Esprits, êtes-vous là ?

J’ai décidé de ne pas m’énerver et de rester gentiment poli. Aussi je ne dirais rien à propos de certaines déclarations et certaines initiatives de mes très chers (financièrement parlant) compatriotes libéraux-conservateurs amnésiques et/ou apeurés qui mériteraient pourtant quelques brouettées d’heures de travaux d’intérêt général (histoire, pour une fois, de servir la collectivité plutôt que de s’en servir) ne serait-ce parce qu’ils s’apprêtent à réélire triomphalement le type qui a appris à tant de bandits comment confondre caisse publique et argent de poche. Passons. Et parlons musique.

Je me dois, ici, de remercier l’algorithme de suggestions basées sur mes écoutes précédentes et qui permet à la plateforme de musique en ligne à laquelle je me suis abonné de proposer à mes oreilles blasées de chouettes artistes jusqu’ici inconnus de moi. Quand une des chansons proposées me plaît bien, je fais l’effort de pousser jusqu’à la page de l’artiste qui a su capter mon attention et je navigue à ouïe dans sa discographie histoire de déterminer si l’artiste en question est juste un one shot ou s’il aura l’immense privilège de prendre place dans mon cerveau aux côtés des dizaines d’autres déjà présents depuis plus d’un demi-siècle et qui concoctent encore, parfois bien après leur mort, le plus parfait des élixirs pour me prémunir contre la rage imbécile des bandits susnommés.

Les deux derniers artistes à s’être récemment fait une place enviable dans mon panthéon personnel pourtant passablement décousu, sont, d’une part, le hard-rock expérimental et néanmoins canadien de Black Mountain — dont le titre Let spirits ride est à l’origine du titre de cet article — et, d’autre part, les fous furieux américains du combo rock/soul/blues/jazz/ska de Barrence Whitfield and the Savages.

Évidemment, tu peux leur préférer la douceur, l’humeur et l’humour paristiques* made in France. Dans ce cas, jette immédiatement tes deux oreilles sur Romtom et les Soulmates. Et surtout va les voir. On aura sûrement l’occasion d’en reparler plus précisément.

(*) paristique : qui est à la fois de Paris et artistique.

Bien. Maintenant que tes tympans sont joliment occupés et que ton esprit se promène avec la légèreté d’une ombre de libellule au-dessus de la mousseline diaphane d’une mare de Chantilly élevée à l’hélium, on va pouvoir causer.

Once upon a time, tout n’était que vice, luxe et corruption. Chauffeurs, secrétaires, dîners, déjeuners, goûters, billets d’avion pour les tropiques, appartements pour les journalistes et les proches, les illustres seigneurs du doux royaume de truanderie (comme le chantait Brassens), ne comptaient pas leur peine (et pas encore sur Le Pen) pour continuer à poser leur cul grassouillet sur un trône qui n’était pas seulement de fer mais surtout d’or et d’argent liquide.

La vie des corrompus/corrupteurs était alors une vie facile et rentable. Qui de plus ne présentait aucun risque. À ce jeu, chacun tenait l’autre par la barbichette, le premier des deux qui balance aura une cassette.

Et puis un jour, les imbéciles de moutons des prairies alentours décidèrent de se faire tondre par d’autres bergers qui leur promettaient de moins les dégager derrière les oreilles et même de leur rendre une partie du pelage injustement confisqué pas les anciens maîtres du château. Évidemment, c’était du pipeau mais les moutons adorent le pipeau. Qu’ils confondent régulièrement, soit avec un orgue de barbarie qu’ils manient alors avec la délicatesse d’un rugbyman anglais qui assène un coup de talon dans la mâchoire d’un rugbyhomme français, soit avec les violons dans lesquels ne coucheront jamais leurs tonseurs.

Après quelques fausses passes d’armes destinées à impressionner la pellicule de journalistes aux ordres, les anciens maîtres du château décidèrent de rendre une toute petite partie du très gros butin. Ils firent une collecte parmi les sous-fifres présents et déposèrent au pied des nouveaux maîtres une modeste corbeille en faux jonc. Corbeille principalement remplie de promesses et de deux ou trois sucreries au cas où… On ne se refait pas.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Et l’auteur de ce conte aurait pu conclure que les anciens maîtres ne vivaient pas malheureux et eurent beaucoup d’enfants notamment dans le département voisin des Hauts-de-Seine ainsi que tout le long du littoral méditerranéen. Or, l’un des anciens maîtres, exilé dans une pesante et soporifique contrée — l’autre étant mourant ou faisant remarquablement semblant de l’être — décida de reconquérir la Capitale comme un vieux souffreteux qui reviendrait sur le lieu de ses premiers émois espérant y retrouver un peu de sa vigueur d’antan.

Le plus amusant — aucun scénariste n’aurait envisagé un tel cas au risque de se faire bannir de la forêt de Sénart (parisian joke inside) — est que le revenant se présente comme une alternative au plus méchant de ses vilains enfants. Visiblement, les moutons ont la mémoire courte ou du pelage à revendre puisqu’il semblerait que l’ancien maître en question parvient à provoquer chez certains des spasmes à rendre jalouses les brebis bêlantes et photoshoppées qui encombrent de leur vacuité artistique et peroxydée les sites de vidéos numériques à fort attrait publicitaire.

Un peu comme si tu t’apprêtais à acheter une nouvelle voiture auprès du type qui t’a volé l’ancienne en n’oubliant pas de lui offrir en plus le gîte, le couvert et de nombreuses petite gâteries délicates à même d’amoindrir les maux résiduels de son âme repentante. Forcément repentante.

Avec un peu de chance, maintenant que tu as une nouvelle voiture, il est même possible qu’il te prenne comme chauffeur à plein temps. Mais payé à mi-temps. Tentant, non ?

Je suis d’accord avec le fait que tout le monde mérite une deuxième chance, voire une troisième. Et je ne suis pas pour la mort du pécheur d’autant que les poissons et les tortues marines digèrent assez mal le ciré et les bottes en caoutchouc.

Mais.

Mais il aurait fallu au préalable qu’il y ait eu une vraie repentance. Qu’un remboursement même incomplet ait eu lieu (beaucoup de l’argent détourné des caisses de la Mairie de Paris a dû s’envoler pour le Panama, la Suisse ou le Luxembourg). Que l’ensemble du système et de ses acteurs aient pu être identifiés et jugés. Je ne dis pas condamnés. Je ne suis pas juge. Je dis simplement jugés.

— Ha ! mais il a été jugé ET condamné, hurlent déjà les thuriféraires du ci-devant escroc.

Certes. Un an d’inéligibilité (hors période électorale) qui s’est vite transformé en un an de vacances au Québec… On a connu des conditions plus sévères pour des délits bien moindres.

Alors, les mêmes ont beau tenter de décrédibiliser les #NuitDebout, de ridiculiser leur côté hippie sur le retour, leur manque de pragmatisme économique, leur refus d’être solidaires avec les banques dans le besoin et invoquer les tournées supplémentaires des équipes de nettoyage de la Mairie de Paris (oui, ça vole jusque-là), ces doux rêveurs de la place de la République (la vraie) n’ont encore tué personne. N’ont obligé aucune PME à mettre la clé sous la porte. N’ont désindustrialisé aucun bassin ouvrier. N’ont pas créé le moindre chômeur. N’ont pas asservi la culture à l’audimat.

Alors, effectivement, peut-être ont-ils contribué à réhausser d’un demi-millième de gramme le bilan carbone de la Capitale. Et ça, Madame Michu, c’est juste intolérable. Virez-moi ces craspouilles et mettez-moi fin à cette mascarade ! Qu’un sang impur abreuve de nouveau les réseaux financiers clandestins des élites et de l’entre-soie (non, il n’y a pas de faute).

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