Gardarem lou maillots !

Discussion enflammée hier au soir, en compagnie de Lou, Benoît et moi-même, autour de pizzas délicieuses et d’un joli match Espagne-Italie entaché par la laideur flashy de la tenue ibérique comparée à l’élégante sobriété concoctée par les maîtres latins du design qui se sont cependant bien loupés sur le style calligraphique retenu pour le nom des joueurs floqué au dos des maillots de la « squadra azzura ». Squadra que tu n’oublieras pas de mentionner comme vainqueur potentiel de la prochaine coupe du monde.

Les compétitions sportives, en général, ayant remplacé les guerres de clochers, et le football, en particulier, étant devenu l’instrument privilégié des suprématies régionales, il est normal de s’attendre à ce que l’attirail de chiffons accompagnant les rencontres — maillots, shorts, banderoles, fanions, etc — explosent d’ors et de chromes afin d’exulter les vanités locales censées affirmer les couleurs de la seigneurie avec force chatoiements et moult enluminures.

Mais enluminures ne veut pas dire qu’il faille bordurer le col d’un maillot, à la base rouge comme un homard timide oublié sur le barbecue incandescent d’une paillotte de la « Costa Del Sol », par un liseré de trente-cinq centimètres de largeur, d’un jaune criard et aveuglant qui rappelle, en plus irritant pour l’œil, la crise de foie d’un poussin élevé au tournesol et au pastis sous le soleil d’été d’une plage du Pacifique ! Je rappelle, à tout hasard, que liseré signifie tresse ou ruban fort étroit dont on borde un vêtement.

Je veux bien reconnaître que trente-cinq centimètres peuvent s’avérer étroits sur une surface totale de quarante-deux hectares mais sur un maillot, aussi grand soit-il, ce n’est pas possible. Cela donne juste l’impression que les gars se baladent avec la grosse lanière qui sert à suspendre au cou les badges nominatifs dont sont friands les endroits réservés aux V.I.P.

Malheureusement, si l’on excepte, une fois de plus, les maillots des équipes italiennes, sur lesquels même les logos publicitaires sont pensés pour s’intégrer aux couleurs du club, il semble que ce soit une tendance générale que de porter le maillot le plus laid possible. Personnellement, j’émets l’hypothèse selon laquelle ces nouveaux accoutrements ont pour but de déstabiliser l’adversaire en le faisant hurler de rire devant une rangée d’athlètes déguisés, au mieux, en glaçage pour pâtisseries britanniques, au pire, en footballeur d’Évian ou en rugbyman du Stade Français !

Il fut un temps, pourtant, où le jersey molletonné se portait avec la fierté farouche du berger Corse arborant la fameuse tête de Maure et s’en allant défier sur les hauteurs de Murato, seulement armé d’un demi-fromage et de quelques figues, le redoutable cochon sauvage ou, à défaut, la Citroën climatisée d’un touriste niçois ou parisien.

Certes, en ces époques lointaines, les retransmissions en noir et blanc rendaient difficiles l’appréciation des couleurs mais avec l’apparition des premières vignettes à collectionner et à échanger en cour de récréation, chacun pouvait s’extasier sur la beauté des maillots de l’Ajax, de l’Inter, du Stade de Reims, du Red Star et surtout du plus beau des maillots, celui de l’AS Saint-Étienne, uniformément vert et rehaussé d’un vrai liseré tricolore ! Vert comme la pelouse, vert comme l’espoir, vert comme les yeux de… mais bref !

Or donc, il semble que depuis l’autorisation des publicités sur la face avant des maillots, une forme de déliquescence a irrémédiablement entraîné la panoplie sportive vers les profondeurs abyssales de la kitcherie glossy des vide-grenier organisés par le tea-party du profond Alabama !

Combien de maillots à la basique sobriété exemplaire finissent par ressembler aux affiches faites-main des kermesses de l’école une fois déshonorés par de vilains logos aux couleurs criardes enlaidies de lettrages improbables ?

Sérieusement, as-tu vu le nouveau maillot de Saint-Étienne ? Pourquoi le type qui a fait ça n’est pas en train de casser des cailloux à Cayenne ou en train de servir de cobaye aux Laboratoires Servier ? Pourquoi ?

Cette inflation de mauvais goût, ce concours de maillots qui dérangent, cette empathie pour la laideur est d’autant plus dommage que le football — le jeu — redevient intéressant avec le retour des artistes tant ibériques que transalpins, tant chez nos cousins germains que chez nos amis belges, tant en provenance de la sud-amérique que du sud-est asiatique, et tant pis pour les ex-artistes disparus des écrans britanniques, français, russes et africains…

Non, vraiment, les maillots, c’était mieux avant !

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