La fabrique des bouts de corps

Il y a quelques semaines, je me suis entaillé un doigt. Assez profondément pour en garder à la fois une marque et une interrogation sur la capacité d’un corps à se (re-)construire. Réflexion alimentée par cet article sur les jambes des poissons.

La fabrique de l’entaille

Du classique. Un morceau de pain dans la main gauche, un couteau dans la main droite ; un neurone qui crie : « Attention ! », l’autre qui n’écoute pas… Résultat : une ouverture d’un bon centimètre de long pour une profondeur que j’estime d’abord être faible à en juger au peu de sang qui s’écoule et à l’absence de douleur.

Chez moi, ni sparadrap ni désinfectant… Le vide intersidéral ressemble aux quais de St-Lazare un jour de grève à côté de mon armoire à pharmacie… J’enroule donc mon doigt dans une feuille d’essuie-tout et je retourne glander sur Internet en écoutant de la musique.

Le lendemain matin, suite à une manœuvre délicate (faire un lacet, parfois, c’est délicat…), le semblant de cicatrice se déchire et cette fois, ça pisse dru ! Comme je dois prendre la voiture pour monter sur Paris, je fais un détour par la ville voisine et me fait faire un vrai pansement. Une charmante pharmacienne pourra rajouter sur son CV : « maîtrise des soins aux néandertaliens maladroits » !

Jusque-là rien d’extraordinaire… ne mens pas, je te vois bâiller d’ici…

Ainsi que je te l’ai déjà conté, je suis un piètre guitariste. En plus des « barrés », j’ai un problème avec les accords qui nécessitent trois doigts dont un index replié de façon à ne toucher que la corde voulue. J’ai omis de te préciser que c’est l’index gauche, la victime, non ? C’est fait. Or donc, jusque avant cette entaille, mon index gauche se posait sur les cordes avec la délicatesse et la précision d’une vache folle pogotant sur le câble haute-tension d’une caténaire est-allemande. Je ne vais pas prétendre avoir acquis d’un coup la dextérité nécessaire mais ce qui est tout à fait surprenant c’est la nouvelle capacité de pliage de cet index.

Muni de ce nouveau doigt, je peux améliorer certains de mes morceaux en substituant au « glinggbrghz » habituel, un « ♬ » presqe audible.

Aussitôt, la machine à penser s’est mise en route et je me suis posé quelques questions sur certains de nos bouts de corps et leur utilité.

Depuis longtemps, les sportifs réguliers nous montrent qu’il est possible de modeler tout ou partie de son corps en fonction de telle performance attendue. Les tennismen et leur bras de service démesuré sont un bon exemple bien qu’aujourd’hui ils se musclent aussi l’autre bras pour ne plus ressembler à des demi-Popeye. Il s’agit là de construction rapide (à l’échelle humaine) et volontaire. Les body-builders ont eux aussi et de manière plus précise, des combinaisons répétées de gestuelle et d’ingestion, en fonction du muscle à développer et du galbe souhaité.

Mais la construction volontaire du corps ne se limite pas aux muscles. Les femmes-girafes ou les pieds de geishas transforment en partie le squelette. Et de manière extrême, les abus alimentaires forment (et déforment) les organes. Si bien qu’il est parfaitement possible d’imaginer que l’ensemble du corps, jusqu’à ses plus infimes parties, est modelable à souhait, selon l’usage qu’on lui destine.

Mais qu’en est-il des constructions involontaires ? Peut-on imaginer une construction sociale du corps, qui s’étalerait sur plusieurs centaines de générations, à l’image, par exemple, des différentes constructions de membres (des pieds pour marcher, des ailes pour voler, des nageoires pour nager, une carte de l’UMP pour ramper, etc…) et qui serait déclenchée, non pas par des facteurs écologiques externes auxquels il faudrait s’adapter pour survivre, mais par des impératifs culturels ?

La fabrique de l’hymen

De nombreuses femelles mammifères sont pourvues d’hymen mais c’est loin d’être une généralité. On ne peut donc pas en faire une caractéristique physique essentielle qui définirait l’appartenance aux mammifères. On peut juste constater un utilitarisme chez certaines espèces, comme pour les baleines chez qui l’hymen semble avoir une fonction de protection contre la pénétration de l’eau de mer (visiblement plus efficace que la coque du Titanic…).

Chez la femme, en revanche, le rôle physiologique de l’hymen n’est absolument pas connu. De ce fait, son « utilitarisme » se trouve réduit entre incantations religieuses sur la pureté et soumission aux mâles (père, frère, époux, patron, etc…). Et bien souvent, ces deux antiennes se confondent et se nourrissent mutuellement.

Il n’est alors pas totalement irréaliste de penser que l’hymen, bien qu’étant fait de chair et de sang, n’est que le résultat d’un conditionnement, peut-être d’une sélection.

On sait toute l’importance prise par la filiation au fur et à mesure de l’évolution sociale des groupes humains. De clans auto-gérés, peu spécialisés et un brin expérimentateurs fous, nous sommes arrivés à une unique société technologique hyper-spécialisée dont chaque membre tend à n’avoir qu’une seule fonction, directement déduite de sa position sociale. Cette société pyramidale a un besoin vital de contrôler l’origine des membres de sa classe dominante et en particulier de ses dirigeants (quelques soient leurs titres : présidents, monarques, grands prêtres, gourous intergalactiques sauce barbecue…).

On peut donc imaginer qu’une longue sélection ait pu aboutir, au moins chez les dominants, à voir naître des filles systématiquement pourvues d’hymen. Ces filles étant plus choyées que les autres on peut penser qu’elles développèrent au fil des générations un génotype sur lequel les gênes responsables de la présence de l’hymen seraient passés d’un statut de gênes neutres à celui de gênes procurant un avantage sélectif (cf phénotype, génotype, dérive génétique).

La nature humaine étant ce qu’elle a toujours été, les amours ancillaires autant que les viols de conquête ont pu propager ce nouveau génotype et faire en sorte que l’hymen soit aujourd’hui présent chez quasiment toutes les filles.

Pour autant, une construction sociale de l’hymen supposerait quelques préalables comme :

  • une parfaite connaissance des principes de la reproduction des mammifères, connaissance qui ne pouvait être déduite que de l’observation ;
  • la disponibilité d’un cheptel de jeunes femelles pré-équipées ; après tout, nous avons un ancêtre commun avec la baleine ; une évolution séparée a pu néanmoins laisser ça et là cette empreinte ;
  • la fabrication d’un discours clivant amenant à se séparer des échantillons non conformes (l’invention du concept de « virginité » trouvant alors son climax dans la figure et le culte de la vierge Marie).

Sur ce dernier point, notons que le plus grand philosophe français du XXe siècle écrivait :

« La vierge marie est le seul mammifère femelle dont l’hymen ait été forcé de l’intérieur. »
(François Cavanna)

OK, cette « théorie » n’est pas très structurée ni, finalement, très crédible. Si une telle construction sociale était possible, on peut facilement imaginer que les hommes auraient tous une grosse bite et que du coup, plus personne ne voterait à droite… Sauf à considérer qu’il y aurait, parallèlement à la construction sociale de l’hymen, une construction sociale du pénis…

Mais ceci est une autre histoire… et visiblement, l’entaille ne m’a pas entamé que le doigt : le cerveau semble également touché…

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