Dispersion

Action de jeter ou de répandre au hasard, çà et là. Action de disperser, de mettre en fuite.

Entre ces deux définitions, nullement contradictoires, il n’y a qu’une échelle de temps. Cette même échelle (relative) qui sert de mesure à tout ce qui est humain. La première définition est dans le temps long et pourrait se voir associer le geste de la semeuse, lançant de son bras à l’ample gestuelle, les graines d’une future moisson : c’est un geste appris, répété, maîtrisé qui marque la confiance en l’avenir. La deuxième définition est dans le temps court et pourrait s’appliquer aux gestes vifs qui permettent d’éloigner les oiseaux granivores : c’est un geste de protection, un réflexe salvateur. Les deux gestes sont en fait complémentaires et résument assez bien ce qui occupe nos vies en général : survivre aujourd’hui et préparer demain.

Mais parfois la mécanique s’enraye. Et l’on écarte d’un bras nerveux les semences prêtes à germer quand on éloigne d’un geste résigné les étourneaux venus s’en repaître. D’où vient que cette mécanique s’enraye ? Et comment, si cela est possible — et ça l’est — enrayer cet enrayement pour de nouveau rayonner ?

Une seule cause à cet enrayement : la fatigue nerveuse. L’influx nerveux, comme toute ressource énergétique, et bien que renouvelable, n’est pas inépuisable. Sa consommation non régulée, non priorisée, nous amène souvent à en dépenser beaucoup pour des broutilles tant personnelles que professionnelles. La fameuse part des choses, si difficile à faire. Ce n’est pas tant qu’on ne sait pas gérer l’intensité d’influx à consacrer à une broutille que l’accumulation desdites broutilles (à comparer aux nuées d’oiseaux) qui se succèdent en vagues infinies et finissent par nous accaparer plus que nécessaire. Et la vie parisienne n’aide pas vraiment.

Bien sûr, on peut prendre des vacances, partir au bord de la mer, au sommet d’une montagne, à l’abri d’un désert de dunes, au-delà des étoiles que l’on peut voir, selon son humeur, selon sa réserve d’influx nerveux, comme une nuée prête à fondre sur notre jolie planète ou comme un feu d’artifice prêt à ensemencer l’univers.

Alors, d’accord, cet enrayement s’enraye, cet influx épuisé se renouvelle et tu voudrais bien une recette. Malheureusement, je n’en ai pas. Et je ne pense pas que quiconque en possède. Il me semble que ce désordre (car c’en est un) est une étape nécessaire. C’est un avertissement. C’est la jauge de ton réservoir d’essence qui passe au rouge avant de s’éteindre définitivement si tu n’y prêtes pas attention. C’est un signal qui te dit qu’il faut faire du ménage dans ta vie, peut-être dans tes relations. C’est l’animal qui est en nous qui gentiment nous prête son instinct de conservation. Qui nous signale que nous sommes arrivés à la dernière station de dispersion avant l’autoroute de la disparition.

Se poser, réfléchir, prioriser ses relations et ses occupations sans les cataloguer, s’en éloigner sans les oublier, s’y consacrer sans s’y perdre, tout cela demande aussi une bonne gestion de son influx.

Au fond, c’est aussi une question d’habitude. Peut-être que c’est la bonne définition de « vieillir ». Mais peut-être que vieillir n’est pas une si bonne nouvelle. Bien qu’en vieillissant les gestes brusques se font plus lentement, les gestes lents plus sereinement. Le temps long et le temps court finissent par se rejoindre, non pour s’égaliser mais pour travailler ensemble, l’un pour l’autre.

La solution peut-elle être de laisser les oiseaux se repaître en semant plus de graines qu’ils ne peuvent en manger ? La nature est bien faite : chaque graine est un arbre potentiel mais également — et dans le même temps — un repas potentiel. À chaque graine, correspond un arbre et un oiseau. Un temps court et un temps long.

Au bout du compte, néanmoins, l’oiseau du temps court nichera sur l’arbre au temps long. La dispersion, n’est peut-être qu’une vibration résiduelle, un battement d’aile, le froissement d’une brindille dans le nid, le signe que, finalement, la vie continue et que tout va bien.

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