Il y cent ans, l’Europe entraînait le monde dans un effroyable conflit pour une sombre histoire de séparatisme permettant à Sarajevo de réduire le score face à Sébastopol qui avait ouvert la marque quelques années auparavant suite à un imbroglio territorial sur les rives de la Mer Noire, point de passage important du commerce Europe-Asie-Russie. Je sors la Russie du continent asiatique où sa présence n’a de sens qu’en tant que continuum géologique. Territorialement, historiquement, culturellement, ce grand et beau pays qui cumule pas mal de records dans la catégorie « dirigeants néfastes », est une entité en soi.
Pour l’avoir toujours ignorée ou combattue, le monde va de nouveau s’enflammer. Chaud devant !
Dans ce match pour l’octroi du titre symbolique de « ville la plus canon », Sarajevo reprenait l’avantage en fin de XXe siècle, au cours d’une véritable boucherie durant laquelle le « nettoyage ethnique en direct à la télé » ne fut pas la moindre de ses nouveautés. Le match aurait d’ailleurs pu s’arrêter là. Mais Sébastopol vient de lancer une contre-attaque pour le moins stupéfiante. On ne sait pas encore si toutes ses tentatives de tirs transperceront les lucarnes adverses (pour ce qui est de la petite lucarne, tout est en place pour profiter du spectacle) ou si les moulins à paroles européens, réveillés en sursaut par les cris des supporters Ukrainiens, parviendront à détourner les missiles qui se préparent.
Le match est donc relancé. Bienvenue dans cette nouvelle série du World War Championship !
On a longtemps cru qu’une équipe issue du Moyen-Orient décrocherait ce titre. Ces équipes s’entraînent dur depuis cinq mille ans pour faire exploser ce bout de caillou, et malgré quelques belles performances individuelles (Babylone, Jérusalem, déjà, Beyrouth, Bagdad, Jérusalem encore, Bagdad de nouveau, Jérusalem toujours, Damas), aucune tentative n’a encore vraiment réussi à embraser l’intégralité du globe. Même le coaching, pourtant intelligent et productif en faveur de la jeune et prometteuse Kaboul, n’a pas permis de remontée au score significative.
Du côté du matin calme, une fois dissipées les vapeurs du grand soir, un timide espoir a brièvement animé les adorateurs de Kim-De-Jong-Il lorsque Pyong-Yang réussit un joli crochet extérieur suivi d’un centre presque parfait. Mais les arbitres chinois, après consultation des six-cent-soixante-treize-mille pages du nouveau règlement, sifflèrent un hors-jeu.
Et voilà que les vieilles gloires caucasiennes, et leur sens inné du coup de théâtre aussi tonitruant qu’efficace, reprennent le contrôle du ballon !
La tactique n’a guère évolué : un coup d’éclat sanguinolent pour faire diversion, et pendant que les pleureurs pleurent, pendant que les accusateurs accusent, pendant que les analystes analysent, pendant que les coaches adverses temporisent, les ailiers russes franchissent rapidement le premier rideau et s’apprêtent à occuper longuement cette partie du terrain, sans esbroufe, sans passement de jambes inutile, tout en rapidité et en autorité. Le coaching européen, en partie géré par Washington, va devoir faire un effort d’inventivité pour combler les failles immenses qui ont permis aux russes de gambader dans cette zone sensible aussi simplement qu’un garenne dans une jachère à l’abandon.
Du coup, la polémique sur la possible entrée en jeu des défenseurs centraux turcs va encore faire hurler dans les vestiaires. Ce serait pourtant une solution intéressante. Car il n’y a aucune raison pour que les russes ne tentent pas de profiter de leur avantage pour tenter de s’approprier l’intégralité de la Mer Noire.
La suite du match s’annonce toutefois indécise. On imagine facilement les russes, ayant remis en route leur indécrottable romantisme guerrier, tenter par tous les moyens d’ingérer les provinces alentours en les forçant, au besoin, à devenir pro-russe (« You go no europe, you go slave ! »). On imagine tout aussi bien ces mêmes russes, grisés par ce même et oxymorique romantisme optimiste, oublier de protéger leurs arrières que les tribus mongoles, patientes, se préparent à reconquérir…
Cette nouvelle guerre froide en plein réchauffement climatique est un billard à multiples bandes dans lequel les Russes, qui ont réussi à ne pas s’engager dans les conflits extérieurs qu’ils ont pourtant attisés, arrivent groupés, motivés et en possession de quelques jolis coups d’avance. Ce n’est pas pour rien que les échecs y sont un sport national.
▣