Ovide et le grand vide : introduction

(réflexions semi absurdes sur une situation pleinement embarrassante)

Je sais parfaitement que tu en as ras la casquette mais il est quand même difficile de ne pas évoquer un tel sujet. Il est présent à chaque coin de rue où il a remplacé la météo, le match de la veille, les gilets jaunes et (ne rayer aucune mention inutile) les salopards/incompétents/escrocs du gouvernement, du patronat et des syndicats. Il est tapi dans chaque page de la presse où il sert à la fois de prétexte, de prérequis et de présomption préliminaire à tout précepte préétabli. Il est surtout — et malheureusement — présent à chaque inattention de conversation. Tu as beau faire l’effort de parler d’autre chose, y compris de sujets dont tu n’avais auparavant strictement rien à foutre (par exemple, le cadrage néo-romantique abstrait dans la photographie numérique à double bobinette fixe), il y a toujours quelqu’un pour t’en détourner et te remettre les pieds dans les ornières non consensuelles des polémiques vaines. Quand ce n’est pas toi-même qui te fait bêtement piéger au détour d’une mauvaise blague ou d’une question naïve.

Il faut reconnaître qu’un tel sujet a tout ce qu’il faut pour monopoliser la parole. Mais au-delà des discours et des monologues plus ou moins bien argumentés, c’est souvent les frustrations et les espoirs qui ressortent des conversations ainsi aimantées. Car la peur revêt souvent le masque de l’optimisme.

Ce sujet — la Culture OVIpare Décomplexée au 19e siècle — je l’ai déjà évoqué ici mais sans trop m’y attarder. Autant par peur de dire des conneries que retenu par une forme inhabituelle de pensée magique qui voudrait que disparaisse ce dont on ne parle pas. D’une part, le sujet n’a pas disparu et il ne semble pas près de le faire. D’autre part, j’ai moi aussi quelques espoirs et frustrations par rapport à tout ce qui se dit et qui ne correspond pas à ce que je vois et ressens. Alors autant tout mettre par écrit.

Surtout qu’il n’y a que des avantages à utiliser l’écriture plutôt que la parole. D’abord pour mon confort personnel : je peux prendre le temps de me relire, de me corriger, de me renseigner, de m’étendre, de m’esclaffer devant des jeux de mots qui ne font rire que moi… bref, d’exprimer ce que je ressens de façon plus précise que si j’avais à en faire l’éloge entre deux bafouillements éclaboussés de bave. Ensuite — et c’est certainement la raison majeure — je n’emmerde personne par volonté ou par inadvertance avec mes analyses à deux balles puisque en tant que lectrice, de l’autre côté de l’écran, tu peux parfaitement ne pas les lire ! Ou choisir de n’en lire qu’une partie. Car, oui, il y a plusieurs parties. Trois exactement. Si je ne compte pas l’introduction que tu es en train de parcourir, ni la conclusion qui, ô surprise, terminera cette série.

Et s’il n’y a que trois parties, c’est que je ne sais compter que jusqu’à trois. Un, deux… attends, je vérifie… voilà, c’est ça : trois ! Car trois est la quantité minimale requise pour assurer la stabilité de quoi que ce soit : autant pour le trépied que pour le ménage à trois, autant pour la règle de trois que pour les Trois Mousquetaires. Pourquoi en vouloir plus ? La vox populi a d’ailleurs plébiscité deux célèbres comptines qui vont dans ce sens  : « Un, deux, trois… Soleil ! », grand succès des cours de récréation chez les petits et « One fore the money, Two for the show, Three to get ready ! », dans la cour des plus grands. Preuves quasi définitives qu’il est inutile de compter au-delà de trois.

Si tu décides de les lire, ces trois parties — que j’ai sobrement nommées : première partie : le « monde d’avant », deuxième partie : le « monde pendant » et troisième partie : le « monde d’après » — vont t’occuper entre vingt et trente minutes, selon la rapidité avec laquelle tu avales les mots. Mais comme je n’ai pas envie de te faire perdre ton temps, je te les résume ci-après.

Dans la première partie, tu apprendras qu’il est inutile de rêver du retour du « monde d’avant ». Il ne reviendra pas. Ou alors par bribes. Comme un souvenir filandreux dont la trame principale est absente. Comme un fêtard ivre qui revient en titubant pour constater que son fournisseur attitré a baissé le rideau et qui repart tout aussi titubant, penaud et balbutiant, dans la nuit solitaire des ruelles parisiennes. Alors, et sans le brusquer, il faudra le saluer d’un dernier : « Allez, monde d’avant, il faut partir maintenant. Merci pour tout et adieu ! », puis bien verrouiller la porte et laisser le train du souvenir rejoindre les gares désaffectées des mémoires volatiles.

La deuxième partie te fera découvrir l’autre face de ce monde étrange qu’est le « monde pendant », coincé entre le « monde d’avant » et le « monde d’après ». Et ce monde-là est bien le plus sauvage des trois. Parce qu’il hérite des tares du précédent, il se croit encore tout permis et repousse toute analyse sérieuse à plus tard. Parce qu’il se croit paré des qualités du suivant, il s’autorise un peu n’importe quoi et refuse d’en assumer les conséquences. Le fait que ce texte soit écrit alors que nous sommes au cœur et au cours de cette deuxième partie, montre assez toute l’ambiguïté qu’il peut y avoir à s’extraire d’une situation pour tenter d’analyser icelle.

Enfin, la troisième partie t’annoncera un « monde d’après » un peu plus convenable à bien des égards. Sauf que ce monde, contrairement aux deux premiers, n’est pas une certitude puisqu’il lui faut un accord tridimensionnel sur la nature des indispensables changements, sur le temps à prévoir pour leur mise en œuvre et sur l’énergie nécessaire pour en accompagner les bouleversements induits. Cette phrase est volontairement bullshit pour ne pas te révéler de suite le nom du coupable qui commence par « capi » et finit par « talisme ». Suspense…

*

Maintenant, avant de sombrer inconditionnellement dans une déprime inutile ou dans une euphorie prématurée, attache ta ceinture, ajuste ton masque (je vois ton nez qui dépasse !), et viens voir à quoi ressemble tout ce cirque. Et rappelle-toi que si nous sommes en mesure d’échafauder des hypothèses et des plans sur des futurs incertains, nous le devons à nos lointains ancêtres qui, sans média, sans outil numérique, sans théorie du complot, sans « bon sens paysan », sans connaissance scientifique et sans imbroglio politico-économique, ont surmonté des conditions de vie autrement plus stressante que la fermeture des bars !

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