Liberté et communautés

Sur l’un des nombreux forums de la communauté GNU/Linux que je parcours, atterrirent un soir ces drôles de questions :

  1. la liberté est-elle compatible avec la communauté ?
  2. l’open source est-il compatible avec la liberté ?
  3. la communauté est elle compatible avec l’open source ?

1. La liberté est-elle compatible avec la communauté ?

Posons la question plus précisément : la liberté est-elle concevable à l’intérieur d’une communauté ? Et son corollaire : la liberté d’une communauté est-elle compatible avec la liberté des autres communautés ?

Comme ce cher Jean-Jacques Rousseau — et si j’ai bien compris ce qu’il a si magnifiquement écrit — j’ai tendance à penser que la liberté individuelle d’une communauté est bornée par les règles que ce sont volontairement fixés les individus de cette communauté. Je sous-entend, pour plus de confort et parce qu’il est tard, que chaque individu est libre de choisir et/ou de quitter une communauté, ce qui est fréquemmment le cas sur la « banquise ».

Encore faut-il, bien évidemment, que ces règles soient accessibles et connues de tous et non modifiables arbitrairement par un seul individu. La république, par exemple, est une communauté choisie librement par un ensemble d’individus et dont le rôle est de garantir le respect de « l’espace de liberté » décidé en commun par cet ensemble d’individus.

Une première réponse pourrait être : la liberté est compatible avec la communauté puisqu’elle en est le résultat.

En élargissant cette notion, et en pré-supposant que toutes les communautés ont choisi un schéma quasi-identique d’attribution d’espace de liberté en leur sein, la somme de deux espaces de liberté est-elle égale à un plus grand espace pour plus de libertés ou bien d’un plus grand espace pour au mieux, les mêmes libertés ? Pour le savoir, redescendons au bas de l’échelle et examinons ce qu’il en est de la liberté individuelle.

Il parait clair qu’en dehors d’une quelconque communauté, ni le mot individu ni le mot liberté n’ont de sens. L’individu se définit par rapport à un groupe (dont il fait ou non partie). Quant à la liberté, elle n’existe que par rapport à la contrainte dont elle est l’antidote. Sans groupe, pas d’individu, sans contrainte, pas de liberté. Le vent est-il libre de souffler ?

Au sein de sa communauté, nous l’avons vu plus haut, l’individu, par l’intermédiaire de règles plus ou moins compliquées mais acceptées et assumées — on supposera également que ces individus-là ne passent pas leur temps devant la télévision — délimite son propre espace de liberté à l’intérieur duquel nul ne pourra lui en contester l’usage (ou le non-usage).

S’il advient que la communauté dudit individu en vienne à élargir son espace de liberté en s’associant de quelque manière à une autre communauté d’individus, également mais différemment libres, la communauté qui en résultera ne pourra avoir comme espace commun de liberté que l’ensemble formé par la conservation des libertés communes — donc conciliables — et par l’abandon — ou la transformation, donc la perte — des libertés inconciliables.

Serait-ce alors comme jouer dans une cour plus grande et plus peuplée mais avec moins de jeux ? Oui et non, car cette réunion de communautés finira par devenir une communauté qui permettra aux individus qui la composent, de quelque communauté qu’ils venaient, de bâtir ensemble leur propre espace de liberté. Ainsi, la notion de liberté semble-t’elle en étroite dépendance avec la notion de temps.

Les contraintes d’un temps donné dans un espace donné pourront être les libertés d’un autre temps dans ce même espace alors même qu’elles seront déjà des libertés en un autre espace du même temps et le tout réciproquement, bien sûr. [note : c’est en relisant ce genre de phrase que je comprends pourquoi mon téléphone ne sonne jamais…]

Seule certitude : liberté et comunautés ne sont pas incompatibles !

2. L’open source est-il compatible avec la liberté ?

Dans le cas particulier de la communauté open source (qui est une communauté de communautés) le raisonnement doit s’inverser : ce ne sont pas les diverses communautés qui s’inter-pénètrent pour former une méga-communauté mais une micro-communauté qui se reproduit en myriades de micro-communautés au sein de la toujours identique méta-communauté. Ici, les libertés sont figées et sont identiques pour tous les individus, quel que soit l’espace ou le temps dans lequel évoluent ces individus. Le rôle de la communauté, ici, n’est pas de garantir que les individus jouissent des mêmes libertés mais que les mêmes libertés — en l’occurence, les quatre libertés fondamentales — soient respectées par tous les individus qui s’inscrivent volontairement dans une ou plusieurs micro-communautés.

Ainsi, là ou l’individu était, par son appartenance à la communauté, source de liberté pour lui et pour les autres, ici, dans la communauté open source, la liberté devient la source par laquelle l’individu intègre la communauté. Cependant, l’espace de liberté de la communauté open source ne peut être perçue comme coercitif ou aliénant pour l’individu, en raison même de la liberté propre à l’individu qui décide d’intégrer ou de quitter cette communauté. C’est une autre forme d’équation (individu x temps x liberté) avec la liberté comme constante.

Dans l’exemple précédent, les facteurs temps, individu et liberté, étaient tous trois variables. Ici, traversant le temps, une liberté sera toujours la même au sein du même espace quels que soient les individus.

Une réponse pourrait être : La liberté (l’espace de liberté) de la communauté open source n’est pas compatible avec la liberté (l’espace de liberté) des communautés précédemment étudiées.

3. La communauté est elle compatible avec l’open source ?

La question se pose-t’elle vraiment ? L’open source, comme nous venons de le voir, génère sa (ses) propre(s) communauté(s) sur un besoin très précis : la conservation de libertés pré-définies. Ces libertés pré-définies ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont le fait d’individus, au sein d’une communauté, dont le but est d’imposer à d’autres individus du même espace de liberté, des libertés non décidées en commun (que cela soit à tort ou à raison n’est pas l’objet de cette démonstration). La communauté open source élargit ainsi son propre espace de liberté, non pas en agglomérant d’autres communautés mais en s’appropriant de l’intérieur un espace déjà constitué par la communauté dont elle vient !

Avant de poursuivre plus avant, il conviendrait de définir plus précisément ce que recouvrent vraiment les mots liberté et communauté. Ce sera certainement l’objet d’une prochaine nuit blanche, lorsque j’aurais réapprovisionné mon stock de bières…

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