Paris est tellement plus agréable à découvrir à pied.
Mais pour un piéton à Paris, il y deux plaies majeures : les cyclistes et les joggers. Sans parler des poussettes, des chariots de courses et des piétons eux-mêmes ! Et à vrai dire, il y a pire que les cyclistes et les joggers sur les trottoirs de Paris : il y a ces putains de saloperies de trottinettes à la con mais elles mériteraient un article à part (en même temps, pas trop envie de me saloper le cortex pour dire du mal de ces évidentes calamités) !
Les joggers
Les joggers se classent en deux catégories : les coureurs naturels et les joggers ridicules.
Les coureurs naturels — évidemment et malheureusement les moins nombreux — se reconnaissent facilement à leur allure. Foulée élégante, buste droit, tête haute, ils semblent voleter au-dessus des trottoirs que leurs pieds ne heurtent pas mais caressent d’un appui sensuel et régulier. Leur morphologie d’antilopes urbaines égale le design et les performances d’une bielle de moteur italien et leur autorise ces courses qui, au-delà du bienfait sportif que cela peut leur apporter, participent du spectacle de la ville. Ces coureurs naturels — qu’on ne peut décemment appeler joggers — sont donc dispensés des mesures d’aménagement préconisées ci-dessous et peuvent continuer de charmer les trottoirs de ces grandes enjambelles que ne renieraient pas certains maîtres du Bolchoï.
A contrario, les joggers ridicules ont un profil tout à fait euh… contraire ! Mais pourquoi nous infliger la vision de ces mollets disgracieux grimaçant de douleur sous de tristes cuisses recouvertes de shorts beaucoup trop courts et beaucoup trop flashys, ce défilé continu de spectres hagards, essoufflés, grassouillets, aux déhanchements cahotiques de tacots bringuebalants sur des pavés disjoints ? Ils ne courent pas, ils titubent !
Ils accourent faire la cour au parcours mais encourent le courroux de la Cour !
Là où le coureur naturel a tracé une ligne bien droite en quatre foulées aériennes, le jogger ridicule décrira une figure qu’aucun mathématicien ne modélisera jamais. Une forme brouillonne de sinusoïde irrégulière dont les tangentes brisées en mille larmes de honte restituent imparfaitement les rythmes électroniques qui débordent de leurs monstrueux écouteurs ne cachant que partiellement leur pauvre crâne soudainement déserté que même le néant refuse de squatter ! Tout ça en ahanant, toussotant, crachotant, voire, quand ils courent titubent en groupe, en se racontant leurs soirées de beuveries ou en préparant la réunion de l’après-midi sur le dossier Lambert qui avance encore moins vite qu’eux !
La vie n’est pas suffisamment courte aussi ont-ils bien raison d’en gâcher de précieuses heures : leur cœur inutilisé, écœuré, cessera bientôt de battre car on ne l’entretient pas en bougeant les jambes de cette façon… sauf à être un coureur naturel.
Mais comme nous sommes en un pays hautement civilisé dans lequel chacun a le droit d’exprimer sa laideur (écrire ou courir, telle est la question !), le jogger ridicule pourra faire son profit du projet d’urbanisme présenté ci-dessous et donner libre cours à sa vélocité de crapaud-buffle arthritique.
Et puisqu’on parle de vélocité, parlons des cyclistes dans la ville.
Les cyclistes
Pour éviter tout malentendu je précise que j’aime le vélo. Tous les vélos. Je trouve cet objet fascinant : à la fois simple dans son idée et complexe dans sa réalisation, à la fois intemporel dans sa cyclicité et archaïque dans son immotorisation, le vélo est une des inventions les plus improbables et donc une des plus belles.
Mais pourquoi faut-il que certains, à peine juchés sur la pédale, se croient les maîtres rayonnants d’un monde strictement binaire où n’existeraient plus, d’un côté, que des vélocipèdausores affamés de bitume, et de l’autre, une jungle hostile et barbare faite de patauds chiens en laisse, de placides poussettes et de braves piétons innocents et contemplatifs ? Alors que la campagne alentour regorgent de bovidés désespérés de ne voir des vélos que lors d’un hypothétique passage du Tour de France le long de leur prairie, ces cyclistes insensibles ont choisi les trottoirs de Paris pour s’adonner à ce qui semble être leur seule raison de vivre : emmerder le monde !
Depuis que le vélo a été décrété mode de transport écologique pour licornes et chatons, il en pousse de partout ! Des grands, des petits, des profilés, des à sacoches, des à remorque pour bébés, des antiquités recyclées, des blancs, des gris, des jaunes… Du vrai chien-dent ! Et je te circule dans tous les sens, le plus vite possible, de préférence sur les trottoirs, en grillant les feux, en ne respectant pas les pistes nombreuses qui leur sont pourtant dévolues, en jouant rageusement de leur aigre sonnette crécellique, en râlant, pestant et insultant quiconque, bipède, tripède ou quadrupède, oserait rester en travers de leur imprévisible trajectoire !
Mais comme nous sommes en un pays fortement tolérant dans lequel chacun a le droit d’exprimer sa bêtise (étaler sa rancœur ou pédaler de bon cœur, telle est l’autre question !), le cycliste saura trouver dans le projet d’urbanisme présenté ci-dessous de quoi donner libre cours à sa jogguerie de dogue drogué au grog des prologues en vogue !
Le projet
Afin de rendre l’usage des trottoirs de Paris aux seuls piétons éventuellement accompagnés d’un chien ou de tout autre animal amoureux de pétales, dépourvu de pédales ou de croquenots vandales, imaginons le projet suivant.
Il existe à Paris une vaste surface qui, de par sa topologie peu pentue conviendrait à tout type d’activités bling-bling et non sportives tels que le cycling et le jogging. Nonobstant le fait d’être sous-utilisée, cette surface est également parfaitement accessible puisqu’elle se trouve en plein centre de la Capitale…
attention… rrroulement de tambourrr…
Le fond de la Seine !
« Le plus grand aquabike du monde au cœur d’une métropole millénaire et radieuse, symbole universel du bon goût et du bien vivre ! »
Ce projet, à la mise en œuvre rapide, présente l’avantage d’être peu coûteux et de demander peu d’entretien.
Il suffira d’une simple opération de dragage pour retirer les quelques débris qui encombrent la vase (carcasses de voitures, promesses électorales, noyé assassiné par un gars qu’en voulait à son porte-monnaie…) suivie de la pose rapide de deux rubans d’asphalte au milieu desquels continueraient de s’égayer brochets, gardons et carpes, voire, pour peu qu’on puisse saliniser une partie de cette eau, quelques requins réunionnais en cure de désintoxication mais susceptibles de récidives (d’où l’expression : « se requinquer »).
Des boutiques de location de matériel ainsi que des buvettes et des sanitaires pourront facilement être installées en surface — notamment sur des pontons mobiles — fournissant ainsi une mine d’emplois pérennes ainsi que saisonniers à même de financer l’intégralité des travaux.
Nul doute que ce projet trouvera la place qu’il mérite dans les plans du futur Grand Paris puisqu’il serait alors possible d’adjoindre au fond de la Seine, une partie du fond de la Marne et de celui de l’Oise multipliant ainsi les espaces dédiés à la pratique de l’inutilité vacuitaire, ce nouveau sport-roi des urbains nourris de hype consumériste hardiment conjuguée à la première syllabe du consternant.
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