Charlie Akbar

Je n’étais pas un grand lecteur du journal mais j’appréciais les dessinateurs. Et pas seulement pour leurs talents graphiques. L’impertinence, même avec la plus solide mauvaise foi, est une des conditions de la liberté d’expression. Et je te l’ai déjà dit, et je le répèterai autant de fois qu’il le faudra, la liberté d’expression est la première des libertés, celle sur laquelle toutes les autres se fondent.

Au-delà des dessinateurs, des rédacteurs et des policiers qui ont été abattus aujourd’hui, c’est bien la liberté d’expression qui était visée.

Oh, c’est toujours la même histoire avec les tyrans et les psychopathes à leur solde : croire que tuer celui qui s’est exprimé tuera aussi l’idée qu’il a exprimée. Mais ça ne marche pas comme ça. Ça n’a jamais marché comme ça et ça ne marchera jamais comme ça. Les idées ne sont pas des organismes moléculaires que l’on peut dissocier ou désintégrer à coups de bûchers, de kalachnikovs ou de bombes H. Une idée, sitôt qu’elle est exprimée — et que cette expression passe par le dessin, l’écriture ou la parole — est indestructible. Elle fait désormais partie du corpus de l’humanité. Elle sera à jamais son fardeau si c’est une idée de merde, elle sera pour toujours sa lumière si c’est une idée de progrès.

Ce 7 janvier 2015, quelque chose s’est brisé. L’analogie avec le 11 septembre 2001 est inévitable. Dans les deux cas c’est le symbole d’une nation qui est gravement endommagé. L’incarnation de la puissance pour les États-Unis, celle de la liberté pour la France.

Parmi tous les attentats terroristes dont la planète est coutumière ces quarante dernières années, c’est la première fois (à ma connaissance) que des types armés, cagoulés, en mission pour tuer, traverse une capitale sans encombre, arrive à exécuter froidement autant de gens, reparte presque tranquillement pour s’évanouir on ne sait où. Un mode opératoire plus proche des contre-guerillas urbaines d’Amérique du Sud ou du Proche-Orient que de l’attentat à la bombe. Attention, je ne dis pas que les forces de l’ordre n’ont pas fait leur travail de prévention. Elles ne pouvaient tout simplement pas le faire justement parce que ce mode opératoire était hautement improbable.

Il semblerait que les auteurs de la tuerie soient des professionnels aguerris. Si c’est le cas, ils ont donc un ou des commanditaires, des financiers, des complicités. C’est peut-être cette complexité de réseau fortement structuré qui fera qu’ils seront rapidement retrouvés. C’est en tout cas à souhaiter.

Non seulement pour enclencher rapidement l’aspect judiciaire de cette affaire mais surtout pour empêcher tout aussi rapidement que les démons de l’amalgame ne s’unissent aux fantômes de la rancœur pour mettre définitivement ce pays à feu et à sang.

Coïncidence malheureuse, je voulais à la base faire un article bête et méchant sur le dernier livre de Houellebecq lequel vient de s’offrir involontairement — enfin, j’espère ! — le plus beau coup de pub de toute sa carrière. Comme tu l’as peut-être lu ailleurs, ce livre brosse le portrait d’une France islamisée suite à l’élection d’un musulman à la présidence de la république. Bon, pourquoi pas ? Comme sujet de roman ce n’est pas inintéressant. Là où ça coince c’est que l’auteur estime que cette élection est dûe à une entente UMP/PS destinée à ne pas faire élire la miss Le Pen. Scénario strictement impossible pour deux raisons. La plupart des élus UMP et certainement une partie de ceux du PS préfèreront une alliance avec Le Pen plutôt que voir un musulman à l’Élysée. Et quand bien même une alliance UMP/PS serait scellée, j’imagine mal les françaises et les français se conformer aux desiderata électoraux d’icelle. Dans un tel cas, les français voteront massivement Le Pen, ça me parait tout à fait clair. Du coup, ce livre joue sur la provocation facile et il est regrettable qu’une actualité barbare vienne gonfler ses chiffres de vente.

Charlie Hebdo survivra-t-il à ce massacre ? Je n’en ai pas la moindre idée mais voyons le bon côté des choses : il y a des postes à pourvoir. Je devrais peut-être postuler… Sauf que je suis nul en dessin. Je voulais en faire un représentant le rédac’ chef du journal souhaitant la bonne année à son équipe ivre-morte sous la table avec une accroche, genre :

… et surtout la santé !

Même moi, ça ne me fait pas rire.

Mais si j’avais le pouvoir de permettre à ce journal de continuer de vivre, je le rebaptiserais « Charlie Akbar », juste pour faire chier les cons dont beaucoup jouent les pleureuses aujourd’hui (surtout parmi le personnel politique) alors qu’ils n’ont jamais été les derniers à tenter de mettre les journaux sous leur joug.

Si au moins cette leçon-là pouvait être définitivement apprise…

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