Les petits matins des grands soirs

Avant que ne se déchaînent les lamentos hypocrites et les rodomontades hystériques sur le résultat (sans surprise) des élections européennes, faisons un tour rapide de la situation qui confirme simplement ceci — et je le dis depuis tant d’années que j’en suis fatigué : l’environnement politique français est mort non seulement de ses nombreuses erreurs et incompétences mais également, et surtout, de son incapacité intrinsèque à (vouloir) changer la société. On regarde tout ça vite fait mais en détail.

Par environnement politique, il faut comprendre l’addition (purement arithmétique) de trois grands systèmes aux motivations et aux intérêts fluctuants, parfois antagonistes, parfois liés, souvent contradictoires.

  1. la classe politique au sens large : élus, hauts fonctionnaires, candidats, syndicats, religions, grandes entreprises, tout ce qui a le pouvoir (que ce pouvoir soit démocratique ou non n’est pas la question) d’influer sur la position sociale d’autrui tout en conservant (voire en améliorant) la sienne propre ;
  2. la presse (écrite, audiovisuelle et numérique) : souvent définie abusivement comme le « quatrième pouvoir », c’est surtout son renoncement à assumer son rôle de contre-pouvoir (à de très rares exceptions) qui la fait apparaître comme complice de la classe politique quand elle ne l’est pas ouvertement ;
  3. les électeurs, qu’ils soient inscrits ou non, qu’ils se déplacent ou qu’ils s’abstiennent, qu’ils appartiennent ou non à l’une des (voire aux deux) catégories ci-dessus.

Le premier se caractérise par son arrivisme, le deuxième par sa vanité, le troisième par sa lâcheté, ces caractéristiques étant des caractéristiques de groupe. Elles ne sont pas systématiquement applicables à chacun des individus de chacun de ces groupes. Ne me fais dire ce que je ne pense pas.

Arrivisme, car en France, être au pouvoir (quelque soit le niveau de ce pouvoir) est socialement rémunérateur, au moins en terme d’ego. La France est le pays des présidents. À croire que le but caché de la loi de 1901 sur le droit d’association est de faire de chaque français un président potentiel et, par la flatterie ainsi apaisé, de l’écarter du combat politique réel. Les flatteries sont le Qatar de l’individu et donc les fossoyeurs de ses capacités.

Vanité, car la presse française se caractérise par un niveau d’incompétence extrême depuis que sa survie (comprendre celle des gros salaires des journaux et magazines) dépend exclusivement des régies publicitaires et de ses subsides pharaoniques. Les annonceurs sont le Qatar de la presse et donc les fossoyeurs de sa liberté.

Lâcheté car le droit de vote est devenu le bon moyen pour ne pas s’engager personnellement, en se déchargeant sur la collectivté de ses propres responsabilités civiques, en plébiscitant, cirque médiatique oblige, la parade clinquante et cathodique des promesses impossibles à tenir. Les promesses sont le Qatar de la politique et donc les fossoyeurs de sa légitimité.

Les trois systèmes se combinant en une formule magique :

1 = 3 x 2.

Nous obtenons le théorème suivant :

« L’arrivisme de tous est le résultat de la lâcheté des uns multipliée par la vanité des autres. »

Pas besoin d’avoir fait Maths Sup’ pour comprendre que ça ne peut pas fonctionner !

Dans un schéma idéal, il n’y aurait pas besoin d’intermédiaires entre la classe politique et les électeurs. Les électeurs auraient accès à toutes les propositions, seraient en mesure de les comprendre et d’en débattre puis de faire un choix raisonné sinon raisonnable. Ce système étant idéal, il n’existe donc pas et il faut compenser par des aménagements et des passerelles entre les trois catégories.

C’est le rôle de la république que de réaliser ces aménagements (cf ces articles : ici et , mais aussi celui-là pour une éventuelle réflexion vers une solution).

Le problème français (qui n’est pas que français mais qui est ici exacerbé) est de n’avoir pas su (ou pas voulu) rompre avec l’élitisme des origines monarchistes de ce pays. Cet élitisme est partout : autant dans les structures collectives (grandes écoles, compétitions sportives, remises de prix…) que dans les comportements individuels (bijoux, voitures, vêtements…) et professionnels (système hiérarchique, duo promotion/soumission, attractivité boursière…). Du coup, comment juger négativement ou penser à se défaire d’un système politique qui n’est que le reflet de ce que nous sommes collectivement ?

Oh, certes, à titre individuel (et moi le premier) nous ne pensons pas être élitistes. Et pourtant… Beaucoup de nos choix de consommateurs, voire de nos choix de vie, traduisent cet élitisme au quotidien. Mais l’élitisme, c’est les autres… D’autant qu’en France, élitisme et arrogance sont indissociables et il est difficle de s’avouer arrogant… Et pourtant !

Symbole de cet élitisme français, cette langue française, si juste et si magnifique qu’elle fut justement la langue de l’élite intellectuelle et politique européenne au XVIIIe siècle, qui n’a pas de mot pour traduire « Fremdschämen », ce sentiment qui devrait tous nous empourprer à l’heure actuelle.

D’ailleurs, n’a-t-on pas finalement toujours voté FN, y compris avant son existence, en croyant voter pour tels de droite ou tels de gauche qui se réclamaient tous de la République mais n’avaient qu’eux-mêmes comme projet ?

Ce matin, la France se regarde dans un miroir enfin nettoyé de ses illusions démocratiques et se découvre un visage ni particulièrement beau ni franchement laid mais chez qui le sourire n’est qu’une arme de communication.

En sus de son élitisme insupportable, La France a toujours pratiqué et pratique encore une forme de ségrégation sinon raciale au moins communautaire. L’art de mettre tout le monde dans des petites cases élégamment voilées de broderies ajourées pour mieux dissimuler les implacables fermoirs qui rendent ces boîtes étroites, conflictuelles et opposables : les blancs, les noirs, les juifs, les arabes, les riches, les pauvres, les vieux, les jeunes, les citadins, les ruraux, les étudiants, les chômeurs, les flics, les voyous, les artistes, les travailleurs, les littéraires, les scientifiques, les rouges, les bleus, les hommes, les femmes, les chiens, les politiciens…

Le débat politique (débat sur le choix d’une société) est mort depuis longtemps. On fait semblant aujourd’hui de découvrir son cadavre pour se dédouaner de notre propre responsabilité mais le constat est là, clair et brûlant : le FN a au moins raison sur une chose. Son fameux UMPS est une réalité. Il oublie juste qu’il en fait partie et que cette élection l’obligera à plus de consensualité (donc de trahison) ne serait-ce que pour conserver ses subventions car lui aussi s’engraisse sur le compte de la collectivité…

La différenciation politique n’est plus une affaire de droite et de gauche (et donc, par extension, n’est pas non plus une affaire d’extrême-gauche ou d’extrême droite), elle est devenue un choix entre une société solidaire ou une société égoïste et ce quelque soit le système économique considéré (je rappelle que l’économie n’est qu’un outil).

Comme rappelé dans le billet précédent, pour moi, l’important est ailleurs (World War 3 is coming). Le score du FN, aux élections ou aux test de QI, je m’en fous. Ce n’est qu’une péripétie. Une pathétique péripétie pour péripatéticienne politique propre à satisfaire la vanité des uns et l’arrivisme des autres. Le FN n’a aucun pouvoir magique, la société qu’il propose est tout aussi égoïste que celles proposées par les autres partis. Tout juste dispose-t-il d’un pouvoir de nuisances sur quelques groupes sociaux déjà tellement dans les emmerdes grâce aux gouvernements précédents qu’ils courberont encore le dos pour laisser passer l’orage. Autre forme d’atavisme issu de la colonisation, cet élitisme qui ne se cachait même pas et que certains (dont le FN) ne renonceront jamais à raviver.

Quand au parlement européen, il n’a que ce qu’il mérite. Malgré quelques décisions gentillettes, son immobilisme de dinosaure autiste lui coûte le désintérêt des masses et lui colle la chtouille en prime avec ce score ridicule mais légitime. Quel claque que d’y envoyer travailler des gens qui s’y sont toujours opposés, les rares élus FN précédents ayant toujours fait preuve d’un absentéisme rigoureux. Et je te parie que passées les premières larmes de crocodile, son œuvre de destruction de la personne au profit de la marchandise continuera de plus belle…

Pour finir et détourner une autre citation célèbre, je dirais que l’Europe est une chose trop sérieuse pour la laisser aux élections européennes.

Tu peux te rendormir, il ne s’est rien passé.

***

Des câbles débranchés
Déconnexion.
(photo de l’auteur, Paris 12e – 25 mai 2014)

liens vers l'article suivant ou l'article précédent
texte précédenttexte suivant

retour haut de page