machines dites « auto-apprenantes ».

Pour autant, l’avenir n’est ni assombri, ni éclairci par cette accélération de la technologie. En leur temps, la maîtrise du feu, l’écriture sur support durable et transmissible ou la domestication de l’électricité ont été autant de raisons de croire à une prochaine fin du monde. Ce pourrait être d’ailleurs le rôle ultime des intelligences artificielles : recenser l’ensemble des fins du monde possible et nous alerter ainsi sur la nocivité potentielle d’un nouvel apport technologique. Mais pour ça, il faudrait non seulement faire preuve d’intelligence mais il faudrait surtout devenir raisonnable. Et ce dernier point est très certainement le trait de caractère le moins répandu au sein de notre espèce.

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