Esclave de famille

Ce texte est une tentative de traduction — approximative et personnalisée — de « My Family’s Slave », un bouleversant récit de Alex Tizon publié en juin 2017 dans le magazine The Atlantic.

L’intérêt principal de cet exercice a été de confronter ce qui me restait d’anglais scolaire à ce que je pouvais trouver sur des sites comme le Merriam-Webster, l’Urban Dictionnary et DeepL. Et m’apercevoir que le fossé entre commander une bière dans un pseudo pub irlandais de Paris et se plonger dans l’intimité d’une famille philippine immigrée aux États-Unis est absolument gigantesque !

N’étant pas traducteur professionnel, cet exercice est forcément améliorable. N’hésite pas ! Cette histoire hors-norme en vaut la peine. D’autant qu’une phrase du texte original a totalement échappé à ma compréhension. Je l’ai donc laissée telle quelle en anglais. Si tu as des suggestions…

***

Les cendres ont rempli une boîte de plastique noire de la taille d’un grille-pain. La boîte devait peser un bon kilo et demi. Je l’ai enveloppée dans un sac de toile et l’ai rangée dans ma valise. Puis j’ai pris un vol jusqu’à Manille. De là, j’ai rejoint en voiture un village isolé. En arrivant, je me suis débarrassé de ce qui restait de cette femme qui avait passé cinquante-six années comme esclave dans ma propre famille.

Elle s’appelait Eudocia Tomas Pulido. Nous l’appelions Lola. Elle mesurait un mètre cinquante. Elle avait une peau café-au-lait sombre et des yeux en amande que je voyais encore se planter dans les miens, comme au premier jour. Elle était âgée de dix-huit ans quand mon grand-père l’offrit en cadeau à ma mère. Aussi, quand ma famille partit pour les États-Unis, Lola fit partie du voyage. Aucun autre mot qu’esclave ne peut mieux définir ce qu’a été sa vie. Sa journée commençait bien avant que quiconque ne soit réveillé et se terminait bien après que tout le monde se fût couché. Elle préparait trois repas par jour, nettoyait la maison, servait mes parents et prenait soin de mes quatre frères et sœurs et de moi-même. Mes parents ne l’ont jamais payée mais la réprimandaient constamment. Elle n’était certes pas enchaînée mais c’était tout comme. Souvent, la nuit, en me rendant aux toilettes, je l’apercevais endormie dans un coin, appuyée contre un tas de linge, ses doigts crispés sur une étoffe en cours de pliage.

Aux yeux de nos voisins américains, nous représentions des migrants modèle. Une famille de carte postale. C’est en tout cas ce qu’ils nous disaient. Mon père était diplômé en droit et ma mère achevait sa médecine. Mes frères et sœurs, comme moi-même, avions de bonnes notes et disions toujours « s’il-vous-plaît » et « merci ». Nous ne parlions jamais de Lola. (Note : la phrase qui suit est non traduite car non comprise.) Our secret went to the core of who we were and, at least for us kids, who we wanted to be.

Lorqu’en 1999 ma mère est morte d’une leucémie, Lola est venue vivre chez moi, dans une petite ville au nord de Seattle. J’avais alors une famille, une carrière, une maison en banlieue… le rêve américain ! J’avais aussi une esclave.

***

À la réception des bagages à Manille, j’ai ouvert ma valise pour m’assurer que les cendres de Lola étaient toujours là. Au dehors, l’air m’était familier : un mélange entêtant de vapeurs d’échappement, de relents de poubelles, d’air marin, d’arômes de fruits sucrés et de sueur.

De bonne heure le lendemain matin, je trouvais un chauffeur, un sympathique gaillard entre deux âges, répondant au surnom de « Doods ». Nous fîmes la route dans son camion et la vision du nombre colossal de voitures, de motos et de ces fameux « jeepneys » caractéristiques des Philippines entre lesquels se faufile une masse impressionnante de piétons, ne cessera jamais de me surprendre. Les trottoirs étaient comme deux rivières brunâtres. Des vendeurs de rue aux pieds nus harcelaient les automobilistes, proposant des cigarettes, des pastilles pour la toux et des sachets de cacahuètes bouillies. Les enfants mendiaient en collant leur visage contre les vitres des voitures.

Doods me conduisit là où commence l’histoire de Lola. Au nord des grandes plaines centrales de la province de Tarlac. Le pays des rizières. Jusqu’à la maison d’un lieutenant de l’armée, un grand mâchouilleur de cigares du nom de Tomas Asuncion. Mon grand-père. La légende familiale dépeint le Lieutenant Tom comme un homme imposant, excentrique et maussade, possédant plein de terres mais peu d’argent. Il logeait ses maîtresses dans différentes maisons de ses propriétés. Son épouse mourût en donnant naissance à son unique enfant : ma mère. Elle fût élévée par des « utusans », des « gens aux ordres ».

L’esclavage a une longue histoire sur ces îles. Avant même l’arrivée des Espagnols, les peuples indigènes rendaient esclaves d’autres peuples indigènes. Prisonniers, criminels, débiteurs… Il existait plusieurs types d’esclavage. Depuis les guerriers qui pouvaient racheter leur liberté en prouvant leur valeur au combat jusqu’aux domestiques considérés comme une propriété et qui pouvaient être achetés, vendus ou échangés. Des esclaves de haut rang pouvaient avoir leurs propres esclaves de rang inférieur. Ces derniers pouvaient aussi avoir leurs esclaves parmi ceux du dernier rang. Certains entraient en servitude pour survivre : en échange de leur travail, ils étaient nourris, logés, protégés.

Les Espagnols sont arrivés au début du seizième siècle et ont rapidement mis la population locale en esclavage. Plus tard ils amenèrent d’autres esclaves depuis l’Inde et l’Afrique. Puis, l’Espagne renonça progressivement à l’esclavage, tant dans son royaume que dans ses colonies, mais celui-ci perdura aux Philippines, en partie à cause de la distance avec la Couronne qui ne pouvait pas, de ce fait, exercer une vraie surveillance. La tradition de l’esclavage aux Philippines persista sous diverses formes y compris après l’annexion de l’archipel par les États-Unis en 1898. Aujourd’hui, même les pauvres peuvent avoir leurs « utusans », leurs « katulongs » ou leurs « kasambahays », du moment que ces derniers sont plus pauvres encore. Une spirale sans fin…

Lieutenent Tom avait jusqu’à trois familles d’utusans vivant sur sa propriété. Au printemps 1943, en pleine occupation japonaise, il ramena une fille, en provenance d’un village plus bas sur la route. Elle était une cousine d’une branche éloignée de la famille. des riziculteurs. Le lieutenant était un homme avisé. Il vit que cette fille était sans le sou, illettrée et potentiellement corvéable. Ses parents voulaient la marier à un éleveur de porcs de deux fois son âge. Cela la désespérait mais elle ne savait pas quoi faire. Lieutenant Tom lui fit alors une offre. Elle s’engageait à prendre soin de sa fille de 12 ans et en échange, il lui offrait le gîte et le couvert.

Lola accepta. Sans imaginer que ce contrat était à vie.

— C’est mon cadeau pour toi, dit mon grand-père à ma mère.
— Je n’en veux pas ! répondit-elle, sachant qu’elle n’avait de toute façon pas le choix.

Lieutenant Tom partit combattre les japonais et laissa ma mère seule avec Lola dans une vieille maison décrépie de province. Lola nourrit, servit et habilla ma mère. Quand elles allaient au marché, c’est Lola qui portait l’ombrelle protégeant ma mère du soleil. Le soir venu, après que Lola eût achevé ses autres tâches — nourrir les chiens, balayer le sol, plier le linge qu’elle avait lavé à la main dans la rivière de Camiling — elle s’asseyait sur le bord du lit de ma mère et l’éventait jusqu’à ce qu’elle s’endorme.

Un jour, pendant la guerre, Lieutenant Tom rentra chez lui et se rendit compte que ma mère lui mentait au sujet d’un garçon avec lequel elle n’était pas censée parler. Furieux, il lui ordonna de se tenir prête contre la table. Ma mère se réfugia auprès de Lola. Puis, d’une voix légèrement tremblante, elle annonça que Lola acceptait de recevoir sa punition. Lola regarda ma mère, suppliante. Puis, sans un mot, elle s’approcha de la table et prit appui sur le bord. Lieutenant Tom leva sa ceinture et frappa 10 fois, ponctuant chaque coup par un mot. « Tu. Ne. Me. Mens. Pas. Tu. Ne. Me. Mens. Pas. » Lola ne poussa aucun cri.

En racontant cette anecdote, plus tard dans sa vie, ma mère se délectait de sa perversité d’un ton semblant dire : Arrivez-vous à croire que j’ai pu faire une chose pareille ? Et quand j’ai abordé cette question avec Lola, elle a d’abord voulu connaître la version de ma mère. Elle écouta attentivement, les yeux baissés, puis elle me regarda tristement et dit simplement : Oui, Ça s’est passé comme ça.

Sept ans après cette histoire, en 1950, ma mère épousa mon père et déménagea pour Manille, emmenant Lola avec elle. Un an plus tard, Lieutenant Tom mit fin à la longue bataille qui l’opposait à ses démons en se pointant un calibre 32 sur la tempe. Ma mère n’évoqua presque jamais cet acte. Elle avait son caractère : d’humeur changeante, autoritaire, secrètement fragile. Elle récitait ses leçons notamment celle qui lui apprit à être une maîtresse femme de province, une femme qui commande et qui fait comprendre aux subalternes qu’ils sont inférieurs et qu’ils doivent le rester. Pour leur bien et celui de la maisonnée. Ils pourront se plaindre et pleurer, au final, ils vous en seront reconnaissant. Et vous vénéreront pour les avoir aider à être ce que Dieu voulait qu’ils soient.

Mon frère Arthur est né en 1951. Je suis arrivé juste après et devant trois autres frères et sœurs, en rangs serrés. Mes parents attendaient de Lola qu’elle soit aussi attentionnée avec nous qu’elle l’était avec eux. Pendant qu’elle s’occupait de nous, mes parents allaient étudier et obtenaient leurs diplômes, grossissant ainsi le nombre de gens plein de diplômes mais toujours sans emploi. Et puis le grand changement : mon père s’est vu offrir un poste au Ministère des Affaires Étrangères. Le salaire était faible mais le poste était en Amérique, un pays dont ils avaient toujours rêvé.

Mon père fût autorisé à emmener sa famille ainsi qu’un employé de maison. Imaginant qu’ils auraient tous les deux à travailler, ils avaeint besoin de lola pour s’occuper des enfants et de la maison. Ma mère en informa Lola et fût grandement irritée que cette dernière n’acquiesce pas immédiatement. Des années plus tard, Lola me confiera qu’elle était terrifiée. C’était trop loin disait-elle. Peut-être que tes parents ne me laisseraient jamais rentrer chez moi.

Finalement, Lola se laissa convaincre par la promesse de mon père lui affirmant que là-bas, en Amérique, les choses seraient différentes. Il lui promit que lorsqu’ils seraient installés, ils lui donneraient une « permission ». Elle pourrait en outre envoyer de l’argent à ses parents, à tous ses amis du village. Ses parents vivaient dans une hutte. Elle pourrait leur faire construire une maison en pierre et changer leur vie pour toujours. Imagine, Lola…

Nous avons atterri à Los Angeles le 12 mai 1964 avec toute notre vie dans des boîtes en carton fermées par des cordelettes. Cela faisait maintenant vingt et un ans que Lola était avec ma mère. À bien des égards, je la considérais comme une parente, plus proche en tout cas que mon père et ma mère. Son visage a toujours été le premier que je voyais en me levant le matin et le dernier que je voyais le soir. Étant bébé, c’est son nom que j’ai d’abord prononcé (ce qui donnait « Oh-ah » au début), bien avant de dire « Maman » ou « Papa ». Enfant, je refusais d’aller dormir si Lola n’était pas près de moi.

J’avais quatre ans lorsque nous sommes arrivés aux États-Unis. Ce qui est trop jeune pour se poser des questions sur la vraie place de Lola dans la famille. Mais, comme pour mes frères et sœurs, changer de rivage a permis de voir le monde différemment. Le saut au-dessus de l’océan a également été un saut de conscience. Un saut que mon père et ma mère ne pouvaient, ou ne voulaient, pas faire.

***

Lola n’a jamais obtenu cette fameuse « permission ». Elle avait bien esayé de la demander de façon plus ou moins directe, deux ans après notre arrivée dans ce pays. Sa mère était tombé malade (j’apprendrais plus tard qu’il s’agissait de dysenterie) et sa famille ne pouvait pas payer les médicaments nécessaires. Pwede ba ? demanda-t-elle à mes parents. Est-ce possible ? Ma mère eût un sanglot. Mon père répondit en tagalog : Comment oses-tu nous demander ça ? Ne vois-tu pas dans quelles difficultés nous sommes ? Tu n’as donc aucune honte ?

Mes parents avaient emprunté de l’argent pour venir aux États-Unis et en avaient emprunté encore plus pour pouvoir y rester. Mon père avait été muté du consulat de Los Angeles à celui de Seattle. Il était payé 5 600 dollars l’année. Il prit un second travail comme nettoyeur de remorques, puis un troisième comme recouvreur de dettes. Ma mère, quant à elle, trouva un emploi de technicienne pour différents laboratoires médicaux. Nous les voyions à peine et quand c’était le cas, ils étaient épuisés et hargneux.

Lorsque ma mère rentrait, elle s’en prenait directement à Lola, lui reprochant de ne pas avoir suffisamment nettoyé la maison ou d’avoir oublié de lui apporter le courrier. Ne t’ai-je pas déjà dit que je veux avoir le courrier dès que je rentre ? disait-elle en tagalog, d’une voix venimeuse. Ce n’est pourtant pas compliqué ! Même une idiote comprendrait ! Puis mon père rentrait à son tour et prenait le relais. Et quand mon père haussait la voix, tout le monde dans la maison se faisait tout petit. Parfois, mes parents s’acharnaient chacun à leur tour sur Lola jusqu’à ce qu’elle fonde en larmes. À croire que c’était là leur but.

J’avais du mal à comprendre. Mes parents étaient gentils avec mes frères et sœurs et moi-même et nous les adorions. Mais à un moment d’affection pour nous pouvait succéder un moment de rage envers Lola. J’avais onze ou douze ans lorsque j’ai commencé à clairement comprendre quelle était la situation de Lola. Arthur, mon aîné de huit ans, en était déjà exaspéré depuis longtemps. C’est lui qui le premier me fit voir le rapport entre le mot « esclave » et le rôle de Lola. Avant cela, je prenais Lola pour le membre le moins chanceux de la maisonnée. Je détestais entendre mes parents lui crier après mais il ne me venait pas à l’esprit que cela — la situation de Lola et leur attitude vis-à-vis d’elle — pouvait être immoral.

Connais-tu quelqu’un qui est traité de la façon dont Lola est traité ? Qulqu’un qui vit la vie qu’elle vit ? me disait-il. Puis il faisait un rapide résumé de cette vie. Elle n’était pas payée. Elle se tuait à la tâche tous les jours. Elle était réprimandée pour être restée assise trop longtemps ou pour s’être endormie trop tôt. Elle était battue si elle osait répondre. Elle ne portait que des vêtements de récupération. Elle ne mangeait que les restes, seule dans la cuisine. Elle sortait rarement de la maison. Elle n’avait ni ami ni occupation en dehors de notre famille. Elle n’avait pas de pièce à elle. Quelque soit la maison que nous occuppions, elle dormait où elle le pouvait. Parfois dans un coin de la chambre de mes sœurs. Le plus souvent, sur une pile de linge.

Et non, nous ne connaissions personne qui avait cette vie, en dehors des personnages d’esclaves à la télé. Je me souviens particulièrement d’un western appelé « L’Homme Qui Tua Liberty Valence ». John Wayne y jouait le rôle d’un propriétaire de ranch, un bandit armé qui aboyait ses ordres auprès de Pompey, son serviteur qu’il appelait son boy. Pompey ! Va chercher le docteur ! Pompey ! retourne travailler !. Docile et obéissant, Pompey appelait son maître « Mistah Tom ». Leur relation était complexe. Tom interdisait à Pompey d’entrer à l’école mais il l’autorisait à entrer dans un bar réservé aux Blancs. Vers la fin du film, Pompey sauve son maître des flammes. Clairement, Pompey craignait et aimait à la fois ce maître au point de se lamenter à la mort de celui-ci. Et bien que la relation entre Tom et Pompey n’était qu’un arrière-plan de l’histoire principale — la confrontation entre Tom et Liberty Valence — je ne pouvais me détacher de Pompey. Je pensais : Lola est Pompey et Pompey est Lola.

Un soir, mon père s’aperçut que Ling, ma jeune sœur alors âgée de neuf ans, n’avait pas dîné. Il s’en prit violemment à Lola et la traita de paresseuse. J’ai essayé de la nourrir, se défendit Lola tandis que mon père debout près d’elle la regardait méchamment. Cette tentative de défense ne fit que renforcer sa colère et il la frappa sous l’épaule. Lola courut hors de la pièce et je pouvais l’entendre gémir comme un animal blessé.

Ling n’avait pas faim, dis-je.

Mes parents se tournèrent vers moi, interloqués. Je sentis monter en moi ce picotement caractéristique qui précède l’arrivée des larmes mais je refusais de pleurer. Dans les yeux de ma mère passa une ombre que je n’avais encore jamais vue. Peut-être une forme de jalousie ?

Es-tu en train de défendre ta Lola ? me dit mon père. C’est ça que tu es en train de faire ?

Ling n’avait pas faim, dis-je encore, murmurant presque.

J’avais treize ans. C’était la première fois que je prenais la défense de la femme qui a passé son temps à veiller sur moi. Cette femme qui avait l’habitude de fredonner des mélodies en tagalog pendant qu’elle me berçait. Cette femme qui m’a habillé, nourri et acompagné à l’école. La fois où j’ai été si malade que j’étais trop faible pour manger, elle a mâché ma nourriture puis me l’a donné par bouts si petits que je pouvais alors les avaler. Un été, plâtré aux deux jambes pour des problèmes d’articulation, elle me lava avec un gant de toilette, me donna mes médicaments au milieu de la nuit, et m’aida tout le temps de ma longue rééducation. Et bien que je fus d’humeur grincheuse, jamais elle ne se plaignit. Jamais elle ne perdit patience.

Et aujourd’hui, l’entendre ainsi gémir me rendait fou.

***

Aux Philippines, mes parents ne ressentaient aucun besoin de cacher la façon dont ils traitaient Lola. Ici, ils la traitaient plus durement encore mais faisaient énormément d’efforts pour le dissimuler. Si des invités étaient présents, soit mes parents ignorait Lola, soit, s’il y avait des questions, ils mentaient et changeaient rapidement de sujet. Durant les cinq années passées dans le nord de Seattle, nous avions comme voisins d’en face les Missler, une famille de bons vivants qui nous initièrent à toute sorte de choses comme la moutarde, la pêche au saumon ou la tonte du gazon. Le football à la télé et les hurlements qui vont avec. Il arrivait que Lola soit amené à servir à manger et à boire pendant les matches. Mes parents la remerciait alors avec le sourire puis elles disparaissait rapidement. Hey ! Mais qui est cette jeune fille qui ne sort pas de sa cuisine ? demanda une fois Big Jim, le patriarche de la famille Missler. Une cousine du pays. Très timide. lui répondit mon père.

Billy Missler, mon meilleur ami, n’était pas dupe. Il passait assez de temps à la maison, parfois des week-ends entiers, pour ne pas comprendre. Une fois, il surprit ma mère hurlant dans la cuisine. Il s’y précipita et découvrit ma mère rouge de colère et fixant une Lola tremblante dans un coin. À mon tour j’entrai dans la cuisine mais quelques secondes trop tard. L’expression sur le visage de Billy mêlait l’embarras et la perplexité. Il se passe quoi ici ? Je l’emmenai à l’écart et lui dit d’oublier ça.

Je crois que Billy était vraiment désolé pour Lola. Il s’extasiait sur sa cuisine et la faisait rire comme jamais je ne l’avais vu rire. Lorsque Billy venait dormir à la maison, elle préparait son plat philippin favori : de fines tranches de bœuf au riz blanc. La cuisine était le seul mode d’expression libre pour Lola. Selon ce qu’elle servait, je savais quand elle ne faisait que nous alimenter et quand elle disait qu’elle nous aimait.

Une fois, j’ai présenté Lola comme une lointaine tante. Aussitôt, Billy m’a fait remarqué que la première fois que j’avais eu à le faire, je l’avais présentée comme ma grand-mère.

— Eh bien, elle est un peu les deux à a la fois, dis-je mystérieusement.
— Pourquoi travaille-t-elle toujours ?
— Elle aime ça !
— Et tes parents, pourquoi lui crient-ils après ?
— Elle est un peu sourde…

Dire la vérité nous aurait tous mis en danger. Nous avons passé les dix premières années dans ce nouveau pays à en apprendre les règles et à les respecter. Avoir une esclave ne collait franchement pas avec ces règles. Avoir une esclave remit sérieusement en cause ce que je pensais de nous et du pays d’où nous venions. Méritions-nous d’être accepté ? J’avais honte de tout ça y compris de ma complicité. Après tout, je mangeais ce qu’elle préparait et je portais les vêtements qu’elle avait lavé, repassé et rangé dans le placard. Mais se séparer de Lola aurait été terriblement bouleversant.

Il y avait une autre raison à ce secret : les papiers de Lola avait expiré en 1969, cinq ans après notre arrivée aux États-Unis. Pour venir, elle avait bénéficié d’un passeport spécifique lié à l’emploi de mon père. Or, après plusieurs querelles avec ses supérieurs, il décida de quitter le consulat mais de rester en Amérique. Il s’arrangea pour obtenir des visas de résidents permanents pour lui et sa famille mais Lola n’y avait pas droit. Il était censé l’avoir renvoyée au pays.

Fermina, la mère de Lola, mourut en 1973 ; son père, Hilario, en 1979. Les deux fois elle voulut tellement rentrer chez elle. Les deux fois, mes parents refusèrent. Pas le temps. Pas d’argent. Les enfants ont besoin d’elle. Mais ils avaient également peur pour eux-mêmes, me confièrent-ils plus tard. Si les autorités apprenaient la situation de Lola, ce qui n’aurait pas manqué si elle avait dû partir sans papier, mes parents auraient pu avoir beaucoup d’ennuis et notamment être expulsés. Ils ne voulaient pas prendre ce risque. Ainsi, le statut officiel de Lola devint ce que les philippins nomment tago nang tago, ou TNT (« en cavale »). Lola resta « TNT » pendant presque vingt ans.

Après la mort de ses deux parents, Lola fut d’humeur sombre et silencieuse pendant plusieurs mois. Elle semblait prête à répondre à chaque harcèlement de mes parents. Mais le harcèlement ne cessait jamais. Aussi Lola baissait la tête et reprenait son travail.

***

La démission de mon père marqua le début d’une période difficile. L’argent devint plus rare et mes parents se disputèrent plus souvent. Nous déménagions sans arrêt. Seattle puis Honolulu puis Seattle de nouveau. Puis le Bronx, puis Umatilla dans l’Oregon, un relais routier de 750 habitants. Lors de toutes ces étapes, ma mère trouvait souvent des emplois pour 24 heures d’affilée dans des centres médicaux tandis que mon père disparaissait parfois plusieurs jours, soit pour des petits boulots, soit pour courir les filles. Voire pire. Une fois, il rentra et nous annonça qu’il avait perdu la nouvelle voiture au blackjack.

Pendant plusieurs jours de suite, il arrivait que Lola soit la seule adulte de la maison. Elle savait de nos vies ce que nos parents imaginaient à peine. Nous amenions nos amis à la maison et elle nous écoutait parler à propos de tout et de rien, l’école, les filles, les garçons. Elle était capable de nommer chacune des filles qui avait pu me plaire depuis le collège jusqu’à l’université.

Quand j’eus 15 ans, mon père quitta définitivement la maison. Je ne voulais pas le croire à cette époque mais la vérité est qu’il a purement abandonné femme et enfants après vingt-cinq années de mariage. Ma mère ne pouvait continuer ses études de médecine et de toute façon sa spécialité était peu lucrative. Mon père ne payait pas la pension alimentaire et l’argent était toujours un problème.

Ma mère se tenait toujours soignée pour aller travailler mais arrivé le soir, elle s’effondrait, prise entre l’auto-apitoiement et le désespoir. Sa seule source de réconfort était Lola. Bien que ma mère claquait des doigts pour lui réclamer d’apporter la moindre petite chose, Lola redoublait d’attention. Elle cuisinait ses plats préférés, nettoyait sa chambre avec encore plus de soin. Il m’arrivait de les trouver toutes les deux, tard le soir, autour du comptoir de la cuisine, se racontant des anecdotes sur mon père, tantôt en en riant méchamment, tantôt en s’emportant mutuellement. C’est à peine si elles remarquaient notre présence papillonnante.

Une nuit, j’entendis pleurer ma mère. J’accourus dans le salon et je la vis dans les bras de Lola. Lola lui parlait calmement, comme elle le faisait pour nous quand nous étions plus jeunes. Je m’attardai un peu puis je retournai me coucher, effrayé pour ma mère mais émerveillé par Lola.

***

Doods chantonnait. Je pensais ne m’être assoupi qu’une minute et je me suis réveillé au son de sa joyeuse mélodie. Encore deux heures, m’annonça-t-il. J’ai vérifié que la boîte en plastique était toujours dans mon sac de toile — elle y était — et j’ai regardé le paysage qui défilait le long de l’autoroute MacArthur. J’ai jeté un coup d’œil à ma montre. Hey ! Tu m’as déjà dit deux heures, il y a deux heures. Doods continua de chantonner.

Le fait que Doods ignorait tout du but de mon voyage était un soulagement. J’avais assez à faire avec mes dialogues intérieurs. Je n’étais pas meilleur que mes parents. J’aurais pu faire plus pour libérer Lola. Pour rendre sa vie meilleure. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Par exemple, j’aurais pu dénoncer mes parents. Cela aurait fait littéralement exploser ma famille en un instant. Au lieu de ça, mes frères et sœurs et moi-même avons tout gardé pour nous et plutôt que d’exploser sur le champ, la famille s’est disloquée petit à petit.

Nous traversions une bien jolie région. Pas jolie au sens brochure touristique. Jolie au sens vraie, vivante et, en comparaison avec la ville, épargnée avec élégance. Les montagnes étaient parallèles aux voies de l’autoroute. Les Monts Zambales d’un côté, à l’ouest, la Sierra Madre, de l’autre côté, à l’est. D’une crête à l’autre, d’ouest en est, je pouvais admirer toute la gamme des verts jusqu’au presque noir.

Doods me désigna un contour ombragé au loin. Le Mont Pinatubo. J’y étais venu en 1991 pour couvrir les conséquences de son éruption, la deuxième plus importante du XXème siècle. Les coulées de boue ont duré pendant encore dix ans, enfouissant des villages anciens, comblant les rivières et les vallées et balayant de la surface de nombreux écosystèmes. Les coulées pénètrèrent loin au-delà des contreforts de la province de Tarlac, le pays des parents de Lola, là où elle et ma mère ont vécu un temps. Beaucoup de nos souvenirs de famille ont été perdus entre les guerres et les inondations. Désormais, certains d’entre eux reposent sous six mètres de boue.

Ici, la vie est continuellement bouleversée par les cataclysmes. Des typhons meurtriers qui s’invitent plusieurs fois par an. Des insurrections permanentes. Des volcans endormis qui soudain se réveillent. Les Philippines ne sont pas comme le Brésil ou la Chine qui peuvent, par leur masse, absorber tout type de traumatismes. Ce pays est fait de roches disséminées en mer. Quand frappent les catastrophes, le pays est vite submergé. Puis il refait surface et la vie reprend son cours. Le simple fait de pouvoir nous observer, Doods et moi, voyager à travers ces paysages, le simple fait que ces paysages existent encore, rend tout cela magnifique.

***

Deux ans après la séparation de mes parents, ma mère se remaria. Elle demanda à Lola d’être tout aussi loyale vis-à-vis de son nouvel époux, un immigré Croate nommé Ivan, présenté à elle par un ami. Ivan avait quitté tôt les études. Il avait déjà été marié quatre fois et restait un coureur invétéré qui appréciait forcément d’être pris en charge par ma mère et servi par Lola.

Ivan mis à jour un pan de la personnalité de Lola que je ne connaissais pas. Ce mariage avec ma mère s’était révélé friable depuis le début et les soucis d’argent — notamment l’utilisation qu’il avait de l’argent de ma mère — en étaient l’une des causes majeures. Une fois, au cours d’une dispute pendant laquelle ma mère pleurait tandis qu’Ivan hurlait, Lola est intervenue en se positionnant entre eux deux. Elle fit face à Ivan et prononça son nom avec fermeté. Ivan regarda Lola, sourcilla puis alla s’asseoir.

Ma sœur Inday et moi étions scotchés. Ivan faisait au moins 100 kilos et sa voix de baryton faisait trembler les murs. Malgré cela, Lola le remit à sa place avec un simple mot. Cet épisode se répéta quelques fois mais la plupart du temps, Lola était une servante irréprochable, le genre de servante que voulait ma mère. Il m’était difficile de regarder Lola se soumettre à une autre personne, notamment une personne comme Ivan. Mais la vraie raison de mon emportement contre ma mère était quelque chose d’autrement plus terre-à-terre.

Ma mère avait pris l’habitude de se mettre en colère dès que Lola était malade. Elle ne voulait ni avoir à gérer une interruption dans le travail de Lola ni assumer les dépenses liées à cette interruption. Elle accusait alors Lola de feindre sa maladie ou de négliger son hygiène. Quand, à la fin des années soixante-dix, les dents de Lola commencèrent à tomber — et alors qu’elle s’en plaignait depuis des mois — ma mère lui fit simplement cette remarque : Voilà ce qui arrive quand on ne se brosse pas correctement les dents !

J’affirmais que Lola avait besoin d’un dentiste. Elle entrait dans sa cinquantième année et n’en avait jamais rencontré. Le lycée que je fréquentais était à une heure de route et à chacun de mes fréquents retours à la maison, je relançais le sujet. Une année passa. Puis deux. Lola prenait de l’aspirine tous les jours pour atténuer la douleur mais ses dents ressemblaient à un alignement désordonné de menhirs. Un soir, après l’avoir vue mâcher son pain avec le côté de sa bouche où subsistaient quelques molaires en bon état, je craquais.

Ma mère et moi nous sommes disputés toute la soirée, pleurant chacun à notre tour. Elle disait qu’elle en avait marre de se saigner aux quatre veines pour prendre en charge tout le monde ! Qu’elle en était malade de voir ses enfants prendre systématiquement la défense de Lola ! Et pourquoi ne l’emmenions-nous pas cette foutue Lola ? Après tout, elle n’en avait jamais voulu ! Elle prenait Dieu à temoin qu’elle n’avait jamais désiré donné naissance à un moralisateur arrogant et hypocrite tel que moi !

Une esclave, dit ma mère, soupesant ce mot. Une esclave ?

La soirée se termina quand ma mère déclara que je ne comprendrais jamais sa relation avec Lola. Jamais. Sa voix était devenue si gutturale et si affligée que j’en ressens encore, des années plus tard, la violence dans mon estomac. C’est terrible d’éprouver de la haine pour sa propre mère. C’est pourtant ce que j’éprouvais ce fameux soir. Et l’orage dans ses yeux disait clairement qu’elle éprouvait exactement la même chose pour moi.

Cette confrontation n’a fait qu’attiser la crainte qu’avait ma mère de voir Lola lui voler ses enfants. Elle lui ferait payer cher. Ma mère devint encore plus dure. Elle tourmentait Lola en lui répétant sans cesse : J’espère que tu es satisfaite maintenant que tes enfants me haïssent ? Lorque nous aidions Lola dans certaines tâches ménagères, ma mère devenait furieuse. Tu devrais aller dormir maintenant, Lola, lui disait-elle d’un ton sarcastique. Tu as trop travaillé et tes enfants s’inquiètent pour toi. Plus tard, elle prit Lola à part dans une chambre pour lui parler. Lola en ressortit les yeux gonflés.

Lola nous demanda finalement de ne plus l’aider.

Pourquoi restes-tu ? lui demandions-nous.

Qui cuisinerait ? répondait-elle. Ce qui pouvait être développé. Qui ferait absolument tout ? Qui prendrait soin de nous ? De notre mère ? Une autre fois, elle avait répondu : Où irais-je ? Et la pertinence de cette question-là m’a paru nécessiter une vraie réponse. Venir en Amérique avait été une course folle et le temps de respirer, dix ans étaient passés. Le temps de se retourner et une décennie supplémentaire s’achevait. Les cheveux de Lola avaient viré au gris. Elle avait appris que ses proches, restés au pays, n’avaient pas reçu l’argent promis et se demandaient ce qui avait pu lui arriver. Elle aurait honte de rentrer.

Elle n’avait aucun contact en Amérique et aucune possibilité de déplacement. Le téléphone l’embrouillait. Utiliser quoi que ce soit pouvu d’un clavier — distributeur automatique, interphone, etc — la faisait paniquer. Les gens qui parlaient trop vite la laissait sans voix et son mauvais anglais agissait de même sur ces personnes. Elle ne pouvait pas prendre de rendez-vous, organiser un voyage, remplir un formulaire ou commander un plat sans aide.

Je lui ai procuré une carte bancaire liée à mon propre compte et lui ai appris à l’utiliser. Elle y arriva la première fois. Rata la seconde. Et ne réessaya jamais. Elle garda malgré tout la carte, la considérant comme un cadeau de ma part.

J’ai également tenté de lui apprendre à conduire. Elle déclina l’idée avec un geste de la main mais je l’emmenais près de la voiture et l’installais de force devant le volant ce qui nous fit rire tous les deux. J’ai dû passer vingt minutes à lui expliquer ce que représentait les manettes et les cadrans. Son regard passa d’enjoué à terrifié. Lorsque je mis le moteur en marche et que le tableau de bord se mit à clignoter, elle sortit prestement de la voiture et fut à la maison avant même que je puisse dire un mot ! J’ai retenté l’aventure par la suite.

Je pensais que conduire changerait sa vie. Elle pourrait se rendre ici ou là. Et si la situation devenait insoutenable avec ma mère, elle pourrait s’en aller définitivement.

***

Les quatre voies devinrent deux. Le bitume céda la place aux graviers. Les tricycles louvoyaient entre les voitures et les buffles convoyaient leur lourde charge de bambous. De temps à autre, une chèvre, un chien parfois, traversait la route devant notre camion, effleurant le pare-choc. Doods ne leva jamais le pied. Tout ce qui n’en est pas empêché, doit être cuit aujourd’hui et ne pas attendre demain — telle est la règle sur les route des provinces.

Je pris une carte et traçais la route jusqu’au village de Mayantoc, l’issue de notre voyage. Par la fenêtre, au loin, je voyais des silhouettes pliées en deux au niveau de la taille comme autant de clous tordus. La moisson du riz, comme il y a des milliers d’années. Nous étions proches du but.

Je tapotais la boîte en plastique en regrettant de ne pas avoir acheté une véritable urne funéraire en porcelaine ou en bois de rose. Qu’en penserait l’entourage de Lola ? Un entourage désormais très réduit. Il restait encore une parente par ici, Gregoria, 98 ans. Une mémoire défaillante. Il se racontait qu’à la seule mention du nom de Lola, Gregoria sursautait et pleurait puis oubliait rapidement pourquoi.

J’ai pu entrer en contact avec une des nièces de Lola qui a organisé ma journée. Une commémoration simple, une prière puis la descente des cendres dans un lopin au Mayantoc Eternal Bliss Memorial Park. Lola est décédée il y a cinq ans mais je ne lui avais pas encore vraiment dit adieu, ce qui n’allait pas tarder. Toute la journée j’ai résisté à la pression de l’émotion, ne voulant pas me lamenter devant Doods. Plus que la honte que j’éprouvais pour la façon dont Lola avait été traitée par ma famille, plus que l’angoisse de savoir comment j’allais être accueilli par ses proches à Mayantoc, je sentais le terrible poids de sa perte, comme si sa mort avait eu lieu hier.

Doods vira au nord-ouest sur la Romulo Highway puis prit un virage serré à Camiling, la ville d’où étaient originaire ma mère et Lieutenant Tom. Les deux voies n’en firent plus qu’une et le gravier devint poussière. Le chemin longeait la rivière. Des rangées de maisons en bambous sur le côté, des collines verdoyantes en amont. La dernière ligne droite.

***

J’ai prononcé l’éloge funèbre aux funérailles de ma mère et tout ce que j’ai dit était vrai. Elle était vive et courageuse. Il y a bien sûr eu quelques mauvais choix mais elle a toujours fait du mieux qu’elle a pu. Elle était radieuse quand elle était heureuse. Elle adorait ses enfants et leur donna un vrai toit — à Salem, dans l’Oregon. Je rajoutai que j’aimerais la remercier une fois de plus. Que nous l’aimions tous.

Au cours de cet éloge, je n’ai pas parlé de Lola. Tout le temps que j’ai passé avec ma mère pendant ses dernières années, j’ai délibérément ôté Lola de mon esprit. Aimer ma mère nécessitait cet acte de « chirurgie mentale ». C’était l’unique moyen de nous retrouver dans une relation mère-fils et je voulais cette relation. Notamment après que sa santé a rapidement décliné, au milieu des années 90. Diabète. Cancer du sein. Leucémie myéloïde en phase aiguë. Du jour au lendemain, elle est passée de robuste à chétive.

Après notre altercation, j’évitais de passer par la maison et à mes 23 ans je suis parti pour Seattle. Quand je revins en visite, je vis du changement. Ma mère était toujours ma mère mais elle était moins vindicative. Elle avait doté Lola d’un dentier et d’une chambre pour elle seule. Elle a spontanément coopéré lorsque mes frères et sœurs et moi-même avons entrepris des démarches pour sortir Lola de son statut de « TNT ». La réforme de l’immigration signée par Ronald Reagan en 1986 permit à des milliers de clandestins d’être éligibles à une amnistie. Ce fut une longue procédure mais enfin, en octobre 1998, Lola devint citoyenne américaine, quatre mois après que la leucémie de ma mère fut diagnostiquée. Elle survivrait encore une année.

Pendant ce temps, ma mère et Ivan avaient l’habitude de se rendre à Lincoln City, sur la côte de l’Oregon et parfois ils prenaient Lola avec eux. Lola adorait l’océan. De l’autre côté de cet océan, il y avait les îles où elle rêvait de retourner. Lola n’était jamais aussi heureuse que quand ma mère était détendue à côté d’elle. Un après-midi à flâner sur la côte ou quinze minutes dans la cuisine à parler de l’ancien temps aux Philippines et Lola oubliait ses années de tourments.

Personnellement, je n’oubliais pas aussi facilement. Mais j’avais sur ma mère un autre regard. Avant sa mort, elle me donna ses carnets qui emplissaient à ras-bord deux malles de voyage. En les feuilletant alors qu’elle était assoupie à quelques pas, j’entrapercevais certaines facettes de sa vie que j’avais jusqu’ici refusé de voir. Elle avait suivi des études de médecine, ce que peu de femmes faisait. Elle vint en Amérique et se battit pour une reconnaissance en tant que femme mais aussi en tant que médecin immigré. Elle avait travaillé pendant vingt ans au Fairview Training Center à Salem, un institut pour handicapés moteurs. Ironie de l’hstoire : elle avait tendance à sous-estimer sa vie professionnelle alors qu’elle y était vénérée. Ses collègues devinrent des amies avec lesquelles elle fit toute sorte de choses cataloguées propres aux filles — s’acheter des chaussures, s’inviter les unes chez les autres à des soirées costumées, s’échanger des gadgets idiots comme des savons en forme de pénis ou des calendriers d’hommes à demi nus, tout ça en riant de façon hystérique. Contempler les photos de ces soirées, m’a fait prendre conscience que ma mère avait évidemment une vie et une personnalité, en dehors de sa famille et de Lola.

Dans ses carnets, ma mère donnait beaucoup de détails sur chacun de ses enfants et y associait son sentiment du jour : fierté, amour, amertume. Elle avait aussi des carnets dédiés à ses époux et tentait de saisir la complexité de leur personnalité. Enfants ou maris, nous étions des personnages à part entière dans ses carnets. Lola n’y figurait qu’incidemment. Quand elle était nommée, elle l’était comme un personnage secondaire, comme si elle faisait partie d’une autre histoire. Lola a emmené mon Alex adoré à sa nouvelle école ce matin. J’espère qu’il se fera rapidement de nouveaux amis et se sentira ainsi moins triste de sans cesse déménager… Il y avait encore deux pages sur moi mais aucune autre mention de Lola.

La veille de sa mort, un prêtre catholique vint à la maison pour les derniers sacrements. Lola s’assit près du lit, tenant une tasse avec une paille, prête à l’approcher de la bouche de ma mère. Elle était encore plus précautionneuse avec elle. Elle aurait pu profiter de son état de faiblesse ou même chercher à se venger, mais elle fit tout le contraire.

Le prêtre demanda à ma mère s’il y avait quoi que ce soit qu’elle voulait pardonner ou se faire pardonner. Elle balaya la pièce du regard malgré ses paupières lourdes mais ne dit rien. Puis, sans la regarder, elle passa son bras au-dessus de Lola et plaça une main sur sa tête. Toujours sans dire un mot.

***

Lola avait soixante-quinze ans lorqu’elle est venue s’installer chez moi. J’étais marié, j’avais deux filles et je vivais dans une maison confortable au sein d’un lotissement boisé. Pour la petite histoire, nous avions vue sur le Puget Sound. Nous avons donné une chambre à Lola et l’autorisation expresse d’en faire ce qu’elle voulait : dormir, regarder des séries, ne rien faire de la journée. Elle pouvait se reposer et être enfin libre pour la première fois de sa vie. J’aurais dû me douter que ça ne pouvait pas être aussi simple.

J’ai fini par oublier toutes ces petites choses qui me rendaient fou chez Lola. Elle me disait toujours de mettre un pull pour ne pas prendre froid (j’étais quand même dans ma quarantaine). Elle se plaignait sans arrêt de mon père et d’Ivan. Mon père était un paresseux et Ivan un parasite. J’avais appris à ne plus l’écouter. Plus difficile à ignorer était sa maniaquerie conservatrice. Elle ne jetait rien. Elle allait même jusqu’à vérifier le contenu des poubelles pour être sûre qu’aucun d’entre nous ne jetait quelque chose d’encore utilisable. Elle lavait et réutilisait les serviettes en papier jusqu’à ce qu’elles se désagrègent entre ses doigts. La cuisine devint saturée de sacs de courses, de pots de yaourt, de pots de cornichons et une partie de la maison servit à du stockage d’ordure — il n’y a pas d’autre mot.

Elle préparait des petits-déjeuners alors que nous ne mangions rien d’autre qu’une banane ou une barre de céréales le matin. Elle faisait nos lits et notre lessive. Elle nettoyait la maison. Je me suis retrouvé à devoir lui dire, gentiment la première fois : Lola, tu n’as pas à faire tout ça. Nous le ferons nous-mêmes. C’est le travail des filles. Elle disait Okay ! mais continuait de tout faire.

Cela m’agaçait de la voir manger debout dans la cuisine ou de la voir se ressaisir et commencer à nettoyer lorsque j’entrais dans la pièce. Après plusieurs mois, je la fis asseoir.

Je ne suis pas mon père. Tu n’es plus une esclave. Et je commençais à énumérer la longue liste de ce qu’elle se forçait à faire. Elle commença à s’alarmer. Je respirais longuement et prit sa tête entre mes mains. Son visage délicat me scrutait. J’embrassais son front. C’est ta maison, ici, lui dis-je. Tu n’es pas à notre service. Tu peux te calmer. D’accord ?

D’accord, disait-elle. Puis elle retournait nettoyer.

Elle ne connaissait aucun autre mode de vie. En fait, c’était à moi de me calmer. Si elle veux faire le dîner, laisse-la faire. Remercie-la et fais la vaisselle. Je devais me le répéter constamment : fous-lui la paix !

Un soir, en rentrant à la maison, je l’ai trouvée assise sur le canapé, les pieds surélevés, faisant des mots croisés devant la télé allumée. Elle me jeta un coup d’œil et me sourit un peu honteuse de toute la blancheur de ses nouvelles dents. Puis elle reprit ses mots croisés. Elle progresse bien, pensais-je.

Elle s’était aménagé un jardin à l’arrière de la maison pour y planter des roses, des tulipes et toute sorte d’orchidées. Elle passait des après-midi entières à s’en occuper. Elle se promenait dans le voisinage. À 80 ans, son arthrose était devenue handicapante et elle marchait avec une canne. En cuisine, elle était passée d’une friture simple à une sorte de cuisine artisanale qui évoluait selon son inspiration. Elle faisait une cuisine généreuse et arborait un large sourire en nous voyant nous en délecter.

Par la porte de sa chambre, on pouvait l’entendre écouter une cassette de chansons traditionnelles des Philippines. La même cassette, encore et toujours. Je savais qu’elle envoyait presque tout son argent — mon épouse et moi lui donnions 200 dollars par semaine — à ses proches au pays. Une après-midi je la surpris assise sur le perron arrière, abîmée dans la contemplation d’une photo reçue de son village.

Tu veux rentrer chez toi, Lola ?

Elle retourna la photographie et suivit du doigt l’inscription qui y était tracée. Elle retourna à nouveau la photo et sembla absorbée par un détail en particulier.

Oui, dit-elle.

Juste après son 83ème anniversaire, je lui payais un billet d’avion pour les Philippines. Je suivrais moi-même un mois plus tard pour la ramener aux États-Unis — dans le cas, bien sûr, où elle souhaiterait revenir. Le but inavoué de ce voyage était de lui permettre de savoir si, après tout ce temps passé à en rêver, elle se sentirait encore chez elle en ces lieux.

Elle eut rapidement la réponse.

Tout a changé, me confia-t-elle alors que nous marchions dans Mayantoc. Les anciennes fermes avaient disparu. Sa maison n’existait plus. Ses parents et la plupart de ses frères et sœurs n’étaient plus de ce monde. Ses amis d’enfance, ceux encore en vie, étaient maintenant des inconnus. C’était agréable de les voir mais… tout avait changé. Elle pensait vraiment vouloir passer ses dernières années ici mais elle n’était pas encore prête.

Tu veux retrouver ton jardin ? lui demandai-je.

Oui. Rentrons à la maison.

***

Lola était aussi dévouée envers mes filles qu’elle l’était envers mes frères et sœurs et moi quand nous étions jeunes. Après l’école, elle les écoutait raconter leurs histoires puis leur préparait un goûter. Et à la différence de mon épouse et de moi-même (et surtout de moi-même), Lola s’émerveillait sincèrement de toutes les festivités scolaires auxquelles elle pouvait assister. Elle s’asseyait bien en face et conservait les programmes en souvenir.

C’était simple de rendre Lola heureuse. Nous l’emmenions pour nos vacances en famille mais elle était tout aussi excitée de parcourir un marché local. Elle était comme un gamin aux yeux écarquillés à chaque découverte. Regardez ces courgettes ! La première chose qu’elle faisait chaque matin était de relever tous les stores et de prendre un moment à chaque fenêtre pour admirer le paysage.

Elle apprit seule à lire. C’était incroyable. Au cours des années, elle apprit on ne sait trop comment à distinguer les lettres. Elle faisait ce genre de mots-croisés où il faut retrouver et entourer des mots dans un bloc compact de lettres. Sa chambre regorgeait de revues de mots-croisés. Des milliers de mots étaient entourés au crayon. Chaque jour elle regardait les informations et cherchait à identifier des mots qu’elle connaissait déjà. Elle retrouvait ces mots dans les journaux et finissait par leur donner un sens. Elle lisait les journaux tous les jours. De la première à la dernière page. Mon père la trouvait simplette. Je me suis toujours demandé ce qu’elle serait devenue si, au lieu de travailler dans une rizière dès ses huit ans, elle avait pu apprendre à lire et à écrire.

***

Durant les douze années pendant lesquelles Lola vécut dans notre maison, je la questionnais pour tenter de réunir les pièces éparses du puzzle de sa vie. Ce qu’elle trouvait curieux. Pourquoi ? était souvent la première de ses réponses à toutes mes questions. Pourquoi voulais-je savoir des choses sur son enfance ? Pourquoi voulais-je savoir comment elle avait rencontré Lieutenant Tom ?

J’ai essayé de m’en remettre à Ling, ma jeune sœur, pour questionner Lola sur sa vie amoureuse, pensant que c’était un sujet plus facile à aborder entre filles. Mais Ling gloussa, me faisant comprendre ainsi que c’était à moi de me débrouiller. Un jour que nous rangions les courses, j’ai lâché abruptement : Lola, as-tu déjà eu des sentiments pour quelqu’un ? Elle sourit puis me raconta sa seule romance. Elle avait à peu près quinze ans et il y avait ce garçon agréable, Pedro, qui travaillait dans une ferme proche. Pendant plusieurs mois, ils avaient ramassé le riz ensemble, côte à côte. Une fois, elle laissa tomber son « bolo » — un petit outil tranchant — et il le ramassa prestement puis lui tendit. Je l’aimais bien, dit-elle.

Un silence.

— Et ?
— Et puis il est parti.
— Et ?
— C’est tout.
— Lola, as-tu déjà fait l’amour ? m’entendis-je lui demander.
— Non, dit-elle.

Elle n’avait pas l’habitude de ces questions si personnelles. Katulong lang ako, disait-elle. Je ne suis qu’une servante. Souvent, ses réponses n’avaient qu’un ou deux mots et tenter de reconstituer la plus petite anecdote pouvait nécessiter une vingtaine de questions étalée sur plusieurs jours.

J’ai quand même pu apprendre ceci. Elle en voulait énormément à ma mère d’avoir été si cruelle pendant tant d’années et cependant elle lui manquait. Parfois, quand elle était jeune, elle se sentait si seule qu’elle pleurait. Je savais déjà que pendant quelques temps elle avait rêver de trouver un homme. Je la voyais, la nuit, se lover dans un large oreiller. Mais elle m’apprit que vivre avec les maris de ma mère l’avait persuadé que rester seule n’était finalement pas si mal. Ces deux-là ne lui manquaient pas du tout. Sa vie aurait sans doute été meilleure si elle était restée à Mayantoc, s’y était mariée et y avait fondé une famille comme ses frères et sœurs. Mais elle aurait aussi pu être pire. Deux de ses plus jeunes sœurs, Francisca et Zepriana, tombèrent malades et moururent. Un de ses frères, Claudio, a été assassiné. À quoi bon se poser toutes ces questions ? « Bahala na » était sa ligne de conduite. Arrive ce qui doit arriver. Et ce qui lui arriva fut un autre genre de famille dans laquelle elle avait huit enfants : ma mère, mes quatre frères et sœurs et moi, et maintenant mes deux filles. Ces huit-là, disait-elle, ont fait que sa vie méritait d’être vécue.

Aucun d’entre nous ne s’attendait à ce qu’elle meure si soudainement.

Son attaque cardiaque a démarré dans la cuisine pendant qu’elle préparait le dîner. J’étais alors parti faire une course. Elle était en plein malaise quand je suis rentré. Deux heures plus tard à l’hôpital, avant que je comprenne vraiment ce qu’il se passait, elle était partie. À 22h56. Tous les enfants et petits-enfants avaient noté, sans trop savoir comment l’interpréter, que Lola était morte un 7 novembre, le même jour que ma mère. Mais douze ans plus tard.

Lola avait 86 ans. Je la revois encore sur son lit d’hôpital. Je me souviens avoir observé les médecins penchés sur cette petite femme à la peau sombre, pas plus grande qu’une enfant. Je pensais qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’avait pu être la vie de Lola. Elle n’avait rien de cette ambition personnelle qui nous anime à peu près tous. Et son empressement à tout abandonner pour s’occuper des gens autour d’elle lui a valu tout notre amour et notre totale loyauté. Elle est devenue une figure sacrée au sein de ma famille élargie.

Faire l’inventaire de ses cartons dans le grenier m’a pris des mois. J’y ai trouvé des recettes de cuisine découpées dans des magazines et mises de côté pour quand elle saurait lire. Des albums photos avec des portraits de ma mère. Des diplômes que mes frères et sœurs et moi avions décroché durant notre scolarité. Nous les avions, pour l’essentiel, jetés mais Lola a pu les récupérés. Je suis tombé des nues quand du fond d’une boîte j’ai remonté une pile de papiers jaunis : des articles que j’avais écrit et oublié depuis longtemps ! Elle ne savait pas encore lire à ce moment mais elle les avait gardés malgré tout.

***

Doods s’arrêta près d’une maison en pierre au milieu d’un lotissement de baraques faites de bambous et de planches. Tout autour, il n’y avait que des rizières verdoyantes s’étalant à l’infini. Avant même que je ne descende du camion, les gens étaient sortis de chez eux.

Doods inclina son siège et se prépara pour une sieste. Je mis le sac en toile sur mon épaule, je pris une bonne respiration puis j’ouvris la porte.

Par ici, me dit une voix douce. Je fus amené le long d’un petit trottoir jusqu’à la maison de pierre. Assez près derrière moi, suivaient une file indienne d’une vingtaine de personnes, des jeunes, des vieux, mais surtout des vieux. Une fois entré à l’intérieur, tout le monde s’assit sur des chaises et des bancs disposés le long des murs, me laissant seul au milieu de la pièce, debout, attendant de rencontrer mon hôte. La pièce était petite et sombre. Les gens me jetaient des coups d’œil, impatients.

Où est Lola ? demanda une voix depuis une autre pièce. L’instant d’après, une femme d’âge moyen, vêtue d’une robe d’intérieur et d’un sourire, entra d’un pas nonchalant. Ebia, la nièce de Lola, nous accueillait dans sa maison. Elle m’enlaça puis me demanda de nouveau : Où est Lola ?

Je fis glisser le sac en toile de mon épaule et lui tendit. Elle me regardait dans les yeux, toujours souriante. Elle prit le sac avec douceur puis alla jusqu’à un banc en bois sur lequel elle s’assit. Elle retira la boîte du sac et examina toutes ses faces. Où est Lola ?, dit-elle doucement. Les gens d’ici incinèrent rarement leurs proches. Je crois qu’elle ne s’attendait pas à ça. Elle déposa la boîte sur ses genoux et se pencha jusqu’à ce que son front y repose. Au début, je pensais qu’elle riait mais j’ai vite réalisé qu’en fait elle pleurait. Ses épaules commencèrent à se soulever puis elle se lamenta —  une plainte profonde, celle d’un animal, cette même plainte que j’avais déjà entendue, émise par Lola.

J’aurais pu venir plus tôt apporter les cendres de Lola mais je n’étais pas sûr que quelqu’un ici s’en souciât. Je ne m’attendais pas à voir autant de peine. Avant que je puisse réconforter Ebia, une femme entra dans la pièce, mit ses bras autour d’elle et commença à se lamenter. Puis d’un coup, la petite pièce sombre retentit d’un seul et même son. Les personnes âgées — une était aveugle, la plupart étaient sans dent — pleurèrent toutes sans aucune retenue. Cela dura bien une dizaine de minutes. J’étais si fasciné que je ne fis pas attention à mes propres larmes coulant sur mon visage. Peu à peu, les sanglots s’effacèrent puis le calme revint.

Ebia renifla puis annonça qu’il était l’heure de manger. Tout le monde entra un à un dans la cuisine, les yeux encore gonflés mais le cœur allégé, prêt à se raconter plein d’histoires. Je jetais un coup d’œil au sac vide sur le banc et je sus alors que c’était ce qu’il fallait faire : ramener Lola là où elle était née.

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